les Bruegel ou les Breughel ou les Brueghel

Pieter Bruegel, les Aveugles
Pieter Bruegel, les Aveugles

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Famille de peintres flamands.

PIETER LE VIEUX OU L'ANCIEN .

Vie de Bruegel

La date et le lieu de naissance de Bruegel n'ont pu être déterminés avec certitude. Karel Van Mander mentionne qu'il naquit au village de Breugel, près de Breda, en Brabant. Généralement, on situe sa naissance entre 1525 et 1530. Après avoir été l'élève de Pieter Coecke Van Aelst, il devint franc maître dans la gilde des peintres d'Anvers en 1551. À partir de ce moment, il dut commencer à travailler pour le graveur et marchand d'estampes Hieronymus Cock, qui l'engagea sans doute à entreprendre un voyage en Italie, non dans l'intention de parfaire son instruction, comme il était de coutume alors, mais bien dans celle de réaliser une suite de dessins de paysages italiens et alpestres destinés à la reproduction par la gravure.

L'artiste traversa la France en 1552 et parcourut toute l'Italie jusqu'au détroit de Messine. Il était à Rome en 1553-54, et l'on sait qu'il y fut en relation avec le miniaturiste Giulio Clovio, mais il retourna en 1555 à Anvers, où il reprit sa collaboration avec l'éditeur Hieronymus Cock. Selon toute probabilité, Pieter Bruegel s'est mis à peindre assez tardivement : son premier tableau daté est de 1553. En 1563, il épousa la fille de son maître Pieter Coecke. Après son mariage, Bruegel se fixa à Bruxelles, où il mourut en 1569, laissant deux fils en bas âge : Pieter (1564) et Jan (1568). Devenus peintres, ils seront connus sous les surnoms de Pieter d'Enfer et Jan de Velours.

Personnalité de Bruegel. Esprit et portée de son œuvre

Les tableaux authentiques de Bruegel conservés de nos jours sont au nombre de 45 ; 14 des peintures les plus importantes se trouvent à Vienne (K. M.). La plupart d'entre eux sont signés et datés entre 1553 et 1568. L'artiste a laissé près de 120 dessins, qui, en général, sont également signés et datés.

L'esprit de l'œuvre de Bruegel a donné naissance aux hypothèses les plus contradictoires. À part la production même du peintre, il n'existe que peu de données intéressantes concernant sa personnalité. C'était probablement un homme cultivé puisqu'il était l'ami du grand géographe Ortelius, mais de là à conclure qu'il était lui-même humaniste et érudit paraît excessif. Un autre abus d'interprétation trouve son origine dans les écrits de Van Mander, qui relate que Bruegel fut surnommé Pierre le Drôle parce qu'il fit rire ou au moins sourire ses contemporains par ses représentations de scènes de mœurs et de dictons populaires. Aujourd'hui encore, en se fiant trop à certains tableaux très populaires, comme les Proverbes de Berlin, on ignore le côté tragique de cet art, Bruegel restant toujours le peintre de mœurs paysannes, capable seulement d'amuser les spectateurs, comme le voulut la tradition ancienne. Van Mander rapporte encore que Bruegel, avant sa mort, avait détruit un certain nombre de ses dessins pour épargner des ennuis à sa veuve. On en a conclu que le peintre était non seulement un intellectuel individualiste, mais aussi un idéaliste épris de liberté politique, se révoltant contre la politique néfaste de Philippe II en Flandre. Il est vrai que certains éléments de ses tableaux sont des reflets de situations de son époque, mais, si Bruegel a rendu avec objectivité les détails pittoresques de la vie de son temps, c'est qu'il ne pouvait guère faire autrement ! Il semble exagéré cependant de vouloir y chercher des allusions et des parodies politiques et religieuses de caractère " engagé ", car ces sortes de provocations n'auraient jamais été admises en son temps et d'ailleurs ne correspondent pas avec la mentalité et le tempérament de Bruegel. Van Mander mentionne encore un trait caractéristique de l'état d'esprit du peintre. Celui-ci assistait avec son ami Franckert aux fêtes et aux kermesses populaires non comme spectateur, mais habillé en paysan. C'est donc en se mêlant au peuple qu'il a vécu les scènes pittoresques, représentées ensuite avec réalisme et perspicacité, avec compréhension peut-être, mais jamais avec amour. Vu à travers son œuvre, Bruegel apparaît comme un artiste intelligent, un sage, issu et toujours proche du peuple, et, comme tel, doué d'un solide bon sens.

Le style de Bruegel : inspiration et interprétation

Bien que fidèles à la réalité, les tableaux de Bruegel ne se limitent pas au pittoresque. L'artiste veut avant tout atteindre la synthèse, donner un caractère imposant et cosmique à ses représentations du monde, transfigurer la vérité de la nature par une vision personnelle et puissante. Ce sens de la grandeur se manifeste particulièrement dans les paysages, qu'il s'agisse des vues cosmiques, des Alpes ou des plats pays de Flandre avec leur horizon illimité (les Chasseurs dans la neige, Vienne, K. M. ; la Moisson, Metropolitan Museum). La nature est le réel protagoniste de l'œuvre de Bruegel et il la rend impassible au drame humain, qu'il réduit jusqu'à le traiter en simple événement fortuit. Dans plusieurs scènes religieuses, comme le Dénombrement de Bethléem (Bruxelles, M. R. B. A.) ou le Portement de croix (Vienne, K. M.), les personnages principaux sont complètement intégrés à la foule. Ils y perdent leur austérité religieuse, mais le tableau, illustrant la vanité de toute présence humaine sur terre, y gagne en valeur artistique. Ainsi, le constant souci de Bruegel est de projeter ses sujets sur un plan universel. Même lorsqu'il accorde à la figure humaine une importance primordiale, comme dans les Noces villageoises et la Danse des paysans (Vienne, K. M.), il ne voit pas ses personnages comme des individualités, mais comme des types généralisés, doués d'une puissante présence physique, ou bien, par exemple dans les Aveugles de Naples (Capodimonte), comme la personnification de l'accomplissement de la destinée humaine, qui, irrévocablement, mène à l'abîme et à la mort. Le langage pictural de Bruegel est spontané et direct. Il émane de la réalité quotidienne, dont il est l'expression intuitive et synthétique. C'est ce qui explique que les influences soient rares dans son œuvre. Issu du milieu artistique de Hieronymus Bosch, il s'est inspiré de certains de ses thèmes, mais sa vision est plus directe et moins onirique. D'autre part, Bruegel semble ignorer complètement les leçons des Italiens, malgré son voyage en Italie et le succès énorme que l'italianisme connut en Flandre à son époque. La composition de ses œuvres est claire et bien définie d'avance. Elle est subordonnée à un rythme général qui crée l'unité de l'ensemble et qui suggère à la fois l'évolution du mouvement et celle du temps. Par elle, le peintre atteint à une vision ample qui contraste souvent avec le foisonnement des détails. Mais l'impression d'unité est également obtenue par l'harmonie des tons et des valeurs, qui lient toutes les parties entre elles. Au point de vue de la couleur, Bruegel a réalisé un grand progrès en perfectionnant le passage des tonalités, surtout dans la subdivision du paysage en trois plans, où il fond les trois tons, brun, vert et bleu, de sorte que la première tonalité se mélange à la deuxième et ainsi de suite. Mais si la couleur et la lumière aident à réaliser l'unité du tableau, elles sont également de nature à créer des contrastes lorsque le peintre oppose une scène tragique à un paysage inondé d'une lumière claire et transparente, comme dans la Parabole des Aveugles (1568) du musée de Naples (Capodimonte). En ce qui concerne l'interprétation du sujet et l'ordonnance de la composition et du coloris, qui en résultent, la Chute des anges rebelles (Bruxelles, M. R. B. A.) peut être considérée comme un des cas les plus captivants de l'œuvre de Bruegel. Dans un enchevêtrement de figures, la composition, légèrement asymétrique sans pour autant exclure l'équilibre parfait des masses et des vides, donne une impression réelle de mouvement. Un bleu céleste domine la partie supérieure du tableau, tandis que, dans la partie inférieure, où grouillent les monstres de l'enfer, la couleur est chaude et sourde. De la clarté d'en haut, qui représente la présence divine, déferlent des ondes concentriques qui deviennent de moins en moins lumineuses, pour aboutir à l'obscurité de l'enfer.

Le métier

Bien que Bruegel soit un dessinateur admirable, il s'affirme peintre en premier lieu. Dans ses tableaux, il ne cherche pas la netteté des contours et il n'a jamais modelé les formes comme le faisaient ses contemporains d'après l'exemple des Italiens. C'est par la rencontre des tons différents et par le contraste de silhouettes qu'il crée son univers. La facture de l'artiste est très variée. Certaines œuvres sont brossées d'une manière large et d'autres sont exécutées très soigneusement par petites touches minces. Tantôt les couleurs sont très diluées, et tantôt elles forment une pâte grasse. Bruegel a peint non seulement à l'huile, mais également à la détrempe. Dans ce dernier cas, il travaillait sur une toile non recouverte d'une préparation, de sorte qu'elle a partiellement absorbé la couleur, qui est devenue mate. Les tableaux exécutés dans cette technique sont le Misanthrope, les Aveugles (Naples, Capodimonte) et l'Adoration des mages (Bruxelles, M. R. B. A.).

Les dessins

Les dessins de Bruegel forment deux groupes caractéristiques : les croquis et les compositions. Les feuilles d'étude ont pour objet la figure, de préférence humaine, dont le peintre cherche à fixer l'attitude, le mouvement, le type de visage ou encore certains détails de vêtements souvent annotés pour l'emploi des couleurs. Bruegel fit aussi de nombreux dessins de paysage, qui sont certes préparatoires à ses tableaux, mais constituent aussi des œuvres en soi. Ses dessins de compositions ont été conçus surtout pour la reproduction par la gravure. Bruegel les a exécutés à la plume après avoir fait souvent un rapide croquis à la craie noire. Ces œuvres sont conservées dans les cabinets de Dessins et d'Estampes d'Amsterdam (la Foi, 1559 ; la Chute du magicien Hermogène, 1564), de Berlin (l'Alchimiste, l'Âne à l'école, 1556 ; l'Espérance, 1559), de Bruxelles (la Prudence, 1559), de Hambourg (l'Été, 1568), de Rotterdam (la Charité, la Force, la Tempérance, 1559), de Vienne (Les gros poissons mangent les petits, 1556 ; le Jugement dernier, 1558 ; le Peintre et le connaisseur, 1565 ?), de Londres (la Calomnie d'Apelle, 1565), d'Oxford (la Tentation de saint Antoine, 1556), de Paris (Paysage alpestre, 1555), et dans ceux de la coll. Lugt à l'Institut néerlandais de Paris et de la coll. Seilern (Courtauld Institute Galleries) à Londres.

Les gravures

L'éditeur Hieronymus Cock, d'Anvers, avec lequel Bruegel collabora à partir de 1533, recueillit près de 135 dessins de l'artiste, qu'il fit reproduire par différents graveurs. Ces estampes connurent un prodigieux succès et furent maintes fois rééditées, particulièrement pendant le cours du xviie s. Différant de l'œuvre peint par l'importance accordée au trait et la sobriété incisive de la ligne, elles en suivent de près l'iconographie et les thèmes. Citons parmi les œuvres principales : la suite des Douze Grands Paysages (1553-1557), le Grand Paysage alpestre, la suite des Sept Péchés capitaux (1556-57), le Jugement dernier (1558), la Fête des fous, la Kermesse d'Hoboken (1559), les Sept Vertus (1559-60), la suite des Petits Paysages de Brabant et de Campine (1559-1561), le Pèlerinage des épileptiques à Molenbeek-Saint-Jean (1564), la suite des Vaisseaux de mer (1564-65), la suite des Douze Proverbes flamands (1568-69).

Pieter le Jeune, dit d'Enfer (Bruxelles 1564 –Anvers 1638). Âgé de cinq ans à la mort de son père, Pieter Bruegel l'Ancien, il n'a pu être formé par lui. Selon Van Mander, il fut mis en apprentissage chez le paysagiste anversois Gillis Van Coninxloo. Franc maître à Anvers en 1585, Van Mander parle de lui en 1604 comme d'un bon copiste des tableaux de son père. Au cours de la première moitié de sa carrière, il multiplie les répliques — conservées dans nombre de musées — du Dénombrement de Bethléem, de la Prédication de saint Jean-Baptiste, de la petite Adoration des mages sous la neige, des Proverbes flamands, du Cortège de noces, mais il s'abstient de copier les grands paysages de la suite des Mois. Il traduit aussi en peinture des dessins et des gravures du vieux Bruegel (les Quatre Saisons, la Danse de noces). Il a eu le mérite de transmettre le souvenir de quelques tableaux perdus de son père : le Berger fuyant devant le loup (Philadelphie, Museum of Art, coll. Johnson), Couple paysan attaqué par des routiers (Stockholm, université). Pieter le Jeune est certainement l'auteur de plusieurs compositions originales, principalement des scènes de kermesse, peintes avec verve et sans arrière-pensée moralisatrice. Le surnom de Bruegel d'Enfer, qui lui fut donné de bonne heure, ne semble pas fondé, car les petites scènes infernales de style bruegélien, peintes sur cuivre dans les premières années du xviie s., lui furent données par erreur et sont l'œuvre de son frère, Bruegel de Velours.

Jan I, dit de Velours (Bruxelles 1568 – Anvers 1625). Bruegel Jan I, dit Bruegel de Velours en raison de la séduction de sa palette, était le deuxième fils de Pieter Bruegel le Vieux ; artiste fécond et varié, il est le plus doué parmi sa descendance et atteint à une réelle grandeur avec la Bataille d'Issus (1602, Louvre). Il entre d'abord dans l'atelier d'un maître anversois, P. Goekindt, avant de partir v. 1590 pour l'Italie en passant sans doute par Frankenthal. En 1596, il est de retour à Anvers, où il s'inscrit comme maître. Après des voyages à Prague et à Nuremberg, il est nommé peintre de cour en 1609 par les archiducs Albert et Isabelle, mais reste établi à Anvers. Peintre de paysages, il s'inspire à ses débuts de Gillis Van Coninxloo (Paysage boisé, 1597, Munich, Alte Pin.), puis, perfectionnant sa technique, il crée un genre nouveau à la fois simple et lyrique, d'une tonalité où dominent les bruns et les bleu-vert, et que peuplent des animaux, des fruits ou des personnages exécutés parfois par d'autres artistes : le Paradis terrestre (Mauritshuis), en collaboration avec Rubens. Ses natures mortes sont rares, mais ses tableaux de fleurs sont, en revanche, nombreux ; ses bouquets sont peints de manière brillante et minutieuse, présentés tantôt dans des vases (Milan, Ambrosienne), tantôt dans une coupe (1618, Bruxelles, M. R. B. A.). Il entoure de guirlandes des Vierges et des Saintes Familles de Rubens (Louvre ; Bruxelles, M. R. B. A.) et compose aussi diverses allégories des Sens ou des Éléments (Prado, Louvre). Sa maîtrise à traiter tous les genres, et plus particulièrement le paysage, dont il est le plus important représentant (Rijksmuseum ; musée d'Anvers ; Francfort, Städel. Inst. ; Londres, Wellington Museum ; Prado ; Munich, Alte Pin. ; Rome, Gal. Doria Pamphili), lui valut d'être imité par de nombreux artistes.

Ambrosius (Anvers 1617 – id. 1675). Inscrit à la gilde d'Anvers en 1645 et doyen en 1653 et en 1671, ce fils de Jan I, dit de Velours, est mal connu en tant que peintre, sauf pour quelques paysages signés en toutes lettres et repérés dans des ventes ou des collections particulières. Quant à son activité de peintre de fleurs, elle n'est attestée par aucun tableau sûr, la plupart des attributions faites en faveur d'Ambrosius et fondées souvent sur des signatures AB (Turin, Gal. Sabauda, avec la date 1671) devant être récusées au profit d'Abraham Bruegel ou de l'atelier de Jan I.

Jan II dit Jan Bruegel le Jeune (Anvers 1601 – id. 1678). Fils de Jan I, il séjourna en Italie de 1622 à 1625, puis revint à Anvers. Les quelques tableaux signés (musée d'Anvers ; Munich, Alte Pin. ; Dresde, Gg) sont proches des sujets et du style de son père, dont il a copié les œuvres ; mais sa facture est plus grossière, et ses nuances sont moins délicates.

Abraham (Anvers 1631 – Naples 1697) , fils de Jan Bruegel II. Jeune encore, il s'établit à Rome, où il résida de 1659 à 1670 avant de se fixer à Naples. Peintre de guirlandes, sa formule est celle de Daniel Seghers ; mais il est surtout connu par une vingtaine de grandes Natures mortes de fleurs et de fruits, avec fonds de paysage ou de figures, comme celles, signées, de Bruxelles (M. R. B. A.), de Stockholm (Nm) ou du Louvre (1669). L'artiste y joint à la conception de Snyders et de Fyt une manière italienne plus lourde. Influencé par Paolo Porpora, il a joué un grand rôle auprès des peintres napolitains de natures mortes comme Giovanni Battista Ruoppolo et Giuseppe Recco.

Jan-Baptist (Anvers 1647 – Rome 1719) , fils de Jan II. On lui attribue deux Natures mortes (Turin, Gal. Sabauda).