Corrente

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Mouvement artistique italien qui se développa à Milan entre 1938 et 1943. Il représente une prise de position polémique contre la discipline esthétique du Novecento, en faveur de nouveaux moyens d'expressions libres de tout dogme formel et d'une peinture " cri expressif et manifestations de colère, d'amour, de justice aux coins des rues... plutôt que dans l'air triste du musée... ". Corrente reflétait l'exigence d'une rupture avec la rhétorique officielle, sans tomber, pour autant, dans des formes d'art gratuites et dépourvues d'un contenu précis. Le thème de la place de l'artiste dans la société et de ses responsabilités politiques et sociales fut l'un des motifs essentiels de ce mouvement. " Nous voulons fonder le langage pictural sur une base révolutionnaire... Au moyen de la peinture, nous voulons hisser les drapeaux. " Contre l'autonomie culturelle du régime fasciste et la rhétorique de la " tradition italique ", Corrente représenta un moment important de la peinture italienne, en raison de sa tentative pour se rattacher à un plus large courant culturel, renvoyant et se référant à la peinture romantique française, à Van Gogh, à Ensor, aux expressionnistes allemands, aux fauves. Les débuts théoriques de Corrente se trouvent dans le journal Via Giovanile, fondé en 1938 à Milan par le peintre Ernesto Treccani et dans lequel étaient exprimés les principes qui donnèrent la vie au mouvement. Ce dernier était formé par un groupe de peintres dont la plupart résidaient à Milan : Birolli, Cassinari, Migneco, Arnaldo Badodi, Sassu, Italo Valenti, Guttuso, Morlotti, Treccani, Vedova, Peverelli ; il comptait aussi quelques sculpteurs : Sandro Cherchi, Luigi Broggini, Giovanni Paganin et les critiques Raffaele de Grada, Marchiori et Morosini. Si leur but commun était la lutte contre l'art officiel, l'affirmation d'une liberté expressive, consciente de ses droits et prête à soutenir celle-ci à l'intérieur même du mouvement, se dessinèrent aussitôt deux tendances : l'une, plus réaliste, orientée vers l'engagement politique et social (Guttuso, Morlotti, Treccani), l'autre recherchant plutôt une forme d'expressionnisme lyrique et poétique (Birolli, Cassinari, Valenti). D'autres artistes représentèrent, au sein de Corrente, une interprétation fantastique et surréelle de l'Expressionnisme, très proche de l'" école romaine " (Sassu et Arnaldo Badodi, mort très jeune en 1942). La première exposition de Corrente eut lieu en 1939, au palais de la Promotrice à Milan. De nombreuses expositions furent organisées ensuite à la Bottega di Corrente, galerie qui fut le centre du mouvement et qui connut aussi une activité littéraire en publiant une série de monographies, ainsi que la revue Corrente (oct. 1938-mai 1946) porte-parole du mouvement. La participation des artistes de Corrente au prix Bergamo de 1940 et de 1942 fit de cette manifestation un important point de jonction entre la ligne " libérale " du régime fasciste et les artistes de Corrente. C'est en 1942 qu'eut lieu la polémique au sujet du prix (le deuxième) accordé à la célèbre Crucifixion de Guttuso : la traduction d'une iconographie traditionnelle dans une langage brutal, violemment expressionniste, et la transposition du sujet religieux dans l'actualité dramatique de la guerre font de ce tableau une sorte de manifeste figuratif ; les œuvres présentées à l'exposition de Guttuso à la gal. Barbaroux de Milan (1941) en contenaient déjà, d'ailleurs, les signes précurseurs. À partir de 1942, c'est le Gal. della Spiga de Milan qui devint le centre du mouvement ; mais les artistes se dispersèrent, la plupart d'entre eux participant aux événements politiques contemporains. Les œuvres de ces années sont, en réalité, vivement conditionnées par cet engagement politique et social (série de dessins sur les horreurs de la guerre, de Guttuso et Birolli, 1944). Par la suite, les artistes de Corrente se retrouvèrent dans un groupe élargi, le Fronte nuovo delle arti : la première exposition de l'après-guerre, qui réunissait les artistes du Fronte et tout l'ex-groupe de Corrente, date de 1947 à Milan. Le problème, déjà posé par Corrente, de l'engagement social de l'artiste et la recherche d'une figuration qui puisse correspondre le mieux à de telles exigences en caractérisèrent l'orientation générale. Pendant ces mêmes années, une forte influence de l'expressionnisme picassien joua un rôle déterminant sur les artistes liés précédemment à Corrente.