orgue

Orgue classique
Orgue classique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Instrument à vent dans lequel les sons sont émis par des tuyaux commandés à partir d'un ou de plusieurs claviers, le vent les mettant en vibration étant fourni par une soufflerie.

L'orgue est le plus ancien des instruments à clavier. Au fil des siècles, il est devenu l'un des plus riches et des plus complexes de tous les instruments de musique savante, celui susceptible de la plus grande étendue du grave à l'aigu et de la plus grande puissance. Ces caractéristiques, jointes à la diversité de ses timbres et à son emploi fréquent dans les lieux de culte, l'ont fait surnommer « le pape des instruments » (Berlioz).

Les variétés

Il n'existe pas deux orgues semblables, à l'exception des petits instruments d'étude fabriqués aujourd'hui en séries de quelques unités. Chaque instrument est bâti selon des principes généraux communs à tous les orgues et souvent fort anciens, mais possède une individualité propre. Il est conçu et « composé » en fonction des desiderata, des goûts et des possibilités financières de son acquéreur, toujours sur mesures. De plus, l'organier donne aux différents jeux choisis pour l'instrument qu'il construit un caractère sonore (attaque, timbre, puissance), qui dépend de son propre style, mais aussi des mélanges de jeux possibles sur cet instrument (afin de réaliser des ensembles et un plénum cohérents) et de l'acoustique du lieu où ce dernier aura à se faire entendre. C'est ce que l'on appelle l'« harmonie » de l'instrument.

Depuis l'instrument primitif et rudimentaire de l'Antiquité, l'hydraule, l'orgue a considérablement évolué. L'instrument traditionnel à tuyaux et à claviers s'est lui-même diversifié en plusieurs formes : le grand orgue, celui que l'on rencontre dans les églises, le petit orgue ou positif, de dimensions et de possibilités plus modestes, et le tout petit instrument portable ou portatif. Au xixe siècle ont été conçus et réalisés de nouveaux instruments : un orgue mécanique, mû par un cylindre tournant remplacé plus tard par des feuilles de carton perforé, l'orgue de Barbarie (souvent appelé du nom de son principal constructeur français, limonaire) ; et un instrument à anches libres, appelé alors « orgue expressif » et connu aujourd'hui sous le nom d'harmonium. Le xxe siècle a vu naître à son tour l'orgue électronique, dans lequel les tuyaux sont remplacés par des oscillateurs électriques, des amplificateurs et des haut-parleurs, et la forme la plus évoluée de l'orgue électronique, le synthétiseur, qui, lui, se démarque radicalement de l'orgue à tuyaux traditionnel.

Les fonctions de l'orgue

L'orgue de l'Antiquité apparaît dans les jeux du cirque, où il assure une fonction d'appel et de signalisation. Chez les Romains, on le trouve aussi associé aux banquets dont il rehausse l'éclat par ses sons très puissants. Dans l'Occident chrétien, il est d'abord toléré dans les monastères et les églises, comme guide-chant, mais avec réticence, en raison de ses origines païennes. Il parvient cependant à s'imposer, au point d'exclure toute autre forme de musique instrumentale pendant plusieurs siècles et de devenir l'instrument par excellence de la liturgie chrétienne. En effet, généralisé dans l'Église catholique, il est également adopté par les luthériens, les anglicans et même les calvinistes, en dépit de la méfiance de ces derniers à l'égard de la musique. Chez eux, il sera relégué au rang d'accompagnateur des cantiques, tandis que, pour les catholiques et les luthériens, il fait partie intégrante de la liturgie : accompagnement des mouvements des fidèles (entrée, communion, sortie, processions), paraphrase des textes chantés (chorals, versets de psaumes, de magnificat, d'hymnes), prière et méditation en musique (offertoire, élévation). Dans les régions comme l'Autriche ou la Bavière, qui pratiquent encore la grand-messe baroque avec orchestre et chœurs, ou pour les cantates exécutées dans les églises luthériennes, l'orgue se joint à l'ensemble orchestral ; il est, entre autres, chargé d'accompagner le récitatif et d'exécuter la basse chiffrée. Le retour massif de la participation chantée de l'assemblée dans l'Église catholique depuis le concile Vatican II, la disparition de la tradition chorale en France et l'introduction dans les lieux saints de musiques nouvelles, d'inspiration profane et exécutées sur la guitare électrique, le synthétiseur ou les percussions, ont considérablement réduit la fonction liturgique de l'orgue, en France particulièrement ; et les orgues d'église de quelque intérêt se font davantage entendre dans des concerts qu'à la messe ou à l'office.

Mais on trouve aussi l'orgue hors de l'église ou du temple. Dans les salles de concert ou de spectacle, où il se fait entendre soit comme soliste en récital, soit dans les œuvres orchestrales requérant sa participation. Au cinéma, où, à l'époque du film muet (et principalement entre 1920 et 1930), l'organiste exécutait des illustrations sonores des images, ou bien agrémentait le temps de l'entracte sur des instruments au caractère adapté à cette fonction (jeux ondulants, jeux de percussion, forte pression d'air, etc.). L'orgue a même pris place dans des grands magasins : le plus volumineux instrument du monde se trouve aux magasins Wanamacker, à Salt Lake City (États-Unis), où il a quotidiennement à distraire les chalands ou à les inciter à l'achat (le talent de l'organiste doit s'y révéler d'une importance décisive).

Les orgues mécaniques accompagnent les fêtes populaires, les bals publics ou les manèges de chevaux de bois, ou font entendre dans les rues et les guinguettes des refrains connus. Quant à l'orgue électronique, s'il sert de succédané à l'orgue à tuyaux auprès des paroisses peu fortunées, il s'est surtout répandu dans les orchestres de variétés et les ensembles de musique pop.

La structure de l'orgue

L'ensemble des commandes accessibles à l'exécutant est réuni en un meuble (console), indépendant ou encastré dans le bâti de l'orgue. Ces commandes sont dirigées vers les organes de production sonore par des éléments de transmission mécanique, pneumatique ou électrique. Le vent destiné à faire sonner les tuyaux est produit par une soufflerie (à moteur électrique de nos jours, mais mécanique jadis, animée par un ou plusieurs souffleurs), puis mis en réserve et sous pression convenable dans des soufflets. Quant aux divers tuyaux, dont le nombre peut aller de quelques unités à plusieurs milliers, ils se trouvent placés sur différents sommiers dans lesquels arrivent l'air sous pression et les différentes commandes. Tuyaux et sommiers sont enfermés dans le buffet, qui joue un rôle à la fois décoratif, protecteur et acoustique.

La console

Elle met à la disposition de l'exécutant le ou les claviers (appelés grand orgue, positif, récit, écho et parfois encore solo, grand-chœur ou bombarde), ainsi que le pédalier. On y trouve aussi un certain nombre de registres, boutons ou tirettes étagés en gradins ou disposés verticalement de chaque côté des claviers, registres qui appellent en fonctionnement les divers jeux de l'instrument. D'autres commandes, mises en œuvre à la main ou au pied, régissent les accouplements et les tirasses, et les éventuelles combinaisons fixes ou ajustables. Ces combinaisons permettent, par l'intermédiaire de dispositifs mécaniques, pneumatiques, électriques et aujourd'hui électroniques, de programmer à volonté diverses registrations (ou mélanges de jeux) ; qu'elles soient préparées par le facteur d'orgues ou ajustables à volonté par l'organiste, elles seront introduites d'un seul coup, au cours de l'exécution, par simple pression sur un bouton ou une pédale. Ce dispositif évite à l'exécutant d'avoir à s'entourer, comme jadis, de tireurs de jeux installés à ses côtés, dont le rôle était de modifier au moment opportun les sonorités requises par le morceau interprété. Les pieds de l'exécutant peuvent encore commander, depuis la console, l'ouverture ou la fermeture des jalousies de la boîte expressive (pédale d'« expression »), et éventuellement un crescendo progressif, faisant intervenir tous les jeux du plénum dans un ordre croissant d'intensité.

L'emplacement longtemps considéré comme le plus logique pour la console a été celui dit « en fenêtre », les organes de commande étant encastrés dans le soubassement du buffet, ce qui réduisait de ce fait la longueur des organes de transmission, génératrice de retards, de dureté de manœuvre et d'incidents. Mais à partir du xixe siècle, on a généralement préféré construire des consoles séparées, placées en avant du buffet et permettant à l'organiste de diriger ses regards vers le lieu du culte dans lequel il a à intervenir. Grâce à la transmission électrique, on peut réaliser aujourd'hui des consoles mobiles, reliées au buffet par un gros câble contenant tous les fils de commande électrique (plusieurs centaines). Cette disposition se révèle particulièrement appréciable dans les salles de spectacle, puisqu'elle permet à l'organiste d'intervenir aussi bien sur la scène, depuis la coulisse ou dans la fosse d'orchestre.

La transmission des commandes des touches des claviers et du pédalier

Elle peut se faire par système mécanique, pneumatique ou électrique, avec possibilité de mêler ces procédés entre eux (par exemple, transmission mécanique des touches et électrique des registres). Mécanique, elle fait appel à des vergettes qui prolongent l'action de l'enfoncement de la touche au sommier ; ce mouvement est relayé par des équerres et un dispositif démultiplicateur appelé abrégé. Dans la transmission pneumatique (dite aussi « tubulaire »), les pièces mécaniques sont remplacées par de petites conduites d'air comprimé ; mais ce type de commande met un certain temps à entrer en action (celui du déplacement de l'air dans les tubes), et les retards parfois très gênants occasionnés ainsi à l'exécution ont conduit à abandonner ce procédé qui, par ailleurs, était beaucoup plus sujet à incidents et pannes que la transmission mécanique. Quant à la transmission électrique, parfaitement au point de nos jours, elle permet de réaliser des consoles mobiles ou éloignées du buffet, et simplifie les commandes dans les très grands instruments. Elle consiste à placer des contacts électriques à toutes les commandes de la console (notes, registres, appels d'accouplements, de tirasses et de combinaisons) ; des câbles véhiculent instantanément le courant jusqu'aux sommiers, où il actionne des électroaimants. On a, un temps, imaginé une combinaison de la transmission pneumatique avec des sommiers à électroaimants ; mais cette transmission « électropneumatique » a cédé le pas devant les possibilités du système électrique. Il faut cependant souligner que, malgré ses incontestables avantages, la transmission électrique présente le lourd inconvénient de dépersonnaliser le toucher du clavier, l'attaque et la pression des doigts de l'organiste sur les touches demeurant sans effet correspondant sur le mode d'ouverture de la soupape.

Pour alléger la transmission mécanique dans les grands instruments (et en particulier dans ceux dont la mécanique avait été mal réglée ou peu entretenue, voire mal conçue), l'organier Barker a imaginé, en 1839, une machinerie de leviers pneumatiques qui prennent le relais de la commande manuelle et constituent en quelque sorte des amplificateurs de puissance à la traction mécanique. Ainsi, l'organiste éprouve moins de difficultés à enfoncer les touches, surtout lorsque les claviers sont accouplés entre eux et qu'il y a une mécanique importante à faire mouvoir. Mais la machine Barker entraîne les mêmes inconvénients sur le toucher que la transmission électrique.

La soufflerie

Elle est assurée par un ventilateur électrique, qui envoie de l'air dans de grands réservoirs à soufflets recouverts de poids. Leur but est de régulariser le débit d'air et de mettre cet air à pression convenable. Il peut alors être dirigé sans à-coups vers les sommiers par l'intermédiaire de tubes porte-vent.

Les tuyaux de l'orgue

Ils peuvent être de deux types, à bouche ou à anche, selon le mode d'émission du son. À bouche, ils composent les jeux de fond ou les jeux de mutation et de mixtures. Ces tuyaux sont rangés par séries, correspondant aux jeux, sur les sommiers. Certains d'entre eux, trop volumineux, sont placés à l'écart, et des tubes porte-vent les alimentent individuellement depuis leur emplacement théorique sur le sommier : ont dit qu'ils sont « postés ». Il en va de même pour les tuyaux placés en façade du buffet, ou en montre, qui ne reposent pas directement sur le sommier, mais sont également postés. Quoique le matériau dans lequel sont fabriqués les tuyaux n'ait pas d'influence sur le timbre du son produit, il peut favoriser la réalisation du sifflet proprement dit qui engendre le son (bouche et biseau), et donc jouer sur l'attaque du son. Les organiers ont de tout temps choisi l'étain, mêlé à un taux variable de plomb, pour réaliser les tuyaux : cet alliage présente en effet la double propriété d'être très malléable pour être travaillé avec précision, et suffisamment solide pour que les plus grands de ces tuyaux ne se tassent pas sous leur propre poids. On construit également des tuyaux en bois, de section carrée, surtout pour les jeux de bourdon. La hauteur du son émis par les tuyaux est fonction de leur partie active, de la bouche à l'extrémité supérieure ; et c'est la forme et la section des tuyaux qui sont responsables du timbre du son.

Les sommiers

Ils assurent la répartition du vent dans les tuyaux que l'organiste veut faire sonner : la soupape correspondant à la note introduit l'air à la base de tous les tuyaux que cette note est susceptible de faire jouer sur le clavier considéré ; mais seuls seront entendus les tuyaux dont l'admission d'air n'est pas obturée par le registre, c'est-à-dire ceux pour lesquels l'organiste aura tiré le registre du ou des jeux qu'il souhaite faire entendre.

L'histoire de l'orgue

Le plus ancien orgue connu est dû à Ctesibios d'Alexandrie, au iie siècle av. J.-C. C'est l'hydraule, qui ne comporte que quelques tuyaux mis en œuvre par l'intermédiaire de touches grossières. En Occident, l'orgue apparaît à l'époque carolingienne ; il y est importé de Byzance. Il se développe assez lentement d'abord : du ixe au xiie siècle, son étendue passe de une à deux octaves, l'unique rangée de tuyaux se double d'une seconde.

Du xiie au xve siècle

L'orgue se développe considérablement : les tuyaux se multiplient, le clavier s'étend et devient chromatique, la soufflerie se fait plus puissante. Dès la fin du xive siècle, l'instrument, placé en tribune dans les églises, est suffisamment important pour nécessiter qu'on lui adjoigne un autre orgue, plus petit, pour accompagner les chanteurs. C'est le positif, installé sur le devant de la tribune. Au xve siècle, les sommiers se perfectionnent, et la possibilité apparaît d'isoler et de mélanger les jeux par tirage de registres, jeux qui, jusqu'à présent, ne pouvaient fonctionner que tous en même temps.

Le grand orgue classique est alors constitué. Il va désormais connaître diverses évolutions, selon les pays et les écoles de facture qui se multiplient, mais tout en restant fidèle aux grands principes de base qui sont maintenant établis. En Italie, c'est un instrument souvent à un seul clavier, dont le plénum se décompose en de nombreux jeux de principaux qui permettent d'en faire varier la couleur et le caractère. Le plus grand représentant de cette facture est l'organier Antegnati.

Les xviie et xviiie siècles

C'est surtout en France, en Allemagne et en Flandres que l'orgue va se développer en coloris, en plénitude et en contrastes. En France, il présente deux claviers accouplables au début du xviie siècle ; à la fin du même siècle, il en compte trois, parfois quatre et même jusqu'à cinq, conçus pour s'opposer et se répondre. Il s'enrichit de jeux de détail, destinés à chanter en solistes ­ jeux d'anches, notamment ­ et son plénum s'étoffe de nombreuses mixtures qui donnent de la légèreté et de la transparence à ses tutti. Son apogée se situe au début du xviiie siècle. Les principaux représentants de la facture française des xviie et xviiie siècles sont les Thierry et les Clicquot. Les théoriciens en sont le père Mersenne et surtout Dom Bédos, dont le monumental traité, l'Art du facteur d'orgues (1766-1778), unique en son genre, consacre tout le savoir-faire acquis au cours des siècles précédents.

En Flandre et en Allemagne du Nord, l'orgue se singularise par ses jeux de flûte et ses batteries d'anches et ses amples proportions, tandis qu'en Allemagne du Centre et du Sud, l'instrument, moins développé, subit l'influence française et réalise un harmonieux équilibre des diverses tendances. Il est représenté par Fritzsche et Compenius pour le nord, les Schnitger et les Silbermann pour l'ensemble du monde allemand. Les orgues d'Allemagne ont la particularité de posséder un pédalier à touches qui favorise la virtuosité, alors que la France reste encore fidèle à son ancien pédalier à chevilles : l'adoption par la facture française du pédalier à l'allemande ne se fera que vers 1860 seulement.

D'autres pays possèdent une école et un style originaux, comme la péninsule Ibérique, avec ses grands chœurs d'anches et ses tuyaux en chamade, et ses claviers coupés permettant des registrations différentes (Brebos). Les Anglais ont également développé un style spécifique, influencé par les écoles française et flamande (Dallam, Harris).

Le xixe siècle

Après une période de stagnation et même de régression (en France surtout, du fait de la Révolution et du profond changement des goûts et des mœurs), l'orgue va se trouver doublement marqué par la recherche d'améliorations techniques d'une part, et par l'influence du style symphonique d'autre part. Il va sacrifier son caractère propre (jeux de détail fortement typés, mixtures) à une imitation approximative des instruments de l'orchestre et des procédés de l'écriture symphonique ; à la poésie de timbres subtils, il préférera la puissance massive et une virtuosité évidemment calquée sur celle du piano qui triomphe alors. Sur le plan technique, l'orgue symphonique améliore la distribution du vent dans les sommiers, introduit la machine Barker, perfectionne la mécanique. Musicalement, il est plus puissant, mais aussi plus rond, plus grave, plus épais et dense, moins diversement coloré que l'orgue classique ou baroque. Procédant par grandes masses, il use d'effets de crescendo par renforcement de la sonorité en camaïeu et non par enrichissement du coloris ; souffrant d'une sorte de complexe du piano et de son impossibilité à faire varier l'intensité du son en fonction de la frappe de la touche, il cherche un nouveau type d'expressivité par l'usage de la boîte expressive. À côté d'un Cavaillé-Coll, qui réalise les chefs-d'œuvre de l'orgue symphonique, et de facteurs comme Callinet, Abbey ou Harrison, bien des organiers moins doués ont bâti des instruments de moindre intérêt sonore, souvent même en modifiant des instruments anciens à jamais défigurés.

Le xxe siècle

Un mouvement de contestation de l'orgue symphonique s'est développé vers 1920, sous l'impulsion de Victor Gonzalez avec, bientôt, la caution du musicologue Norbert Dufourcq et des instances officielles (commission des orgues du secrétariat des Beaux-Arts). Ce mouvement a abouti en France à un instrument baptisé « néoclassique », qui pratiquait un sain retour à une esthétique ancienne plus spécifiquement propre à l'orgue, mais enrichie d'éléments techniques et sonores ultérieurs. Ainsi s'est concrétisé un instrument de style hybride assez mal défini, présentant un échantillonnage varié de jeux basé sur les compositions d'orgues classiques, tout en maintenant des jeux de l'orgue symphonique et en adoptant des techniques nouvelles, comme la transmission électrique pour les instruments importants. Cet idéal d'orgue à tout jouer a été appliqué non seulement à des instruments neufs, mais aussi à bien des instruments anciens ­ y compris les meilleurs représentants de la facture symphonique, qui se sont trouvés de ce fait dénaturés.

Ce mouvement de retour aux sources devait se poursuivre après 1950 par des recherches plus approfondies sur les divers types d'instruments, classiques et baroques, dont il n'existe pas un seul prototype, mais un certain nombre de types très différenciés par le style, la composition et la réalisation technique. Il a abouti à la construction (ou à la restauration) d'instruments d'esthétique beaucoup plus pure et univoque, véritables copies d'orgues baroques allemands ou classiques français ­ orgues « à la Dom Bédos », « à la Silbermann », « à la Clicquot », etc., par exemple. Ce mouvement salutaire a permis d'accroître les exigences en matière de mécanique et de sonorité. On ne peut cependant nier qu'il ne s'agit là que d'un travail d'archéologie, si réussi soit-il (Kern).

Depuis 1970 environ, et sous la pression de quelques organistes compositeurs, se font jour, en Allemagne principalement, des recherches de sonorités nouvelles et de dispositifs de jeu inédits : harmoniques supplémentaires dans les jeux de mutation, tuyaux ou émetteurs de sons inexplorés encore, programmation ajustable de sonorités et de mélanges sur des notes isolées, accords transposables automatiquement d'une note à l'autre pour permettre l'exécution de clusters, etc. Reste à savoir si des instruments réalisés sur de telles données permettront ou non l'exécution d'œuvres anciennes, ou s'ils devront se spécialiser dans les œuvres écrites à leur intention. Peut-être, en tout cas, ces recherches mèneront-elles un jour à la création d'un type d'orgue véritablement nouveau, comme le xxe siècle n'en a pas encore réalisé.

La musique pour orgue

Jusqu'au xvie siècle, l'orgue, comme d'ailleurs les autres instruments à clavier, ne possède pas de répertoire propre. On y exécute des pièces polyphoniques, sacrées (motets, versets) ou profanes (multiples danses, canzone, variations), soit pour accompagner des chanteurs, soit pour dialoguer avec eux en répons, soit encore pour faire danser ou participer aux fêtes. Il est vraisemblable que, dès cette époque, une part importante était faite à l'improvisation (préludes, fantaisies). Quant à la musique écrite, elle l'était sous forme de tablatures.

Le xvie siècle

Au xvie siècle, apparaissent l'édition musicale et les premières pièces spécifiquement instrumentales. Les œuvres destinées à l'orgue ne se différencient d'ailleurs pas toujours de celles que l'on joue à l'épinette, au virginal, voire au luth. Mais des organistes écrivent des œuvres qu'ils destinent expressément à leur instrument, principalement en Italie, en Flandres et en Espagne, la France se montrant plus en retard en ce domaine. Le siècle est dominé par les figures de l'Espagnol Cabezón, spécialiste des variations, du Flamand Sweelinck, auteur de fantaisies, toccatas et variations, et d'une riche école italienne, où l'on peut relever les noms de Cavazzoni, Merulo, A. et G. Gabrieli, Banchieri, Luzzaschi, Palestrina. Les Italiens multiplient toccatas « per l'elevazione » ou « sopra i pedali », ricercari, canzone, pastorales, etc., sans que ces pièces aient toujours une forme, une attribution instrumentale et une fonction bien précises.

Le xviie et le xviiie siècle

Ils voient à la fois l'apogée de l'instrument classique et baroque et de la fonction liturgique de l'orgue, et la consécration de l'autonomie de la musique instrumentale. C'est aussi un temps traversé de courants mystiques profonds (mystiques français du xviie siècle, piétistes allemands du xviiie, etc.), courants qu'illustreront des compositeurs de génie. En Espagne fleurissent tientos et variations sous la plume de Correa de Arauxo, puis de Cabanilles, ainsi que des « battaglie » qui font sonner les batteries d'anches en chamade des instruments ibériques. L'Italie, après avoir jeté ses feux au xvie siècle, ne produit plus d'œuvres marquantes, et l'Angleterre développe ses voluntaries avec Blow, Purcell, Boyce ou Stanley. Mais les deux pays dominants sont alors la France et l'Allemagne.

En France, une première génération, au début du xviie siècle, celle de Titelouze et de Racquet, pratique les versets contrapuntiques et les fantaisies polyphoniques. Avec Roberday et Louis Couperin (1650), le style se fait moins sévère, sous l'influence de l'art italien. Mais c'est ensuite que l'orgue français connaît ses plus grandes heures. C'est alors le triomphe des grandes pièces faisant sonner le riche plénum de l'instrument classique (grand jeu, plein jeu, préludes, fantaisies), encadrant des pages de caractère poétique, mettant en valeur un ou plusieurs des jeux de détail dont l'orgue français abonde : récits, basses et dessus, duos, trios, dialogues, etc. Telle est l'ordonnance type de ces Livres d'orgue qui vont éclore à profusion en une centaine d'années, de Nivers (1665) à M. Corette (1734), en passant par Lebègue, Jullien, Gigault, Raison, Boyvin, Guilain, Du Mage, Clérambault, Marchand, les sommets du genre étant les deux messes de François Couperin (1690) et le Livre d'orgue de Grigny (1699). Dès 1730, cependant, l'orgue est envahi par les frivolités de style et les coquetteries de virtuoses, empruntées au genre mondain du clavecin, étalant à profusion les variations brillantes (Daquin), paraphrasant les chansons populaires (noëls), et, à la fin du siècle, introduisant des effets descriptifs (orage, tonnerre, oiseaux) dans des pièces imitatives d'un goût douteux et d'une substance musicale extrêmement indigente.

En Allemagne, les musiciens du sud sont influencés par l'Italie, dans leurs chorals, leurs fantaisies ou leurs préludes, d'un caractère volontiers serein et méditatif : Froberger, Muffat, Fischer, Pachelbel. Au nord, au contraire, se développe un art puissant, à la fois dans le développement polyphonique (fugues, chorals variés) et dans la virtuosité proprement organistique (toccatas), en des architectures sonores solidement charpentées. C'est la manière des disciples de Sweelinck, Scheidt, Scheidemann, puis de Boehm, Bruhns, Hanff, Lübeck et surtout Buxtehude.

Tous les éléments sont réunis pour que le prodigieux génie synthétique de J. S. Bach les rassemble, les fonde et les développe en une œuvre unique en son genre, qui résume les deux siècles précédents et semble en épuiser toute la sève : ni les frères Haydn ni Mozart n'apporteront à la musique d'orgue d'éléments majeurs (les deux admirables Fantaisies de Mozart, que l'on joue à l'orgue, étaient destinées à un instrument mécanique).

Le xixeet le xxe siècle

Le xixe siècle et la première moitié du xxe, tout entiers tournés vers la symphonie et l'opéra, négligent d'abord l'orgue, et pour plusieurs décennies. En Allemagne, les œuvres de Schumann, de Mendelssohn, de Brahms et de Reger coulent un langage et une pensée romantiques dans des formes héritées de Bach (préludes et fugues, préludes de chorals) ; seules les quelques pages de Liszt font entrevoir un monde expressif résolument neuf. En France, après un siècle d'effroyable décadence que couronne un Lefébure-Wély, la double influence des organistes demeurés fidèles à la grande tradition germanique (Lemmens, Hesse) et de l'effort de curieux et de chercheurs pour retrouver la musique ancienne et renouer avec le plain-chant, va aboutir à un renouveau d'abord marqué par Boély, puis par Saint-Saëns et Franck, dont les premières pièces datent de 1862.

Le rayonnement personnel de Franck amène à l'orgue de nombreux disciples. Mais c'est Widor qui va former au Conservatoire de Paris la plus réputée des écoles d'organistes, plaçant la France au premier rang mondial. Widor crée la symphonie pour orgue, grande fresque qui fait valoir les instruments de Cavaillé-Coll, et prône une improvisation en style rigoureux (sonate, choral, fugue, etc.). Parmi ses disciples, Vierne, Tournemire, Dupré sont les meilleurs représentants du style symphonique, qui se tourne aussi vers la paraphrase des motifs grégoriens.

Mais la musique d'orgue reste le fait d'organistes-compositeurs. Ni Debussy ni Stravinski n'écrivent pour l'orgue, et les œuvres que lui consacrent un Ives ou un Schönberg sont trop peu nombreuses pour être significatives. Deux compositeurs renouvellent le langage de l'orgue et l'extirpent de son épaisse gangue symphonique : Jehan Alain, trop tôt disparu, et Olivier Messiaen, dont l'œuvre profondément originale ouvre à l'orgue des chemins nouveaux. Auprès d'eux, ni Heiller ou David en Autriche, ni Hindemith en Allemagne, ne font figure de novateurs.

Depuis les années 60, les compositeurs portent un intérêt nouveau à l'orgue. Ce ne sont plus exclusivement des organistes confinés dans le langage de leur chapelle, mais des musiciens qui entrevoient des possibilités expressives nouvelles sur l'instrument à tuyaux : Kagel, Ligeti, Yun, Darasse, Pablo, Zacher, Boucourechliev ouvrent des voies qui pourraient mener, avec un instrument mieux adapté à leur imagination, à une renaissance de l'orgue.

Antonio de Cabezón, Tiento I
Antonio de Cabezón, Tiento I
César Franck, Prélude, fugue et variation
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Dietrich Buxtehude, Passacaille en ré mineur
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Georg Friedrich Händel, Concerto pour orgue n° 1 en si bémol majeur, op. 7 (5e mouvement, bourrée)
Georg Friedrich Händel, Concerto pour orgue n° 1 en si bémol majeur, op. 7 (5e mouvement, bourrée)
Girolamo Frescobaldi, messe « In Festis Beatae Mariae Virginis », Ricercare dopo il Credo
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Nikolaus Bruhns, Prélude pour orgue
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Orgue à bouche
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Orgue classique
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Son de l'orgue
Son de l'orgue