littérature populaire

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Le concept de littérature populaire a-t-il une signification ? Oui, quand il s'oppose à une littérature savante : ce fut le cas en Chine où, face à la littérature de la classe lettrée, se développaient des genres et des formes créés dans le peuple et pour le peuple (genres oraux comme les variétés populaires ou écrits comme le théâtre zaju, les contes et les romans des Ming). Le problème est parfois plus complexe. Ainsi en France, pendant plusieurs siècles, le public aristocratique a partagé avec le peuple un goût pour le merveilleux des romans médiévaux. Mais, au xixe s. et encore aujourd'hui, la littérature populaire a été souvent condamnée comme une littérature mercantile, présentant des personnages sans épaisseur et sans vraisemblance à travers des intrigues et un style stéréotypés. Fabriquée pour un large public, elle est souvent désignée par des appellations dévalorisantes : « romans à quatre sous », « littérature de gare », paralittérature ou sous-littérature. Opposée à la littérature reconnue par l'institution littéraire, elle constitue cependant la majeure partie de la production littéraire.

Le roman populaire au xixe s

Le roman populaire, c'est-à-dire écrit et publié de manière à toucher un grand nombre de lecteurs, est apparu au lendemain de la Révolution de 1789, avec des auteurs comme Ducray-Duminil (1761-1819) qui marque le passage du colportage à une nouvelle forme littéraire. Influencé par les contes populaires, les romans de chevalerie, les romans noirs anglais, les Mille et Une Nuits, les mélodrames surtout, il a su créer des personnages attachants dans leurs malheurs.

Ducray-Duminil a ainsi employé la plupart des procédés qui caractériseront le roman populaire du xixe s. Ces procédés ont été empruntés à diverses sources et s'organisent autour des déboires d'un personnage central. Celui-ci ignore à peu près tout des raisons de ses malheurs répétés et l'auteur ne révèle que de temps en temps ce qui entoure le passé. Ainsi, plusieurs intrigues se mêlent dans le temps et dans l'espace, inextricablement jusqu'au dénouement. Le « suspense » repose donc avant tout sur un certain nombre de données inconnues du héros, et généralement du lecteur, sauf dans le cas où l'on veut le faire trembler par avance en annonçant les intentions scélérates d'un traître. Le principal mérite de Ducray-Duminil est d'avoir su briser systématiquement l'ordre chronologique, ce qui lui permet de jouer avec de nombreux éléments de mystère et de terreur, souterrains, passages secrets, déguisements, disparitions, apparitions ou réapparitions soudaines. Il a aussi multiplié les coups de théâtre (ils viennent en effet du théâtre et du plus classique parfois) quelque peu factices.

Aux côtés de Ducray-Duminil, il faut citer Pigault-Lebrun (Jérôme, 1805) dont les romans connaissent un succès considérable, se vendent dans des éditions à bon marché et sont souvent adaptés au théâtre sous forme de mélodrame. Dans les années 1820 naissent deux vagues de romans : une tendance sentimentalo-libertine, qu'illustre en particulier Paul de Kock, et une tendance « frénétique » ou « galvanique », qui tend à renouveler le roman gothique anglais de la fin du xviiie siècle, avec Charles Nodier, Étienne de Lamothe-Langon, Victor d'Arlincourt, Horace de Saint-Aubin (pseudonyme de Balzac), le jeune Hugo, etc.

Avec l'apparition du roman-feuilleton en 1836, des auteurs déjà connus dans le domaine du théâtre ou du roman vont connaître une grande popularité : Alphonse Royer, Balzac, Eugène Sue, Frédéric Soulié, Alexandre Dumas, bientôt rejoints par Paul Féval. Le rôle des éditeurs est ici essentiel : ils tentent de toucher les nouveaux lecteurs grâce à des volumes de faible prix : Charpentier crée sa « Bibliothèque » (1838) ; Gustave Havard lance les « Romans illustrés » (1848) en proposant des textes sous forme de livraisons hebdomadaires de 16 pages, bientôt suivi par Barba et sa collection des « Romans populaires illustrés » (1849). Parallèlement, Hachette crée la « Bibliothèque des chemins de fer » (1852). De nombreux ouvrages passent aussi par le circuit des cabinets de lecture.

Les romans populaires libèrent l'imaginaire, avec une effervescence parfois ludique ou poétique, et aussi une part de révolte sociale, ce qui entraîna des mesures de censure. Il est probable aussi que ce rejet des romans populaires correspond à une réaction des pouvoirs politiques et culturels à l'égard de la généralisation de l'instruction et de l'émancipation démocratique. En dépit de ces mesures, c'est sous le second Empire que le roman populaire se développe en France, avec une prolifération de publications à bas prix. C'est la grande époque de Ponson du Terrail, créateur d'un grand personnage populaire, Rocambole, mais aussi de séries historiques et de romans de mœurs. Extrêmement prolifique, Ponson du Terrail publie, en une quinzaine d'années de carrière littéraire, plus de quatre-vingts romans. Apparaissant comme l'un des chefs de file du roman populaire, réussissant à vivre de sa plume, il est aussi soucieux du nouveau statut de l'écrivain que défend la Société des gens de lettres, dont il est adhérent puis membre du comité. C'est aussi à cette époque que commencent à paraître les romans d'aventures de Gustave Aimard, les romans judiciaires d'Émile Gaboriau, les « Voyages extraordinaires » de Jules Verne.

De nouveaux éditeurs apparaissent, Dentu, Michel Lévy, Jules Rouff, ayant recours à des affiches et à des annonces dans les journaux pour présenter leurs publications. Après la guerre de 1870, une nouvelle génération de romanciers populaires émerge, qui marque sa rupture avec les romans populaires des années 1840-1860 en n'ayant plus recours à des justiciers romantiques et, se centrant sur les victimes, avec une tendance à attendrir le lecteur : enfants abandonnés (Hector Malot, Sans famille, 1878 ; Émile Richebourg, la Petite Mionne, 1883-1944), femmes séduites et abandonnées (É. Richebourg, l'Enfant du faubourg, 1875) ou droguées et violées (Charles Mérouvel, Chaste et flétrie, 1889 ; Pierre Decourcelle, Gigolette, 1900-1901), innocents accusés (Xavier de Montépin, la Porteuse de pain, 1884 ; Jules Mary, Roger-la-Honte, 1886-1887), etc.

En France, l'éditeur Fayard crée en 1905 « Le Livre populaire », collection qui alterne les rééditions de classiques du xixe siècle et des romans d'auteurs contemporains. À sa suite, Tallandier crée « Le Livre national » (1909), collection fabuleuse qui aura plusieurs époques, et Ferenczi lance « Le Petit livre » (1912), puis « Le Livre épatant » (1913) et « Mon livre favori » (1921). Ces collections vont devenir de plus en plus marquées par des genres dans lesquels elles se spécialisent. Parallèlement, les auteurs pratiquent souvent plusieurs genres, signant aussi bien des récits sentimentaux que des romans d'aventures ou policiers comme Georges Spitzmüller, Georges Le Faure, Jules Lermina, Jean de La Hire, Arthur Bernède, Marcel Priollet, José Moselli, etc. Pendant la Première Guerre mondiale, l'éditeur Rouff crée une collection « Patrie » (1917) où divers auteurs populaires relatent les divers épisodes, plus ou moins romancés, du conflit. Dans d'autres pays se déroulent des phénomènes proches de ce qui se passe en France. Ainsi, aux États-Unis, de nombreuses séries sont publiées en fascicules à partir des années 1890 (dime novels) : Nick Carter, Buffalo Bill, Texas Jack, et, au début du xxe s., apparaissent les pulps (livres à bon marché). Ce phénomène des collections trouve un bon et récent exemple avec les éditions du Fleuve noir, créées en 1949, qui vont présenter, au fil des années, des collections spécialisées : « Spécial-Police », « Espionnage », « Anticipation », « Angoisse », sans oublier « Feu » (récits de guerre) ou « Grands romans » (tendance sentimentale).

Les différents genres

Rejetées du domaine de la littérature reconnue, ces œuvres ne constituent pas un ensemble uniforme. Plusieurs genres connurent des fortunes diverses selon les époques. Les débuts de cette littérature populaire sont marqués par des romans de terreur, héritiers des romans noirs anglais, et les récits fantastiques vont se développer tout au long du xixe siècle (des contes d'Edgar Allan Poe au Dracula de Bram Stoker) et prospérer au xxe (Jean Ray, Howard P. Lovecraft, Richard Matheson, Stephen King, Anne Rice). À côté de cette permanence, un autre genre comme le roman historique connaît des périodes d'éclipses. Il apparaît avec Walter Scott, et, en France, Alexandre Dumas lui donne toute son ampleur, suivi de nombreux auteurs aujourd'hui oubliés (comme Edmond Ladoucette ou Paul Mahalin). Au début du xxe s., Michel Zevaco relance le genre, en particulier avec la série des « Pardaillan » (1902). Puis, après une nouvelle éclipse, les années 1950 verront un retour du roman historique avec des séries comme « Marie des Isles » (Robert Gaillard) ou « Angélique » (Anne et Serge Golon).

Le roman d'aventures, où l'exotisme sert de cadre à des événements divers, s'est longtemps appuyé sur les explorations et découvertes, proposant tout au long du xixe s. des voyages dans le cœur de l'Afrique (H. Rider Haggard, Edgar Rice Burroughs) ou de l'Amérique (Fenimore Cooper, Gustave Aimard, James O. Curwood, T. Mayne Reid), à la recherche d'îles mystérieuses (Jules Verne, Robert Stevenson) ou dans les contrées polaires (Louis Boussenard, Emilio Salgari, Jean Kéry). Ce roman d'aventures a donné naissance à des surgeons tels que le western (Georges Fronval, Albert Bonneau et ses « Catamount ») ou le roman d'espionnage (John Buchan, Pierre Nord, Eric Ambler, Ian Fleming et ses « James Bond », Jean Bruce et la série des « OSS 117 », Gérard de Villiers et son « SAS »).

Tout en se maintenant, certains genres ont évolué d'un siècle à l'autre. Il en est ainsi de la science-fiction, qui naît parallèlement en France et en Angleterre avec J.-H. Rosny (les Xipéhuz, 1887), Georges Le Faure (Aventures extraordinaires d'un savant russe, 1888), Danrit (la Guerre de demain, 1889-1896) et H. G. Wells (la Guerre des mondes, 1898). Les récits de science-fiction rationalisent les thèmes des contes merveilleux : déplacement dans le temps ou dans l'espace, rencontre avec des êtres monstrueux, métamorphoses. Si les premières œuvres ont projeté dans l'espace les ingrédients du roman d'aventures (E. R. Burroughs, Jack Williamson, Gustave Le Rouge, Clifford Simak, Alfred E. Van Vogt) ou les ont associés aux procédés de l'anticipation (Robert Heinlein, Arthur C. Clarke, Isaac Asimov, Ray Bradbury, René Barjavel), le genre a évolué dans de nombreuses directions au cours du xxe s. Un courant de science-fiction populaire s'est maintenu : ainsi, en France, la collection « Anticipation » (Fleuve noir), créée en 1951 et qui a atteint son 2001e volume en 1997, est particulièrement représentative.

De même, le roman social (F. Soulié, E. Sue) devient peu à peu roman criminel (Ponson du Terrail, Féval), s'inspirant de faits-divers, de chroniques des tribunaux ou de Mémoires comme ceux de Vidocq, ancien forçat devenu authentique chef de la police. Le roman judiciaire apparaît en France, par touches susccessives, au début du xixe s., et deviendra roman policier (Gaboriau avec l'Affaire Lerouge en 1865 ; Fortuné du Boisgobey, le Crime de l'omnibus, 1882 ; Élie Berthet, l'Assassin du percepteur, 1877 ; Pierre Sales). Dans ces romans, la poursuite et l'enquête vont prendre une importance extrême. Au xxe siècle, plusieurs courants se développent. L'un d'eux repose sur une énigme résolue par la déduction d'un détective ou d'un policier comme chez Arthur Conan Doyle (Sherlock Holmes), Leroux (Rouletabille), Agatha Christie (Hercule Poirot), Georges Simenon (Maigret), John D. Carr, Ellery Queen. L'autre, le roman policier noir, met l'accent sur l'action et l'atmosphère : Dashiell Hammett, Raymond Chandler, John Goodis, James H. Chase. En France, ces romans traduits dans la « Série noire » à partir de 1945 créent un style d'écriture que reprennent Léo Malet, Albert Simonin ou encore Frédéric Dard. Il existe un roman policier dont l'intrigue joue sur le suspense et qui peut parfois être centré sur la victime plutôt que sur l'enquêteur : Boileau-Narcejac, Patricia Highsmith, P. D. James s'inscrivent dans cette ligne.

Le roman sentimental présente également une certaine continuité dans le temps. Il naît lui aussi du roman social, s'orientant parfois sur les malheurs de femmes victimes de la société (J. Mary, É. Richebourg), et paraît surtout dans la presse catholique. L'Ouvrier et la Veillée des chaumières voient apparaître les noms de Zénaïde Fleuriot, de Marie Maréchal, de Mathilde Bourdon, de Maryan. Puis des collections spécialisées prennent le relais, publiant de nombreux petits récits d'auteurs aujourd'hui oubliés, à l'exception de Delly, de Max du Veuzit et de Magali, qui seront détrônés dans les années 1980 avec l'arrivée des productions en série des éditions Harlequin.

Une paria-littérature ?

Derrière la pluralité des littératures dites « populaires », il serait possible de trouver certaines constantes, telles que la série comme mode de production et l'inscription du texte dans un genre comme principe d'organisation. À ces deux aspects s'ajoutent parfois des traits d'écriture liés à la contrainte de la commande : les exigences de volume et l'urgence de la remise expliquent le recours aux dialogues (on tire à la ligne) et l'expansion du récit en épisodes et en sous-récits enchâssés.

La littérature populaire se donne avant tout pour but de distraire le lecteur, de lui proposer une lecture facile, rapide et à usage unique. En cela, elle s'opposerait bien à une littérature élitiste de lecture lente, âpre et pouvant être renouvelée. Toutefois, la fin du xxe s. a été marquée par un début de légitimation de cette littérature populaire, dont certains textes sont réédités dans des collections prestigieuses. Des essais, des revues spécialisées, des colloques universitaires témoignent d'un renouveau d'intérêt à son égard.

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