Ajax Télamon

Le suicide d'Ajax.
Le suicide d'Ajax.

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Dit aussi « le Grand » pour le différencier d'Ajax le Locrien ; roi de Salamine et de Périboéa (ou Éribée), fils de Télamon, et héros grec de la guerre de Troie, à laquelle il participe avec douze navires.

Seul en ligne, couvrant les morts de ton bouclier, tu as soutenu, Ajax, un rude combat près de la flotte contre l'armée troyenne. Tu n'as reculé ni devant le bruit des pierres, ni devant la grêle des flèches, ni devant le feu, ni devant les javelots, ni devant le choc des épées ; mais tu es resté là, aussi ferme qu'un roc, qu'une citadelle, bravant l'ouragan de la mêlée. Si la Grèce ne t'a pas décerné les armes d'Achille comme une récompense proportionnée à ton courage, la faute en est aux Moires qui l'ont ainsi voulu, afin que tu ne périsses que de ta propre main.

Si l'on en croit Homère, seul Achille lui est supérieur en force et en courage ; mais il égale le « Petit » Ajax en brutalité. Et, comme Achille, il est seul à connaître la partie de son corps qui peut donner prise aux armes : Héraclès, en effet, avait demandé à Zeus qu'il naisse à Télamon un fils courageux et invulnérable, le remerciant ainsi de l'avoir aidé à se venger du roi de Troie, Laomédon. Pour lui montrer qu'il a entendu, Zeus fait apparaître un aigle, animal auquel Télamon doit son nom d'Ajax.

Pour avoir été prétendant à la main d'Hélène, Ajax se doit de combattre à Troie, lorsque la femme de Ménélas est enlevée par Pâris. « Rempart des Achéens », après un tirage au sort il se mesure à Hector pendant une journée entière. Finalement, les deux guerriers cessent le duel sans que l'un soit vainqueur ou vaincu. Comme preuve de son admiration, Hector lui offre son épée.

Le coup de folie

Après la mort d'Achille, Thétis décrète que les armes du héros troyen reviendront au plus valeureux guerrier grec. Justement ou injustement, elles échoient à Ulysse, ce qui rend Ajax fou furieux (il semble qu'Athéna ait fait pencher la balance en faveur d'Ulysse ; autre explication : ce « jugement des armes » est rendu par des prisonniers troyens désireux de voir le perdant se retourner contre son propre camp). Une nuit, sous l'emprise d'Até, divinité de l'erreur, et croyant avoir affaire à des guerriers, Ajax fait un carnage du bétail, coupant les têtes, égorgeant, assommant à la ronde.

Athéna a provoqué cette démence pour l'empêcher de détruire la flotte achéenne. Alors qu'il s'apprête à retourner ses armes contre Ulysse, la déesse le fait revenir à la raison ; Ajax a honte de son comportement. Connaissant la cause de son délire, il s'imagine que les dieux le haïssent, que les Grecs l'exècrent, qu'il est odieux à la Troade tout entière. Que faire ? fuir ? Mais que pensera Télamon, son glorieux père, d'un enfant si lâche ? Il se purifie. Après quoi, il s'enfonce dans la gorge, ou dans le flanc, son épée, cadeau d'Hector – cette épée qui, croit-il, ne lui a causé que des malheurs.

Du sang d'Ajax répandu naît une fleur, qui prend son nom (aiax) : l'hyacinthe, dont les premières lettres (ai) sont inscrites sur les pétales, « une fleur de pourpre, qui attestera par un cri de douleur l'iniquité du jugement ».

Le tombeau du héros

Tecmesse découvre son cadavre. Elle rend Pallas responsable de sa mort – cette déesse qui veut plaire à Ulysse. Agamemnon et Ménélas interdisent à Teucer (demi-frère d'Ajax du côté de leur père) de lui rendre les honneurs. Mais Teucer leur tient tête : son frère aura un tombeau.

Agamemnon ne comprend d'ailleurs pas que Teucer, qu'il traite d'esclave, ose prendre une telle décision. Teucer, alors, rappelle l'héroïsme d'Ajax : n'a-t-il pas sauvé la vie à ce même Agamemnon qui lui refusait les honneurs ? Agamemnon a-t-il la mémoire si courte ? Teucer réitère les hauts faits de son frère, en ne manquant pas de souligner que lui, le fils de barbare, était chaque fois à son côté. Il en profite pour rappeler qu'Agamemnon n'a pas une ascendance si pure : n'est-il pas né d'une Crétoise, surprise dans les bras d'un esclave ?

Contre toute attente, et à la grande surprise d'Agamemnon, Ulysse déclare qu'il n'est pas dans ses intentions d'humilier Ajax. S'il reconnaît qu'Ajax était son ennemi, il le tient cependant pour un héros. Agamemnon se range à sa décision. On élèvera un tombeau à Ajax au cap Réthée (ou Rhoété), et un temple lui sera consacré. Télamon venge son fils en faisant échouer la flotte d'Ulysse contre des récifs.

Voir aussi : Télamon, Até

Variante : L'invulnérabilité d'Ajax

Héraclès fait don à Ajax de la peau dont il se couvre lui-même, celle du lion de Némée. C'est ce vêtement qui, à la longue, procure à Ajax l'invulnérabilité, excepté en un seul endroit, là où le fils d'Alcmène portait son carquois. Cette version, évidemment, cadre mal avec celle de Quintus de Smyrne pour qui Ajax s'enfonce l'épée dans la gorge ; elle est en accord avec celle de Sophocle.

Variante : La mort d'Ajax

I. Ajax meurt en combattant, des suites d'une blessure occasionnée par une flèche, après avoir lui-même tué Pâris.

II. Agamemnon refuse que le corps d'Ajax soit brûlé ; il est alors enseveli au promontoire Rhoété. En outre, d'après Calchas, il est sacrilège de brûler un homme qui s'est suicidé.

Variante : La folie d'Ajax

Si Ajax perd la raison, c'est à la suite de sa dispute avec Ulysse au sujet du Palladion (statue de Pallas Athéna), qui revient au fils de Laërte. À sa mort, le bruit court qu'Ulysse l'a tué. Lorsque Pyrrhos, le fils d'Achille, rend les honneurs funèbres à Ajax, la cérémonie soulève tant d'indignité, tant de colère parmi les Achéens, qu'Ulysse, craignant pour sa vie, s'enfuit en emportant le Palladion et se réfugie auprès de son ami Diomède, au cap Sigée.

Voir aussi : Palladion

La folie d'Ajax

À la prière du coryphée, Tecmesse raconte la folie d'Ajax, son époux :

Tu sauras tout, car toi aussi, ce malheur te touche. Au milieu de la nuit, quand les feux des bivouacs eurent cessé de briller, il prit son épée au double tranchant, comme pour une sortie que rien ne justifiait. Et moi, je le blâmais, lui disant : « Que fais-tu, Ajax ? Où cours-tu sans être appelé, sans qu'un messager soit venu t'avertir, ou que la trompette ait frappé tes oreilles ? En ce moment, toute l'armée dort. » Mais lui me répond par ces simples mots, qu'il aimait à répéter : « Femme, le silence est la parure des femmes. » Et, docile, je le laisse aller ; il s'élance seul hors de la tente. Ce qu'il fit là-bas, je ne saurais le dire ; il rentra poussant devant lui, liés ensemble, des taureaux, des chiens de berger et tout un butin cornu. Aux uns il coupe la tête ; aux autres, les soulevant de terre, il ouvre la gorge, brise l'épine dorsale ; ceux qu'il avait attachés, il les maltraite, se ruant sur ces bêtes comme sur des hommes. À la fin, il franchit la porte, tenant à je ne sais quel fantôme des discours violents contre les Atrides, contre Ulysse, y mêlant de grands éclats de rire, et se vantant d'avoir tiré d'eux une terrible vengeance. Puis, de nouveau, il se précipite dans sa tente et, recouvrant à grand-peine l'usage de sa raison, avec le temps, il s'apaise. Mais, à la vue de sa demeure pleine du carnage causé par son délire, il se frappe la tête, il gémit : étendu sur les cadavres des troupeaux égorgés, il ne les quitte plus et s'arrache les cheveux à pleine main.

Longtemps il resta là, silencieux ; puis, m'adressant de terribles menaces si je révélais tout ce qui s'était passé, il me demanda à quelle misère il était tombé. Et moi, amis, malgré ma frayeur, je lui contai ce qu'il avait fait, autant, du moins, que je pouvais m'en rendre compte. Alors, il poussa de lugubres gémissements, comme je n'en avais jamais entendu sortir de sa poitrine, car il avait coutume de dire que de pareilles plaintes sont le fait d'un cœur lâche et facile à abattre ; ce n'étaient point des lamentations aiguës, mais bien plutôt de profonds soupirs, semblables aux mugissements d'un taureau. Et maintenant, plongé dans cet abîme d'infortune, sans manger, sans boire, au milieu des bêtes pantelantes, il reste immobile dans son accablement. Mais il est certain qu'il médite quelque malheur ; on le devine à ses paroles et à ses gémissements. Ô mes amis – car c'est dans ce dessein que je suis venue –, entrez, secourez-le, si vous pouvez pour lui quelque chose ; ce sont des voix chères qui font céder les douleurs comme la sienne.

Sophocle

Le suicide d'Ajax.
Le suicide d'Ajax.