Dinu Lipatti

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Pianiste et compositeur roumain (Bucarest 1917 – Chêne-bourg, Genève, 1950).

Son père est un excellent violoniste amateur, sa mère une pianiste de talent, son parrain est G. Enesco. Le jeune Lipatti se tourne tout naturellement vers la musique. De santé fragile, il reçoit à domicile les leçons de F. Musicescu (piano) et de M. Jora (composition) avant d'être admis par dérogation au conservatoire de Bucarest. Il en sort à quatorze ans couvert de récompenses. Pour son premier concert (1930), il interprète le Concerto de Grieg sur la scène de l'opéra de Bucarest. Et ses premières œuvres (dont une Suite symphonique, les Tsiganes) lui valent le prix Enesco en 1932 et 1933.

En 1934, un second prix obtenu au Concours international de Vienne provoque la colère d'Alfred Cortot, qui invite Lipatti à poursuivre ses études à Paris, à l'École normale de musique. Ce qu'il fait à l'automne, auprès du maître et de son assistante, Y. Lefébure. Il prend également des cours de direction d'orchestre avec C. Münch et de musique de chambre avec Alexanian. Il étudie la composition avec P. Dukas, puis avec Nadia Boulanger. Celle-ci va exercer sur lui une influence déterminante. Ensemble, ils enregistrent en 1937 les Liebesliederwalzer de Brahms, premier disque de Lipatti. L'année précédente, il a donné ses premiers concerts importants, en Italie et à Berlin.

Devant les menaces de guerre, il rentre dans son pays natal, où il se produit aux côtés de G. Enesco. En 1943, il quitte la Roumanie pour Genève. Le conservatoire de cette ville lui offre la classe de virtuosité pianistique. Déjà affecté par les premiers assauts de la leucémie qui va l'emporter, il est obligé de réduire son activité, renonçant ainsi à une grande tournée aux États-Unis et au Japon, pour mieux se concentrer sur la réalisation de quelques disques, où son souci de perfection trouve un refuge idéal. Grâce à un traitement à base de cortisone (médicament très coûteux à l'époque, fourni par la générosité de nombreux musiciens, Münch, Menuhin, Stravinski, etc.), il connaît encore quelques mois de rémission, qu'il met à profit pour donner des concerts (l'ultime, le 16 septembre 1950, à Besançon, sera enregistré).

La maladie seule a fixé les limites d'un répertoire que Lipatti mûrissait lentement, pendant plusieurs années parfois, avant de juger une nouvelle interprétation prête à être livrée au public. Dans un premier temps, il se la jouait en imagination, par cœur, en envisageant tous les styles possibles ; ensuite il la disséquait mesure par mesure, sans aucun souci expressif. Enfin, il faisait la synthèse du travail technique et de son alchimie personnelle. Des mains très longues et solides (avec un petit doigt aussi développé que les autres et, comme eux, parfaitement indépendant) et des épaules de lutteur, contrastant avec la fragilité de l'homme, lui permettaient de doser les attaques et les touchers, de nuancer le son jusqu'à l'impalpable, et d'habiller son émotion de l'apparence la plus pure.

Bach, Mozart et Chopin sont ses musiciens de prédilection, qu'il aborde avec une rigueur et une humilité inhabituelles en son temps. Il n'a que le temps d'effleurer les territoires de Schubert ou de Ravel et aborde trop tard Beethoven (dont il aurait enregistré la sonate Waldstein). Le musicien se passionne pour son époque, particulièrement pour Busoni, Enesco et Bartók (de ce dernier, il donne en première européenne le Troisième Concerto pour piano). Mais il reste sévère pour sa propre création, ne la jugeant pas mûre, malgré le succès du Concertino dans le style classique (1937) que joue Gieseking, ou de la Sonatine pour la main gauche (1941). Une symphonie concertante pour deux pianos et orchestre à cordes (1938), Trois Danses roumaines pour deux pianos (1943), des mélodies sur des textes de Verlaine, Rimbaud, Eluard et Valéry, et des cadences pour des concertos de Mozart et de Haydn forment le meilleur de son œuvre.