Conrad de Soest

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre allemand (Dortmund v.  1370  – id. apr.  1422).

Maître de l'école westphalienne dont l'activité s'exerça à Dortmund, Conrad de Soest donne une excellente idée de l'évolution de la peinture allemande v. 1400 et de sa réceptivité au " style international " alors pratiqué en Occident. Né à Dortmund aux environs de 1370, il y contracte, en 1394, un mariage qui atteste sa qualité de citoyen de cette ville. Son nom est d'ailleurs mentionné de nouveau dans les documents entre 1413 et 1422. Toutefois, bien que nous possédions plus de témoignages de son existence que de celle de la plupart des artistes contemporains, les indications précises sont rares. Des œuvres conservées, la plus ancienne semble être le panneau de Saint Nicolas (chapelle Saint-Nicolas de Soest), vraisemblablement antérieur à 1400. On y voit saint Nicolas siégeant sur un trône, ayant à sa gauche saint Jean-Baptiste et sainte Catherine, et à sa droite saint Jean l'Évangéliste et sainte Barbe. Ainsi que le révèlent la sécheresse du drapé et l'architecture encore maladroite du trône, Conrad demeure profondément attaché à la tradition westphalienne des décennies précédentes. Par la suite, bien que de plus en plus dépendant de l'art de la cour de Bourgogne, il ne reniera jamais complètement la peinture traditionnelle de sa province. Si le panneau de Saint Nicolas ne permet pas encore d'affirmer qu'il ait visité les foyers artistiques franco-flamands, les œuvres ultérieures permettent de le supposer. La facture, qui a perdu sa rigidité, est devenue plus soignée et plus élégante ; les costumes aux draperies souples, les visages d'une retenue tout aristocratique sont rehaussés d'un coloris d'une étonnante subtilité.

Un exemple précoce de cette nouvelle conception est fourni par le panneau représentant Saint Paul (avec Saint Réginald au revers) conservé à Munich (Alte Pin.). Il s'agit du volet droit d'un autel portatif commandé v. 1404 par un membre de la famille patricienne de Dortmund du nom de Berswordt.

À cette phase stylistique se rattache également l'œuvre majeure du peintre, le retable du maître-autel de l'église de Bad Wildungen, toujours en place. Une inscription mentionne le nom du maître et c'est la première fois en Allemagne que l'auteur d'une œuvre d'art est ainsi désigné. L'inscription comporte en outre une date dont la lecture, rendue difficile par le mauvais état de conservation du dernier chiffre, ne permet pas de dire s'il s'agit de 1403 ou 1404. Ce retable monumental mesure, ouvert, 7,60 m. Les volets extérieurs, sur lesquels apparaît l'inscription, s'ornent de quatre grandes figures de Saints. À l'intérieur, 12 panneaux et une grande image centrale racontent la vie et la Passion du Christ, depuis l'Annonciation jusqu'à la Descente du Saint-Esprit et au Christ juge trônant dans la mandorle. Une particularité mérite l'attention : alors que les quatre scènes qui occupent le volet gauche forment un tout, l'histoire se poursuit sur une double rangée allant du panneau médian au volet droit et interrompue dans sa continuité chronologique par l'image centrale représentant le Calvaire. Si les différentes scènes sont d'une qualité inégale, et si certains détails dénoncent la main d'un aide, ou révèlent un travail d'atelier, le retable n'en atteint pas moins, dans l'ensemble, à une perfection et à une finesse d'exécution fort rares en Allemagne. L'ordonnance du retable de la Passion en une image centrale encadrée, de part et d'autre, de 6 tableautins correspond parfaitement à la tradition westphalienne, comme permet d'en juger la comparaison avec l'autel de Netze (près de Bad Wildungen), qui date de 1370 env. Par opposition à ce retable encore imprégné du style médiéval allemand du xiiie s., l'œuvre de Conrad de Soest, née d'un probable contact de l'artiste avec la peinture " moderne " franco-flamande, témoigne de l'originalité du maître. Le retable de Wildungen, qui allie le langage de son pays natal à l'esthétique de la cour de Bourgogne, constitue l'une des expressions les plus parfaites du Gothique international en Allemagne. Le refus du réel émanant de cette peinture résulte de l'extrême délicatesse de la facture et de l'habileté de l'artiste à sublimer la réalité. Dans leurs gracieux costumes de brocart et de soie aux riches ornements, les personnages semblent issus d'un monde féerique. Légers, voire fortuits, attitudes et mouvements ne laissent rien transparaître de la rigueur qui a présidé à leur ordonnance. Les visages revêtent une expression de préciosité, les gestes des mains sont affectés. Précis, le langage formel accentue les détails. Le coloris, aux gradations subtiles, a la minutie de l'enluminure. Une prédilection pour les lignes gracieuses, les drapés souples, les parures somptueuses et les costumes à la mode, un goût pour les traits annonçant les scènes de genre ou les natures mortes, tout ce qui, enfin, confère au tableau vie et brillant, caractérisent l'écriture de Conrad. L'esprit dont elle est imprégnée et diverses composantes telles que le décor architectural ou la représentation des collines, des arbres et des buissons trahissent la réceptivité de l'artiste à la peinture occidentale. La figuration de l'espace que Maître Francke devait emprunter dix ans plus tard à l'enluminure, enrichissant ainsi la peinture d'une de ses acquisitions essentielles, n'est encore qu'allusive chez Conrad. L'architecture, en effet, encadre et ordonne plus qu'elle ne suggère la profondeur. Les étroites bandes de sol demeurent assujetties aux figures, qui, seules, leur confèrent un sens et une portée. De même, les frêles silhouettes éthérées accusent non un sens plastique, mais le souci d'un art ornemental sans épaisseur qui contraste avec la facture du retable de sainte Barbe exécuté quelques années plus tard par Maître Francke.

Les vestiges d'une œuvre tardive, le grand retable de l'église Notre-Dame de Dortmund, qui date de 1420 env. (in situ), constituent le plus brillant témoignage de l'évolution artistique de Conrad de Soest. Ce retable fut démonté au xviiie s., ses panneaux rognés et insérés dans un cadre baroque. Du panneau central représentant la Mort de la Vierge et réduit aux deux cinquièmes de son format initial, seul subsiste le groupe principal. Les volets qui portent la Nativité et l'Adoration des mages ont été sauvegardés aux trois quarts. Ces vestiges suffisent à révéler le chemin parcouru par l'artiste depuis l'exécution de l'autel de Wildungen. Les formes ont gagné en ampleur et en fermeté, la composition est plus rigoureuse et plus dépouillée, les personnages se parent d'une majesté nouvelle. Dans les scènes, ordonnées de façon symétrique, le peintre renonce au décor architectural et au paysage, et réduit les accessoires au minimum. C'est sur les figures que se concentre désormais l'attention. Plus larges et plus puissantes, elles prennent possession de la surface. Les riches costumes des rois, les visages et les gestes laissent certes transparaître le goût de l'artiste pour une finesse caractéristique de la miniature, mais la limpidité, la sérénité et la rigueur demeurent son souci majeur. Aucun mouvement brusque ne vient interrompre cette solennelle placidité, et le coloris rayonne d'un éclat surnaturel.

Les tableaux de Conrad de Soest n'ont pas seulement influencé longtemps et en profondeur la peinture westphalienne ; leur rayonnement fut sensible dans toute l'Allemagne du Nord, jusqu'à Cologne. L'emprise de l'artiste n'a de comparable que celle qu'exerceront cent ans plus tard Schongauer et Dürer.