Franz Liszt

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Pianiste et compositeur hongrois (Raiding, près de Sopron, 1811 – Bayreuth 1886).

Il naquit d'un père hongrois, Adam Liszt, fonctionnaire du prince Esterházy et violoncelliste dans son orchestre, et d'une mère autrichienne, Anna Laager. L'origine hongroise des Liszt (à l'origine List) est d'autant plus douteuse que la famille venait probablement du canton de Neusiedl, et que sa langue usuelle était l'allemand.

Études et premiers succès

Tout jeune, Liszt fit, grâce à son père, la connaissance des œuvres de Haydn, Mozart et Beethoven. À dix ans, il partit pour Vienne (1821-1823), où il reçut l'enseignement de Salieri et de Carl Czerny, grand virtuose et dernier représentant de l'école viennoise de piano issue de Mozart, et où il se produisit en public en décembre 1822. De 1823 à 1835, Liszt vécut principalement à Paris, où il avait été emmené par son père, et où Cherubini lui refusa l'entrée de l'École royale de musique (conservatoire). Il fit ses débuts à Paris en mars 1824, et y devint l'élève de Paer et de Reicha pour la fugue et le contrepoint. Il composa alors à quatorze ans, en collaboration avec Paer, son opéra Don Sanche ou le Château d'amour (1824-25), et fit plusieurs tournées en Angleterre. Au retour de l'une d'elles, son père mourut brusquement à Boulogne (1827). C'est à cette époque que, pour la première fois, Liszt manifesta le désir d'entrer dans les ordres, vocation sincère qui devait surgir à nouveau plus tard.

Liszt rencontra vite le plus grand succès dans les salons parisiens. Il y fit la connaissance de Berlioz (1830), de Chopin et de Paganini (1831), qui, tous trois, devaient jouer un très grand rôle dans son évolution musicale. C'est ainsi qu'après avoir entendu Paganini il résolut de réaliser au piano les effets obtenus par celui-ci au violon. Il se lia également avec George Sand et Alfred de Musset. En 1834, sa rencontre avec la comtesse Marie d'Agoult (en littérature Daniel Stern) décida de sa carrière. De sa liaison avec elle naquirent trois enfants : Blandine (1835-1862), qui devait épouser Émile Ollivier ; Cosima (1837-1930), qui devait épouser Hans de Bülow, puis Richard Wagner, et Daniel, né en 1839 et mort de phtisie en 1859.

Une carrière itinérante

Mais la bonne société parisienne ne pardonna pas à Liszt cette union illégitime, et, après un court séjour à Genève, il entreprit une carrière itinérante de pianiste-virtuose ­ de loin le plus grand de son temps ­, qui devait le mener dans toutes les capitales et dans toutes les grandes villes européennes, jusqu'au cœur de la Russie. Durant cette période, il composa pour ses propres besoins une grande partie des Rhapsodies hongroises et des Études d'après Paganini. Il est d'ailleurs curieux de constater que ses programmes de récital ne comprenaient, outre ses œuvres et celles de Chopin (ainsi qu'une sonate de Scarlatti), que des pages de musique allemande.

En 1842, le grand-duc de Weimar le nomma Kapellmeister extraordinaire. Ainsi débuta une nouvelle période de sa vie et de sa production musicale. Après avoir failli devenir musicien français, il s'engagea résolument dans une synthèse culturelle franco-allemande très féconde sur le plan de la création. On peut dire que, à partir de ce moment, il fut « culturellement français, musicalement plutôt allemand, et, pourrait-on ajouter, sentimentalement plutôt hongrois » (Serge Gut). Ces années virent naître le chef-d'œuvre qu'est la Sonate en « si » mineur (1853), la Faust symphonie (1854-1857), la Dante symphonie (1855-56), la Messe de Gran (1855 ; rév. 1857-58) et bien d'autres grands ouvrages. Ce début de « germanisation » de Liszt fut essentiellement le fait de Marie d'Agoult, allemande par sa mère et élevée en partie à Francfort.

L'entrée en religion

Liszt finit par quitter la comtesse d'Agoult pour la princesse de Sayn-Wittgenstein, rencontrée lors d'un concert à Kiev en 1847, et qui devait devenir la grande égérie de la deuxième partie de sa vie, avant qu'il ne se décidât à entrer en religion. C'est elle qui le persuada de renoncer à sa carrière de pianiste-virtuose pour se consacrer uniquement à la composition. Durant ses années à Weimar, Liszt non seulement écrivit la majorité de ses œuvres les plus célèbres, mais monta et dirigea comme maître de chapelle d'innombrables ouvrages de ses contemporains, créant notamment Lohengrin de Wagner en 1850. À la tête d'un orchestre, il put écrire, réviser et expérimenter dans un domaine qu'auparavant il avait peu pratiqué (d'où notamment la série de ses poèmes symphoniques). En outre, il attira autour de lui un grand nombre d'élèves, parmi lesquels Hans de Bülow et Peter Cornelius. Weimar devint en quelque sorte le lieu de ralliement de l'avant-garde de l'époque.

À la suite d'une cabale menée contre lui et qui se transforma en incident, lors de la création du Barbier de Bagdad de Peter Cornelius, le 15 décembre 1858, Liszt démissionna de son poste à Weimar. Il ne quitta la ville qu'en août 1861, et, après un séjour à Paris, arriva à Rome en octobre. Ses espoirs d'épouser la princesse de Sayn-Wittgenstein s'étant évanouis, car le pape avait refusé de prononcer le divorce de cette dernière, il prit les ordres mineurs en 1865. Les convictions religieuses de l'abbé Liszt ont souvent été un sujet de plaisanterie, mais il reste que le compositeur, profondément croyant, devint homme d'église après que cette vocation l'eut accompagné toute sa vie. Il demeura installé à Rome jusqu'en 1869, et ce séjour marqua dans son évolution un jalon important, celui de sa découverte du répertoire vocal de la Renaissance, ce qui devait lui donner le goût des grandes œuvres religieuses. De ces années datent les splendides variations sur le thème de Bach, Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen (1862), écrites sous le coup de la mort de sa fille Blandine, Christus (1862-1867), son plus bel oratorio, et la Messe du couronnement (1867).

Une « vie trifurquée »

À partir de 1869, et jusqu'à sa mort, le grand voyageur reprit la route, partageant son temps entre Rome, Weimar et Budapest : lui-même devait parler de sa « vie trifurquée ». À chacun de ces pôles correspondit alors une partie de ses activités. À Weimar, il redevint compositeur et chef d'orchestre au service des autres, il y fit créer en 1877 Samson et Dalila de Saint-Saëns. Rome fut pour lui un lieu de réflexion et de méditation mystique (il n'en perdit jamais le goût). Budapest, où il plaçait de vains espoirs et où sombrèrent définitivement ses prétentions de compositeur nationaliste, fut pour lui lieu d'ambiguïté. Lui, qui se définissait comme « moitié franciscain, moitié tsigane », et qui évoquait « cet étrange pays dont je me constitue le rhapsode », ne parlait pas le magyar ! À sa mort, le président du conseil hongrois devait même s'opposer au retour des cendres de ce grand compositeur hongrois.

Ces années, celles de sa vieillesse, Liszt sut les remplir de nouveaux chefs-d'œuvre : les très beaux Jeux d'eau à la villa d'Este (1877), que devait entendre par le compositeur lui-même, à Rome, le jeune Debussy médusé, Via crucis (1878-79), qui sont les 14 stations de la croix, la 3e Année de pèlerinage, les pièces prophétiques pour piano que sont Gondole lugubre (1882), Csardas macabre (1881-82) ou la Bagatelle sans tonalité. Ces œuvres tardives ne devaient rencontrer pendant près d'un siècle qu'ironie et incompréhension, même de la part de Richard Wagner, gendre de Liszt, qui mettait leurs côtés visionnaires sur le compte de la sénilité et de l'abus d'alcool. Franz Liszt mourut de congestion pulmonaire, dans les bras de sa fille Cosima, à Bayreuth, le 31 juillet 1886, après avoir vu Parsifal le 23 et Tristan le 25, et en laissant une œuvre prophétique, dont le souffle n'est pas près de s'éteindre.

Une évolution remarquable dans l'histoire de la musique romantique

Une fois mises à part les œuvres de première jeunesse, influencées par Czerny, rien chez lui ne peut être comparé à la musique de son temps. Vers 1830 déjà (Liszt a dix-neuf ans), les premières mesures de Malédiction témoignent d'une audace qu'il devait conserver toute sa vie. De même, en 1834, il écrivit une des Harmonies religieuses et poétiques sans indication de tonalité et avec des changements de mesure de la plus moderne facture. Et cette évolution devait se poursuivre jusqu'aux dernières œuvres, qui rejoignent Schönberg ou Debussy. Liszt parcourt le xixe siècle en ouvrant toutes grandes les portes aux bouleversements du xxe, et se révèle, de plus en plus, n'être pas uniquement le compositeur du Rêve d'amour ou de quelques galopantes et populaires Rhapsodies hongroises.

Des mille aspects de la légende de Franz Liszt, son amitié pour Richard Wagner est un épisode important. Pourtant, quelle différence de comportement entre les deux hommes, comme entre les deux compositeurs ! Il serait vain et inutile de revenir sur les problèmes de plagiat qui ont tant alimenté les discussions, mais, l'œuvre de F. Liszt sortant aujourd'hui du purgatoire, il est amusant de découvrir que Richard Wagner, le révolutionnaire, n'était pas aussi audacieux qu'il se plaisait à le proclamer. À partir de l'Or du Rhin (1854), on remarque bien chez Wagner certaines libertés avec la tonalité, mais la conduite tonale reste toujours apparente. Ce n'est qu'avec Tristan (1859) qu'une certaine atonalité prend de l'importance, sans toutefois jamais rompre vraiment le fil tonal sécurisant. Dès 1854, Franz Liszt, en novateur acharné, prend au contraire le chemin de la polyharmonie ­ qui mènera à la suppression de la tonalité (1873) ­ tout en prévoyant un système impliquant les quarts de ton. Il apparaît maintenant évident que, à sa mort, Liszt ouvrait la porte du xxe siècle, alors que Wagner fermait celle du xixe. L'affirmation « Wagner, continuateur de Liszt » (Kœchlin) est une erreur fondamentale, due en partie à la négligence et à la méconnaissance de l'œuvre de Franz Liszt.

Liszt pianiste

Il fut considéré, de son temps, comme le plus grand virtuose sur son instrument, même si, un moment, on a voulu lui donner un rival en la personne de Thalberg. Sans doute avait-il au départ de très grandes facilités, une conformation des mains idéale ; mais, infatigable travailleur, il a su remettre en cause plusieurs fois sa technique et reprendre point par point les problèmes digitaux tels que les sauts d'octaves, les thèmes en accords, les trilles parallèles, qu'il maîtrisa alors comme nul autre, dépassant de loin ceux que l'on considérait alors comme modèles, Moschelès ou Cramer. Il ne faut pas oublier que le facteur Sebastien Érard, à Paris, en avait fait son protégé pour qu'il l'aidât à promouvoir le piano à double échappement. Ainsi, contrairement à Chopin qui travaille « à l'intérieur » du piano choisi comme lieu stable d'expression, Liszt aborde cet instrument dans une perspective expansionniste, comme pour conquérir de nouveaux espaces. Il parle d'ailleurs, quelque part, de la « puissance assimilatrice » du piano, qui, selon lui, est en même temps un « microthée », un « petit dieu » individu (ce qui pourrait définir la position de Chopin) et un « microcosme » (un petit monde), et cette idée cosmique du piano lui est plus propre. Tout le monde de la musique est appelé à s'y refléter : ainsi les fameuses « transcriptions » (symphonies de Beethoven, de Berlioz, lieder de Schubert, paraphrases d'opéras italiens, etc.) ne sont-elles pas seulement des morceaux brillants ; il n'a pas cherché à y traduire seulement la ligne musicale, mais la masse, la couleur, parfois aussi le texte et la voix absents, au besoin en rajoutant, sur la pure et simple « réduction pour piano », des détails de son cru. De telles réductions étaient alors d'un usage courant, pour prendre connaissance chez soi du répertoire symphonique. Liszt prend cette forme « domestique » et privée, et la transporte dans la salle de concert en la portant à un haut degré d'ambition ­ une ambition qu'on dirait presque d'appropriation passionnée ­, car lui, qui vécut tant d'écouter et de soutenir la musique des autres et qui fut tant pillé lui-même, pouvait aimer brasser sous ses doigts le génie musical de ceux qu'il admirait, comme pour le faire sien.

Dévorateur et dévoré, Liszt compositeur ne connaît pas la stabilité, le recueillement pur où le projet musical et technique se referme sur lui-même dans une délicate perfection. Il y a toujours chez lui une dynamique d'amplification qui brise la symétrie. Son jeu de pianiste était, selon les témoignages, emporté, convulsif, passionné, « déchirant la mélodie » (Clara Wieck), « hardi, avec une petite part de clinquant » (Schumann). Certes, l'aigu du clavier, avec ces fameux trilles étincelants comme dans les Jeux d'eaux à la villa d'Este des Années de pèlerinage, brille chez lui d'un éclat particulier, insistant, qu'on peut trouver ornemental : il lui oppose souvent des basses profondes, et une mélodie large dans le médium jouée par un pouce ou les deux (technique d'écriture pianistique à trois étages relevée par Claude Rostand). Ce médium passionné, martelé, souvent oratoire, entre les abîmes d'une basse toujours inquiète et d'un aigu vertigineux et grisant, est souvent, chez lui, le lieu du « je », de l'expression individuelle ­ là où il se situe comme sujet, comme sensibilité tiraillée.

Par ailleurs, on sait quelle importance d'émulation eut pour lui Paganini (qui lui inspira des études d'après ses Caprices), bien plus que ses pseudo-rivaux pianistiques. Mais, là où Paganini brille en étoile inaccessible, Liszt se préoccupe de transmission, de communication, de pédagogie. On a pu dire que, si éblouissante qu'elle fût, sa technique pianistique était assez « naturelle » pour devenir peu à peu abordable par ses contemporains. Liszt peut également être considéré, dans le domaine du piano, comme le créateur du « récital de soliste », puisque Schumann lui-même note avec une sorte d'étonnement, en 1840, qu'il donne ses récitals « presque toujours seul ».

Mais c'est sans doute son expérience de l'improvisation pianistique au long cours qui lui a inspiré ses grandes audaces de forme, d'écriture, de sonorité, sa façon de renouveler le développement, jusque dans ses œuvres symphoniques. Ainsi beaucoup de ses œuvres semblent-elles chercher leur point d'appui dans le cours même de leur développement.

L'œuvre musicale

Pendant une grande période de sa vie, Liszt souffrit de n'être considéré que comme un virtuose égaré dans la composition ­ puisque telle était la réflexion que ses œuvres pouvaient inspirer, dès qu'elles avaient en elles quelque chose de bizarre ou de nouveau. S'il a vécu très tôt le succès, il a vécu aussi de bonne heure le malentendu qui l'accompagne ­ car ce malentendu, mot qu'il emploie lui-même, n'a lieu que s'il y a au moins apparence de succès, autrement, il n'y a qu'ignorance ou mépris. Très jeune ­ c'est lui qui le raconte ­, il avait « testé » ce que vaut la sincérité du goût musical, en s'amusant à donner pour une composition de Beethoven quelques-unes de ses esquisses personnelles et en voyant alors une admiration automatique se manifester. Cruel apprentissage de la fragilité des critères qui valent à une musique d'être tenue pour chef-d'œuvre ­ et qui explique peut-être sa passion de rechercher chez ses pairs compositeurs le modèle d'une confiance en soi, qui, apparemment, lui faisait défaut.

Dans la mesure où, en tant que compositeur (un compositeur qui s'affirma plus fortement comme tel, indépendamment du virtuose, après 1850), Liszt avait à surmonter l'image du pianiste doué aspirant aux prestiges de la création, sans en avoir la vocation ­ il dut en faire plus que tous les autres, se montrer plus audacieux, imposer plus radicalement l'idée de sa volonté créatrice. Il fut un progressiste déclaré, lecteur passionné des Lamennais, Hugo, Byron, se nourrissant autant de littérature que de musique, et cherchant un « renouvellement de la musique par une alliance plus intime avec la poésie […] un développement plus libre et pour ainsi dire plus adéquat à l'esprit de ce temps ». Quand il parle d'allier la musique avec la poésie, il a renoncé depuis longtemps à mettre un drame lyrique, voire des vers, en musique, sauf dans le domaine religieux. Son opéra de jeunesse, essai sans lendemain, semble avoir extirpé de lui toute ambition de s'exprimer sur la scène (son admiration pour Wagner en est d'autant plus forte). Il composera peu de lieder, et, dans le domaine religieux, préfère à la voix soliste le chant collectif. C'est à la musique sans texte, pour piano ou orchestre, que ce lecteur passionné demande de traduire la résonance en lui de ses lectures enivrées.

On a pu dire que son esthétique était ornementale, mais, en ce cas, elle fait de l'ornementation un principe dynamique de développement et d'amplification, et non un principe statique, comme avec Chopin, chez lequel l'ornementation est centripète, refermant la phrase musicale dans son mystère, alors que chez Liszt elle est centrifuge, poussant la mélodie, l'œuvre, l'inspiration en avant. L'aigu en particulier, zone traditionnellement ornementale, n'est pas chez Liszt une zone fragile et effleurée, c'est là qu'il met souvent son dynamisme, dans des frémissements et des ruissellements mystiques.

Chez lui, le poème symphonique, forme où il expérimenta beaucoup, est un projet moins descriptif que psychologique et impressionniste ­ il s'agit de faire résonner des impressions chez le destinataire, le confident à convaincre qu'est pour lui l'auditeur. Par ailleurs, Liszt recourut rarement aux formes toutes faites, à la symphonie, au quatuor, et, quand il fait une sonate pour piano, c'est une œuvre insolite, coulée dans le moule unique d'une forme cyclique d'un seul tenant. Cette sonate est d'ailleurs une des rares œuvres où il semble se rassembler, se cristalliser, alors qu'il ne cesse ailleurs de se donner et se dépenser.

Son identité, il croit la trouver un instant dans ses racines hongroises, mais il ne s'y arrête pas ; mais surtout dans le domaine de la musique religieuse, où il se considère comme sans rival à son époque : il y fait souvent vocation de simplicité, d'archaïsme, de rudesse antiornementale, en s'appuyant sur son étude de Palestrina, de Lassus, du grégorien, etc. Pourtant, là, toujours une inquiétude perceptible, même dans ces monuments granitiques que se veulent des oratorios comme Christus.

Finalement, cette énergie mystique, c'est d'abord sur l'estrade du virtuose adulé, où l'ont placé le sort et la prophétie de Beethoven à son endroit, qu'il la dépense avec le plus de force de conviction. Dans maintes pages des Années de pèlerinage, ou, même, dans telle Étude transcendante ou telle page d'album, on trouve une conjonction unique de sens religieux et de délire de virtuosité, comme si l'élan de la difficulté physique portait les mouvements de l'âme. C'est à son piano qu'il se sait prophète d'idéal, qu'il prêche le mieux peut-être, alors que c'est là qu'on le considère en bateleur. Ses deux Légendes (1865) sont éloquentes, puisque consacrées aux deux saints qui portent son prénom. Saint François d'Assise parlant aux oiseaux, n'est-ce pas Franz Liszt prêchant en notes perlées et mettant dans la virtuosité ­ là où beaucoup d'autres n'ont voulu mettre que leur part mondaine, méprisée ­ tout son amour et son altruisme.

Pillée, dit-on, abondamment par Wagner, la musique de Liszt est, par excellence, celle de l'homme « mal assis », de celui qui ne sut jamais poser sa musique, l'installer, et la fit voyager, dans l'Europe, parmi les hommes, pour communiquer avec ses semblables par-delà le malentendu des succès mondains.