Heitor Villa-Lobos

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur brésilien (Rio de Janeiro 1887 – id. 1959).

Le père du compositeur, Raúl Villa-Lobos, d'origine espagnole, faisait autorité en matière d'histoire, cultivait la musique, ce qui lui permit d'enseigner le violoncelle et la clarinette à son fils. Sa mère, Noemia, continua son éducation après la mort de Raúl en 1899. À Rio de Janeiro, Villa-Lobos connut la musique de salon importée d'Europe, mais aussi celle des musiciens populaires. Sa famille voulait l'orienter vers d'autres activités, mais il persévéra et devint guitariste dans des ensembles de musiciens de « chôros », improvisant dans les rues sur des airs en vogue (valses, polkas, lundus).

Ses premières compositions datent de ses quatorze ans. Quant aux auteurs classiques, cet autodidacte en avait déchiffré seul les partitions : Bach l'avait attiré dès son plus jeune âge. Devenu violoncelliste dans l'orchestre du théâtre Recreio, il jouait un répertoire des plus variés, constitué d'opéras, d'opérettes et de zarzuelas. En 1905 commença l'ère des voyages à l'intérieur du Brésil. Guidé par un instinct infaillible, il apprit à concevoir l'âme sonore brésilienne, à partir de chants de primitifs indiens, de rythmes des Noirs de Bahia, de chansons populaires urbaines et rurales, mais il bénéficia en même temps des recherches de son ami l'ethnomusicologue Roquette-Pinto. S'il fut influencé par Wagner et Puccini pour la mélodie, par Vincent d'Indy, dont il étudia le cours de composition musicale, plus tard par Debussy et par Stravinski, la question des influences allait graduellement perdre son sens chez un créateur qui possédait la musique en lui-même. Les œuvres de Villa-Lobos commencèrent à être jouées en 1915. Ce fut le début d'une exploration de toutes les formes : musique de chambre, concerto, musique symphonique, opéra (Izaht). La composition de Myremis, du Naufrage de Kleonicos, puis, en 1917, de Amazonas et de Uirapuru, basés sur des légendes amérindiennes, établit un genre qu'il allait exploiter à diverses étapes de sa vie créatrice, celui du poème symphonique amazonien et primitif, du kaléidoscope sonore débordant de vie rythmique et de virtuosité instrumentale.

Une série de 5 symphonies vit le jour entre 1916 et 1920. Trois d'entre elles furent marquées par les événements mondiaux : la 3e (la Guerre), la 4e (la Victoire), la 5e (la Paix). En 1923, le compositeur vint à Paris, où sa musique, jouée devant des salles souvent houleuses, fut loin de passer inaperçue et lui valut de durables amitiés dans le monde artistique. Florent Schmitt, par ses critiques pertinentes et chaleureuses, ainsi que Paul Le Flem et René Dumesnil contribuèrent à asseoir sa renommée. Arthur Rubinstein, ami de la première heure au Brésil, lui trouva un éditeur, Max Eschig. Les Chants typiques brésiliens, la Famille du bébé, le Rudepoema, Amazonas, le Nonetto, les Chôros faisaient partie d'un arsenal sauvage destiné à conquérir les auditoires. Les grands Chôros, ses pièces les plus novatrices, dominaient cet ensemble. De retour au Brésil en 1930, il partagea ses activités entre la composition et une œuvre pédagogique importante. Fixé à Rio de Janeiro pour y diriger la Superintendance de l'éducation musicale et artistique, il devait s'affirmer comme un animateur aussi infatigable qu'efficace, dirigeant de nombreux concerts, organisant l'enseignement musical dans les écoles. Ses programmes laissaient toujours une large place à la musique française ; des pages d'Honegger, Milhaud, Ravel, Roussel, Schmitt, Poulenc connurent ainsi leur création au Brésil. Il fonda le Conservatoire de chant orphéonique et dirigea des ensembles choraux impressionnants, dans des stades. En 1942, quarante mille écoliers chantèrent ensemble sous sa direction.

L'orientation que prenait son art vers l'universalité se cristallisa avec la série des neuf Bachianas brasileiras, élaborées, comme les Chôros, pour les formations les plus inattendues, tandis que le recueil du Guide pratique de pièces pour piano, chant et chœurs contribua à la diffusion du folklore brésilien. Interrompu pendant vingt-quatre ans, le cycle des symphonies reprit en 1944 avec la 6e, inspirée par les montagnes du Brésil, pour se terminer avec la 12e en 1957. À partir de 1940, Villa-Lobos entreprit des tournées de concerts à travers les Amériques ; après la guerre, il partagea sa vie entre le Brésil, les États-Unis et l'Europe, principalement Paris. Dirigeant lui-même ses œuvres, il donna des concerts restés mémorables, effectua des enregistrements, avec l'Orchestre national de la Radiodiffusion française. En 1952, la première audition intégrale de la Découverte du Brésil fut ainsi réservée au public parisien. D'autres premières suivirent. Sa musique gagnait en lyrisme et en universalité ; il reçut de nombreuses médailles et distinctions de plusieurs pays d'Europe et d'Amérique. Les dernières années furent également consacrées à parachever une création multiforme. Toujours hanté par l'âme indienne et primitive, il retrouva son élan vital avec Genesis, Érosion, sa fresque Forêts de l'Amazone, ruisselante de sonorités nouvelles, tout en écrivant des opéras ­ dont Yerma d'après Garcia-Lorca ­ et de nouveaux quatuors à cordes (il en écrivit 17). C'est au moment où le catalogue d'Heitor Villa-Lobos approchait du chiffre de mille œuvres que le destin arrêta le cours du fleuve d'inspiration le plus tumultueux et le plus fécond de la musique du xxe siècle.

Deux femmes avaient partagé la vie du compositeur : la pianiste Lucilia Guimarães, qu'il avait épousée en 1913, puis Arminda Neves d'Almeida, dédicataire de presque toutes ses œuvres à partir de 1930. Elle assuma à partir de 1960 la direction du musée Villa-Lobos créé par les autorités brésiliennes, dans le cadre du ministère de l'Éducation et de la Culture à Rio de Janeiro. À sa mort, en 1985, sa succession a été assurée par Turibio Santos. Heitor Villa-Lobos fut le premier musicien brésilien à connaître une renommée mondiale, sa musique est à l'image de l'infinie diversité physique et humaine de son pays, contenant des descriptions typiques et humoristiques, des créations très élevées, dans une recherche instrumentale constante, avec une harmonie très libre, opposant timbres, rythmes et tonalités. « Mon œuvre est la conséquence d'une prédestination. Elle est de grande quantité parce que fruit d'une terre immense, ardente et généreuse. » Instinctivement, Villa-Lobos aura passé toute sa vie, au prix d'une certaine solitude et d'une lutte constante contre la misère et les préjugés, à doter son pays du répertoire qui lui manquait. En dehors de ses harmonisations, il ne cita jamais de thèmes, traduisant ce qu'il avait assimilé par tous ses sens en un langage personnel. « Le folklore, c'est moi ! », avait-il déclaré. Sa musique orchestrale se situe au sommet de sa production, mais il avait le don de rester lui-même, de conserver la même richesse de sonorité, dans tous les genres abordés. Même lorsqu'elle exprime ce type de mélancolie née sous les tropiques, de terribles torpeurs ou de sourdes luttes, elle laisse volontiers la joie dominer le drame, cette joie jaillissant spontanément d'une contemplation panthéiste de l'univers. En tenant compte des multiples sources qui irriguèrent un art finalement homogène, puissant lien affectif et culturel entre l'Ancien et le Nouveau Monde, aussi bien l'Européen que l'Américain se reconnaissent en lui.