France

(xvie s.)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

À la mort de Josquin (1521), la grande tradition du contrepoint franco-flamand n'est pas oubliée. Peu attirés par l'Italie, des musiciens comme Mouton, Gombert, Créquillon, Clemens non Papa, P. de Manchicourt continuent à adopter systématiquement le principe de l'imitation. Ils font même, pour certains, école et contribuent à répandre par toute l'Europe ce style qui, à la chapelle papale, survivra jusqu'à Palestrina. Toutefois, d'autres compositeurs d'origine et de formation franco-flamandes, tel Willaert (qui fut maître de chapelle de Saint-Marc à Venise trente années durant), savent, sans le renier, insuffler à la tradition nordique un sang nouveau en pratiquant, entre l'art néerlandais et italien, une synthèse qui représente un tournant important dans l'histoire de la musique. Willaert participe avec Verdelot (1er Livre de madrigaux, 1530) et Arcadelt (1er Livre de madrigaux, 1539) à l'élaboration du nouveau style italien et du genre du madrigal dont Cyprien de Rore représente la seconde manière avec un souci exacerbé du texte, prévalant sur la structure musicale, et de l'expression comme de la couleur harmonique (emploi audacieux du chromatisme). Dans la seconde moitié du xvie siècle, enfin, le « style imitatif syntaxique » (Ch. Van den Borren), trop pesant, n'est plus en mesure de se survivre : Lassus est certes l'aboutissement, génial, de la polyphonie néerlandaise, mais son œuvre en souligne la désagrégation sous l'influence italienne.

La chanson

Si la chanson reste en France le genre en vogue, elle cesse d'être un genre international après la mort de Josquin et prend de nouvelles formes, en réaction contre la technique savante flamande. On chante tous les plaisirs de la vie, privilégiant des textes de forme libre (quatrain ou dizain de 8 ou 10 pieds) qui dictent leurs lois à la forme musicale. La chanson, à 4 voix, devient un théâtre en miniature où la musique commente le texte traité de manière syllabique, en donnant au rythme l'avantage sur l'invention mélodique, en évitant les mélismes au profit d'imitations serrées, souvent virtuoses et prisant les onomatopées : c'est la chanson parisienne des années 1520-1550 dont Passereau, Sermisy, Certon et surtout Janequin sont les meilleurs représentants (Cl. de Sermisy incarnant une tendance plus « respectable »). L'essor de l'imprimerie musicale lui assure une large diffusion dans la bourgeoisie dont elle reflète d'ailleurs les goûts : le 1er recueil de Chansons nouvelles en musique à 4 parties, c'est-à-dire parisiennes, est publié en 1528 par Attaingnant (longtemps l'éditeur exclusif de Janequin et Sermisy) qui, jusqu'à sa mort en 1552, en éditera environ 1 500. Avec Arcadelt, en 1547, et le 1er Livre de chansons de Certon (1552), apparaît un nouveau type, la chanson en forme d'air, transition entre la chanson parisienne du début du xvie et l'air de cour du xviie siècle : le traitement du texte est syllabique, le style adopté de préférence homophonique, la forme strophique. Cette transformation de l'esprit même de la chanson est liée au mouvement artistique de la seconde Renaissance française et à la tentative de la Pléiade de restaurer l'union de la poésie et de la musique à l'image de l'Antiquité classique. D'ailleurs, cette même année 1552 voit paraître, chez la veuve de la Porte, la première édition des Amours de Ronsard (et le 5e Livre d'odes) avec un supplément musical, dix textes mis en musique par Certon, Janequin, Muret, Goudimel ; à la suite, une liste invitait à chanter tel ou tel sonnet sur l'un des quatre modèles créés par la disposition des rimes des quatrains et tercets.

L'attente de Ronsard, qui destinait la plupart de ses textes à recevoir une musique car « la poésie sans les instruments ou sans la grâce d'une seule voix n'est nullement agréable », ne fut guère déçue : une trentaine de musiciens s'y attachèrent, mais le premier recueil entier qui lui fut consacré ne date que de 1566 (Pierre Cléreau, 1er Livre d'odes de Ronsard, à 3 voix). La seconde génération des musiciens de Ronsard, celle de Le Jeune, Costeley, Mauduit, A. de Bertrand, correspondra à la plus belle réussite de cette tentative : la traduction plus directe du texte (qui doit être compris de tous) devient l'objectif premier et, au-delà même de l'adoption du style « vertical » et d'une plus grande souplesse de la déclamation rythmique, on débouche sur l'idée de liberté compositionnelle. Ces chansons en nouveau style, adaptées pour la voix avec accompagnement de guitare, paraissent sous le nom de « voix de ville » (chez A. Le Roy, 1552), plus tard sous celui d'« airs de cour » (Livre d'airs de cour miz sur le lutz, chez A. Le Roy, 1571).

L'Académie de poésie et musique, créée en 1571 par A. de Baïf et Thibault de Courville grâce à la protection de Charles IX qui passa outre à l'avis du Parlement, se proposait de donner des lettres de noblesse au mouvement humaniste d'union de la poésie et de la musique : conformément au propos exprimé un siècle auparavant par l'humaniste italien Ficin, il s'agissait, par le biais d'une musique mesurée à l'antique, de retrouver l'ethos de la musique et d'en faire revivre les « effets ». La musique devenait ainsi le plus sûr garant de l'ordre social comme chez Platon (cf. République, VIII). À la mort de Thibault de Courville (1581), Mauduit travailla avec Baïf (cf. Chansonnettes mesurées, 1586), mettant l'accent sur la recherche des divers moyens d'exécution. Mais c'est surtout Claude Le Jeune qui devait assurer le succès de la tentative : tout en appliquant strictement les principes de la musique mesurée, il sait trouver une grande variété rythmique et faire éclater la chanson polyphonique de manière très personnelle (cf. les Airs mis en musique, 1594 et 1608, et les chansons mesurées du recueil le Printemps, 1603). Le Jeune fut sans aucun doute l'un des plus grands musiciens de son temps, mais la publication des œuvres de Lassus à partir de 1564 jeta quelque ombre sur la chanson française de la fin du xvie siècle. Le Jeune participa aussi à la mise en musique du psautier huguenot ; en effet, d'abord conçu pour être chanté à l'unisson, le psaume put ensuite recevoir une harmonisation à 4 voix ou plus : Loys Bourgeois, Goudimel, Le Jeune y travaillèrent mais aussi des musiciens catholiques comme Certon, Arcadelt ou Mauduit. De la sorte, sa mise en musique reflète l'évolution de la chanson et l'écriture « verticale » l'emporte sur le style contrapuntique après 1560. Signalons, enfin, une forme de la chanson polyphonique propre aux musiciens « réformés » : la chanson spirituelle de caractère moralisateur, une manière de s'opposer aux « chansons folles » que la Contre-Réforme elle-même décriera (cf. Le Jeune, Octonaires de la vanité et inconstance du monde [1606] ou, avant lui, Paschal de L'Estocart). L'importance du mouvement musical lié à la Réforme ne doit cependant pas faire négliger les œuvres écrites dans le cadre du culte catholique : Messe de Le Jeune, motets de Mauduit, etc.

La musique instrumentale

Elle ne se développe pas en France au même rythme qu'en Italie et en Allemagne ; les périodes 1529-1533, avec les publications d'Attaingnant (2 recueils pour luth, 7 pour orgue, épinette et manicordion, 2 pour flûtes d'allemand et à trous), et 1551-1571, avec une trentaine de recueils pour luth, guitare et cistre, en constituent les deux temps forts. D'autre part, alors qu'apparaissent à Venise, dès 1507, les premières tablatures pour luth, on n'en trouve pas avant 1529 en France. Même si la transcription d'œuvres vocales forme encore l'essentiel de la production pour les instruments, ces pièces (souvent destinées au luth, l'instrument favori de la Renaissance, et aux claviers) peuvent prendre un caractère spécifiquement instrumental et participer à l'émancipation de cette littérature par le biais de l'ornementation (l'origine du principe du thème et variations), la création de la basse contrainte (par l'intermédiaire de la chaconne et de la passacaille fondées sur la répétition d'un dessin identique), l'habitude du « prélude » improvisé, la création des formes autonomes (cf. en Italie les ricercari et les canzoni) telle la fantaisie (les premières sont d'A. de Rippe) qui joue un rôle dans l'élaboration de la fugue (cf. les Fantaisies pour violes de Le Jeune et Du Caurroy). Avec l'apparition de l'air de cour, les parties instrumentales constitueront un terrain d'élection pour un nouveau développement du contrepoint. Le goût du public pour la musique instrumentale se voit, d'ailleurs, au nombre de luthiers comme à l'importance du tirage des recueils (1 200 exemplaires pour les livres de tablature pour luth d'A. de Rippe et G. Morlaye, Paris, 1552-1558, chez Fezandat). L'élargissement des familles instrumentales agrandit considérablement la notion d'espace musical mais, dès que l'on aborde la musique pour ensemble ­ pièces à 2, 3 ou 4 parties, préludes, fantaisies et danses ou œuvres mêlant voix et instruments ­, rares sont les pages à destination précise.

La musique, élément de faste de la cour de France (cf. les Entrées), s'institutionnalise : François Ier, divisant, en 1535, la musique du Palais, distingue la musique de la Chambre et la Grande Écurie (cuivres et bois) ; en 1592, Henri IV crée le poste de surintendant de la musique de la Chambre.

La danse

Les danseries, transcription des airs de danse, ne datent réellement que de 1529-1530 (publications par Attaingnant de 6 gaillardes, 6 pavanes plus 18 basses-danses). Si elle relève de l'écriture de la chanson sur le plan de la construction à 4 voix, du traitement et de l'importance réciproque des voix, la danse impose un découpage régulier (souvent des phrases de 4 mesures). La chanson empruntée se trouve donc ramenée à des proportions fixes, symétriques, d'où parfois une transformation des parties graves que l'on peut réécrire. Toutefois le terme de « suite » qui apparaît dans le 7e Livre de danseries d'Attaingnant (1557) ne désigne-t-il encore qu'une succession de branles. La vraie suite reste longtemps le couple pavane-gaillarde, mais l'idée d'un groupement existe déjà dans le recueil de 1520 d'Attaingnant. La publication, en 1588, du traité d'Orchésographie de Thoinot Arbeau, chanoine de Langres, est précieuse du point de vue de la terminologie et par la description des figures de danse elles-mêmes. La théâtralisation de la danse, liée à une action allégorique au développement cohérent, avec maintien des entrées et usage d'une machinerie, trouve sa forme définitive dans le ballet de cour sous Henri IV et Louis XIII : le Paradis d'amour (1572), le Ballet des provinces françaises (1573), Cérès et ses nymphes (1581) et surtout Circé ou le Ballet comique de la reine (1581) comptent au nombre des essais du nouveau genre caractérisé par l'alternance de musique vocale (airs de cour, récits), instrumentale, et de danses, dont un grand ballet final. C'est là l'une des origines principales de l'opéra français du xviie siècle.