États-unis

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Les débuts de la vie musicale aux États-Unis remontent aux premiers temps de la colonisation. Le goût du chant choral amené par les Européens se développa au temple ou en famille, au point que, vingt ans seulement après l'arrivée des premiers colons, le deuxième livre imprimé en terre américaine était un livre de psaumes, le Bay Psalm Book, comprenant une centaine de compositions des meilleurs musiciens anglais contemporains et qui devait se substituer rapidement au psautier d'Ainsworth. Au début du xviiie siècle, la première collection entièrement américaine de thèmes, paroles et musiques était publiée (Introduction au chant des psaumes du rév. John Tufts) ainsi qu'un ouvrage théorique (Introduction à l'art du chant d'après les notes du rév. Thomas Walter), cependant qu'à Boston, dès 1731, le premier concert était organisé et que, dès 1700, les premiers orgues envoyés d'Allemagne arrivaient dans les églises de Pennsylvanie et de Virginie.

L'essor de la vie musicale

Il fallut attendre cependant le milieu du xviiie siècle pour voir une évolution qui ne fût pas due seulement aux émigrants ; encore les nombreux « compositeurs » américains de cette époque n'étaient-ils que des mélodistes plus ou moins incultes, comme Francis Hopkinson (1737-1791), auteur d'un recueil de chansons et de pièces d'esprit religieux, William Billings (1746-1800), dont les « airs fugués » connurent une vogue immense, Supply Delcher, surnommé « le Haendel du Maine » ou James Lyon (1735-1794), auteur d'Urania, collection de psaumes, motets et cantiques à l'usage des églises et des familles. John Antes (1740-1811) fut le premier Américain de naissance à écrire de la musique de chambre. Plusieurs générations de professeurs et de techniciens se succédèrent pour assurer à la vie musicale des États-Unis sa stabilité et sa raison sociale liée aux facteurs propres à la « nation des nations ». L'héritage européen pesa longtemps sur ses destinées à travers les musiciens venus chercher fortune en terre américaine et jusqu'à la naissance d'une école qui ne lui doive rien. Elle mit pour ainsi dire deux siècles à se réaliser, dans l'abandon progressif de l'influence allemande, puis italienne et française. L'essor de Philadelphie et de New York concurrença Boston, et la plupart des grandes villes créèrent des écoles, des orchestres et des saisons d'opéra ; malgré le penchant que le public américain conserva longtemps pour les impressions étranges et l'émotion facile, la campagne « pour la meilleure musique » porta ses fruits dès la première moitié du xixe siècle. Lowell Mason (1792-1872) fut le meilleur animateur de sa génération à Boston et John Paine (1839-1906) le premier compositeur important de cette période avant-première de la musique aux États-Unis, marquée par une abondance de symphonies, concertos et oratorios relevant de l'esthétique germanique. Le rôle de Paine fut décisif dans la constitution du groupe de Boston (Arthur Foote, George Chadwick, Horatio Parker, Daniel Gregory Mason, Edgar Kelley et Edward Burlingame Hill), dont le mérite a été de revaloriser la condition de musicien et de favoriser l'essor du début du xxe siècle.

L'influence du folklore

La recherche de l'accent américain devait ensuite conduire les compositeurs à s'intéresser au folklore, que ce soit sous la forme de la tradition indienne, de l'apport noir ou des vieilles ballades importées par les Européens. Bien avant les premières thèses sur les spirituals et les missions culturelles destinées à les faire connaître, Mac Dowell (1860-1908), formé à Paris (avec Marmontel), Stuttgart (avec Lebert) et Francfort (avec Joachim Raff), avait pressenti les problèmes de sa génération et utilisé des thèmes populaires (Suite indienne) pour exprimer « la vitalité, la jeunesse, l'optimisme et la ténacité d'esprit qui caractérisent l'homme américain ». À la même époque, l'influence de Dvořák, directeur du conservatoire de New York, fut très importante par l'attention qu'il attira sur les chants populaires des Noirs. Tous ses élèves s'en sont inspirés (Rubin Goldmark et sa Negro Rhapsody, Henry Gilbert ou John Powell), ouvrant, par ailleurs, la route à la rencontre de la musique « traditionnelle » et du jazz, dans laquelle on allait voir un potentiel typiquement américain de sonorités et de rythmes. Après le Concertino pour piano de John Alden Carpenter (1876-1951), nombreux furent jusqu'à Gershwin les musiciens tentés par la fusion des deux expressions (Gruenberg, Robert Braine, Aaron Copland, Randall Thompson ou Arthur Kreutz), tentation qui devait d'ailleurs gagner les écoles étrangères (Stravinski, Honegger, Milhaud, Ravel).

Éclectisme et américanisme

Les premiers compositeurs typiquement américains furent donc les contemporains de Debussy et de Ravel et les deux dernières décennies du xixe siècle furent importantes dans la prise de position des créateurs face à l'ensemble des éléments et des problèmes qui leur étaient imposés. C'est alors que l'éclectisme s'installa au cœur de leur musique et d'une manière systématique, puisqu'un public très disponible accordait spontanément crédit à toute expression et à toute syntaxe : Charles Ives (1874-1954), qui demeure le plus audacieux génie de toute la musique américaine, mêla du reste à des mélodies de caractère burlesque ou populaire les plus savantes recherches de polytonalité, d'atonalité ou de polymétrie. Très influencé par les transcendantalistes, il s'inspira de leur doctrine jusque dans le rôle qu'il voulait assigner au domaine sonore et son intuition d'amateur et d'autodidacte le conduisit à réaliser une œuvre véritablement prophétique, encore qu'elle n'eût suscité aucun mouvement de curiosité avant la dernière guerre. On en pourrait dire de même de Carl Ruggles (1876-1971), venu librement à la syntaxe de Schönberg et curieux de formes nouvelles, alors qu'un Charles Griffes (1884-1920) se référa délibérément à l'esthétique de Debussy.

Si la période allant de la création de Pelléas à celle du Sacre du printemps rejette la recherche de l'accent américain au second plan des préoccupations, les « musiciens du siècle » ayant grandi dans le jeu de sollicitations que leur proposait l'école européenne étaient à pied d'œuvre, vers 1920, pour une nouvelle prise de position en faveur de l'américanisme et au moment même où les écrivains jetaient les bases du grand roman américain.

Isolons à ce sujet l'œuvre de Gershwin (1898-1937), autodidacte mais doué d'un infaillible instinct de novateur, dont les réalisations peuvent difficilement s'estimer en fonction des critères habituels, malgré l'estime où les tenaient des musiciens tels que Ravel ou Schönberg. « Musique de genre » d'une qualité supérieure, elle définit, à ce titre et avec les moyens qui lui sont propres, un certain visage de « l'âme du peuple américain », et les différentes étapes de sa carrière (Concerto pour piano, Un Américain à Paris, Porgy and Bess), loin de n'être que l'écho des modèles européens, s'inscrivent dans le sens de l'évolution musicale de son pays.

Dans une intention similaire, mais avec des techniques plus traditionnelles, les « musiciens du siècle » seront volontiers des « expérimentalistes » à la recherche de nouvelles possibilités sonores. Un disciple de Paine, Frederic Converse (1871-1940), avait déjà introduit dans l'orchestre symphonique un certain nombre d'éléments insolites (trompes d'auto, soufflerie, sifflet, enclume), premiers pas vers la surprise qu'escompteront George Antheil avec son Ballet mécanique (utilisant scies circulaires et hélice d'avion), Lou Harrison avec Canticles (tambours de freins et tuyaux de fer) et, plus récemment, John Cage, alors qu'Henry Cowell (1897-1965) inaugurera le tone-cluster.

Réciproquement, Roger Sessions, Virgil Thomson, Howard Hanson, Roy Harris ou Aaron Copland et les innombrables élèves de Nadia Boulanger se sont orientés vers un néoclassicisme inspiré de Stravinski qui devait fortement marquer cette époque de maturité créatrice à laquelle la musique américaine était parvenue entre 1920 et 1930. À cette influence, qui n'allait pas sans quelque académisme, allait bientôt s'opposer celle de l'école viennoise dans un nombre considérable de symphonies, d'œuvres lyriques et de musique instrumentale oscillant d'un pôle à l'autre des techniques d'écriture et attestant la même science du métier musical, la même volonté de renouvellement et la même recherche d'un idiome original. La vraie nature du peuple américain se révélait même dans les traditionnels contrastes de l'âge classique entre l'optimisme, le dynamisme, l'énergie propres à l'âme américaine et une certaine angoisse de la solitude, un certain pathétique lié peut-être, comme dans l'expression littéraire, au sentiment de l'immensité ou à la surabondance des biens.

Le règne de la comédie musicale

Bien plus cependant que dans le genre symphonique ou instrumental, la participation originale des États-Unis à l'expression universelle était, dès cette époque, la comédie musicale. Née de la rencontre du « show » de music-hall et de l'opéra-comique, elle avait eu ses premières manifestations avant 1870 et s'était ensuite imprégnée de l'influence des opérettes de Gilbert et Sullivan, importées d'Angleterre. Au début du siècle, sa vogue était devenue considérable et c'est après une nouvelle étape de liaison avec l'opérette de style Europe centrale (Friml et Romberg) qu'elle atteignit sa maturité grâce à Irving Berlin, Jerome Kern, Vincent Youmans et Cole Porter. Expression nationale d'influences étrangères dont l'une complète l'autre, elle est devenue l'un des spectacles les plus riches et les plus intéressants du monde entier, en même temps qu'elle répond, mieux qu'aucune forme de l'art lyrique, à l'exigence d'un public auprès duquel le culte des valeurs traditionnelles a fait son temps.

La tendance à l'expérimentalisme

Curieux de nouveautés, ce même public qui applaudit South Pacific garde pourtant une disponibilité qui lui permet de consacrer une œuvre inspirée des disciplines schönbergiennes ou à caractère expérimental. Et c'est ainsi que la musique américaine n'a pas, aujourd'hui, de style dominant et que toutes les tendances y sont représentées, de Samuel Barber (1910-1981) aux plus audacieuses conceptions de John Cage (1912-1992) ou de Conlon Nancarrow (1912).

Tandis que le néoclassicisme demeure vivace au cœur des jeunes générations, les éclectiques sont toujours très nombreux, de Robert Starer (1924) à Gunther Schuller (1925), et les dodécaphonistes tels que George Rochberg (1918) explorent jusque dans ses plus extrêmes limites l'héritage de Webern. C'est cependant parmi les expérimentalistes que l'école américaine compte le plus grand nombre de représentants, à la suite de Cage (1912-1992), de Morton Feldman (1926-1987), d'Earle Brown (1926) ou de Christian Wolff (1934), et des possibilités que leur offre aujourd'hui l'électronique. L'avant-garde, représentée par Alvin Lucier (1931), Robert Ashley (1930), Steve Reich (1936), John Adams (1947), Charlemagne Palestine, Terry Fox ou Philip Glass, met en œuvre tous les éléments d'une révision intellectuelle et technique qui lui assurent sa vitalité.

La vie musicale américaine

La vigoureuse diversité que l'on constate dans la production des compositeurs américains marque aussi les autres domaines de la vie musicale. On peut dire qu'aujourd'hui les États-Unis sont un des pays où il s'apprend, se pratique et s'écoute le plus de musique, de tous les genres et de toutes les époques. Cet épanouissement est soutenu financièrement et matériellement par une multitude d'organisations, la plupart de nature privée (parmi elles, la Fondation Ford est la plus riche et la plus active), les autres relevant du gouvernement fédéral (National Endowment for the Arts) ou des collectivités régionales ou locales.

Toutes les écoles américaines, pour ainsi dire, proposent une forme ou une autre d'activité musicale, ne serait-ce, dans les établissements primaires, qu'un simple cours d'initiation à l'écoute de la musique. Tous les collèges universitaires possèdent leur orchestre, qui est souvent un marching band, une fanfare destinée à accompagner l'équipe de football dans ses déplacements, mais qui, la saison sportive terminée, peut se scinder en différents ensembles : ensemble à vent, ensemble de cuivres, etc. L'enseignement musical proprement dit est dispensé soit dans les départements spécialisés des universités, soit dans des conservatoires ou des instituts dont certains, comme la Juilliard School à New York, le Curtis Institute à Philadelphie ou le New England Conservatory à Boston réunissent un corps professoral prestigieux. Tous ces établissements entretiennent diverses formations (chorales, orchestres, ateliers lyriques) qui jouent un rôle d'animation culturelle important dans leur cité ou leur région.

Les États-Unis possèdent une trentaine de grands orchestres symphoniques, dont quelques-uns se classent parmi les toutes premières formations mondiales. Ces orchestres prolongent souvent leur saison par une série de concerts estivaux (généralement gratuits) donnés dans les parcs de leur ville ou dans des amphithéâtres à ciel ouvert (Hollywood Bowl à Los Angeles). Mais il existe en fait, aux États-Unis, plus d'un millier de formations symphoniques d'importance et de qualité variables, entretenues par des municipalités, des groupements de quartier, voire des musées (la National Gallery of Art, à Washington, possède un orchestre de 55 musiciens et un auditorium de 650 places) ou des associations professionnelles (le Chicago Business Men's Orchestra, fondé en 1921, rassemble 50 exécutants et donne 4 concerts par an).

Dans le domaine de la musique de chambre, des formations comme le Juilliard String Quartet, le Beaux-Arts Trio ou Music from Marlboro, de même que, dans celui du chant choral, le Harvard Glee Club (fondé en 1858) ou le célèbre Mormon Tabernacle Choir de Salt Lake City (375 membres) ont acquis une réputation internationale.

Si quatre grandes compagnies d'opéra dominent la scène lyrique américaine (le Metropolitan Opera de New York et le New York City Opera, le Lyric Opera de Chicago et le San Francisco Opera), presque toutes les grandes villes des États-Unis ont une saison lyrique, plus ou moins longue, plus ou moins riche (l'Opera Company de Philadelphie présente chaque année 8 ou 10 ouvrages, celle de Denver 2 ou 3). De très nombreux opéra-studios fonctionnent au sein des universités et des conservatoires (rien qu'à New York, on en compte une quinzaine). Cette institution est particulièrement bénéfique pour l'opéra contemporain : elle a notamment permis la création du Medium de Menotti (à l'université Columbia) et de la version révisée d'Anthony and Cleopatra de Samuel Barber (à la Juilliard School).

Plus d'une centaine de festivals animent l'été musical américain. Certains sont ouverts à toutes les formes de spectacles, d'autres sont plus exclusifs : celui de Santa Fe est voué au théâtre lyrique, tandis que Saratoga accueille régulièrement l'Orchestre symphonique de Philadelphie et le New York City Ballet, qui en ont fait leur port d'attache pour l'été. Plusieurs festivals sont en fait des séminaires ou des ateliers musicaux, dont les participants donnent des concerts publics : dans ce genre, le plus réputé est celui de Marlboro, mais celui d'Aspen dans le Colorado ou celui de Tanglewood dans le Massachusetts (consacré à la musique contemporaine) fonctionnent suivant le même principe.

L'audience de la musique contemporaine n'a cessé de s'élargir au cours des 20 dernières années. Non seulement il existe de nombreux groupes spécialisés (les compositeurs Philip Glass et Steve Reich possèdent chacun leur propre formation, qui n'exécute que leur propre musique), non seulement de nombreuses séries de concerts sont réservées à la musique d'aujourd'hui, mais encore les grands orchestres ou les ensembles « classiques » inscrivent régulièrement des œuvres nouvelles à leurs programmes. L'Orchestre symphonique de Louisville publie chaque année, sous sa propre étiquette, 6 disques de musique contemporaine américaine. Toute l'information en ce domaine est centralisée par l'American Music Center (A. M. C.). Cet organisme, qui regroupe près d'un millier de membres (compositeurs, éditeurs, musicologues, etc.), possède une importante bibliothèque de partitions déjà publiées ou encore inédites, et envoie à ses adhérents une lettre bimensuelle où sont annoncés les concerts, les nouveaux enregistrements, les modifications à la législation en vigueur concernant les musiciens…

Enfin, si les manifestations musicales, aux États-Unis, peuvent se dérouler dans les lieux les plus divers (musées, bibliothèques publiques, universités), on ne saurait passer sous silence l'énorme effort accompli depuis le début des années 60 pour doter le pays de structures d'accueil répondant au phénomène de diffusion massive de la culture qui caractérise notre époque. Presque toutes les agglomérations de quelque importance possèdent un « centre civique » où sont réunis salles de concert et halls d'exposition. Les plus prestigieux sont le Kennedy Center à Washington, le Music Center à Los Angeles et le Lincoln Center à New York.