Roumanie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Pendant des siècles, la seule production littéraire en langue roumaine a été celle appartenant au folklore. Mis par écrit seulement à l'époque du romantisme, des joyaux poétiques, tels que les chansons rituelles récitées à l'occasion des fêtes chrétiennes (kolinde), les compositions lyriques (doïne), ou les fameuses ballades épiques l'Agnelle voyante et Maître Manole témoignent d'une origine très ancienne.

Les débuts d'une littérature nationale

C'est seulement avec l'avancée progressive de la langue nationale en tant que forme d'expression écrite que la littérature roumaine prend son essor, notamment à partir de la deuxième moitié du xviie siècle. Le premier document rédigé en roumain, la lettre d'un boyard valaque datant de 1521, porte la marque symbolique du déclin de l'écriture en slavon et, de manière générale, de l'influence slavo-byzantine. Sous l'impact tardif de l'humanisme occidental – par l'intermédiaire des cultures polonaise en Moldavie, grecque en Valachie ou austro-hongroise en Transylvanie – une production écrite originale se développe dans les Principautés roumaines. Vers la moitié du xvie siècle circulent déjà, sous l'influence de la Réforme, des textes religieux traduits et imprimés par le diacre Coresi, à côté d'une littérature de colportage : récits hagiographiques, romans populaires ou livres didactiques. Cependant, les premiers à manifester une conscience de la spécificité sont les historiographes Grigore Ureche (1595 ?-1647) et Miron Costin (1633-1699), qui attestent dans leurs Chroniques l'origine commune des trois provinces roumaines et la latinité de leur langue. C'est aussi le métropolite Varlaam (?-1657) qui adapte les textes de ses Prêches à la sensibilité et au niveau culturel de ses paroissiens. Mais la subordination de cette production culturelle à des finalités extra-littéraires n'empêche pas l'affirmation du goût artistique. Grâce à son intensité lyrique et à la maîtrise remarquable de la prosodie, la traduction en vers des Psaumes, réalisée par le métropolite moldave Dosofteï (1624 ?-1693), est considérée comme le premier ouvrage poétique de la littérature roumaine. De même, la Chronique de Ion Néculce (1672 ?-1746), qui porte sur les événements contemporains, se rattache par sa verve narrative au genre romanesque plutôt qu'à l'historiographie. Le prince Dimitrie Cantémir (1673-1723), esprit encyclopédique et humaniste de réputation européenne, crée à son tour un roman allégorique, d'inspiration baroque, l'Histoire hiéroglyphique (1705).

Lumières et romantisme

Au siècle des Lumières prend naissance en Transylvanie le mouvement politique et culturel connu sous le nom d'« École transylvaine », qui se déploie dans deux directions principales : l'une, historico-linguistique, matérialisée par les travaux érudits de Samuil Micu (1745-1806), Gheoghe Sincaï (1754-1816), Petru Maior (1761-1821), qui affirment la « pureté » latine des Roumains et de leur langue pour en tirer argument dans la lutte de libération nationale ; l'autre, littéraire, illustrée par la Tziganiade, étincelante épopée héroï-comique de Ioan Budai-Deleanu (1763-1820).

C'est seulement vers la fin du xviiie siècle qu'une séparation consciente entre « littérature » et « culture » commence à se produire, grâce aux exercices lyriques de quelques aristocrates cultivés, tels les membres de la famille Văcărescu, imitant la poésie néogrecque, française ou italienne, mais aussi le folklore. Ces débuts timides évolueront rapidement vers une production littéraire plus complexe, dont l'engagement politique et social est la principale caractéristique. Elle se développe au sein d'une jeune génération, la même qui va préparer la révolution de 1848 et, en 1859, la création d'un premier État national. Grâce au militantisme soutenu de ces intellectuels, à commencer par Gheorghe Asachi (1788-1869) et Ion Heliade Radulescu (1802-1872), sont fondées les premières institutions – l'école, la presse et le théâtre – destinées à forger une culture nationale structurée sur la langue littéraire moderne. Dans l'esprit du messianisme romantique et libéral, dont les maîtres à penser seront Jules Michelet et Edgar Quinet, les écrivains des trois Provinces, regroupés autour de la revue Dacia literara de Mihail Kogalniceanu (1817-1891), s'attachent à reproduire autour d'une problématique autochtone la complexité des genres existants dans les grandes littératures. Sont entraînés dans cette démarche Costache Negruzzi (1808-1868), Alecu Russo (1819-1859), Grigore Alexandrescu (1810-1885), Dimitrie Bolintineanu (1819-1872), et surtout Vasile Alecsandri, dont la production lyrique et dramatique a servi comme modèle au écrivains dits « les grands classiques ».

Entre traditionalisme et modernisme

La littérature de la deuxième moitié du xixe siècle s'affirme, grâce à l'écrivain et politique Titu Maiorescu (1840-1917), par sa quête de l'authenticité, doublée d'une exigence accrue face à l'esthétique de l'écriture. La critique littéraire, disposant d'un cénacle et d'une revue prestigieux –  respectivement Junimea (1863) et Conversations littéraires (1867-1916) –, pourra ainsi préparer le public à accueillir les premiers écrivains qui, tout en s'inspirant des réalités nationales, accèdent au patrimoine littéraire universel : Mihail Eminescu, dernier des grands poètes romantiques, le prosateur et dramaturge Ion Luca Caragiale, portraitiste sagace de la société de son temps et Ion Creanga, conteur et mémorialiste prodigieux.

Le débat entamé par Maiorescu fera une longue carrière dans les lettres roumaines, opposant systématiquement et jusqu'à nos jours les adeptes du « traditionalisme », voire d'une littérature cultivant les valeurs autochtones à ceux du « modernisme », qui se tournent vers les courants novateurs occidentaux. La première tendance s'organise d'abord autour de la revue le Semeur, créée par l'historien et homme de lettres Nicolae Iorga (1871-1940) en 1901, qui présente une image idyllique de la société rurale et de ses valeurs archaïques. Plus tard, Garabet Ibraileanu (1871-1936), critique littéraire et romancier, défendra un populisme (« poporanism ») modéré et éclectique dans la revue Viaţa românească (1906-1916), dont la notoriété et la longévité (parution quasi ininterrompue jusqu'à aujourd'hui) sont assurées par la collaboration des écrivains les plus prestigueux du xxe siècle : des poètes de la paysannerie – Gheorghe Coşbuc, Octavian Goga ou Alexandru Vlahuţă (1858-1919) – aux symbolistes – Ion Minulescu, Ion Pillat – et aux non-conformistes – Arghezi, Ion Barbu, Barbu Fundoianu (alias Benjamin Fondane) – ; des nouvellistes – Ion Agârbiceanu (1882-1963) et Gala Galaction (1879-1961) – aux romanciers – Mihail Sadoveanu, Liviu Rebreanu, Mateiu Caragiale. Enfin, Gândirea (la Pensée), revue d'orientation orthodoxe fondée en 1921 par Nichifor Crainic (1889-1972), attire au début des collaborateurs de marque, tels le poète et philosophe Lucian Blaga et le critique littéraire Tudor Vianu (1897-1964), pour rejoindre, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le nationalisme de l'extrême droite. Pour ce qui est du « modernisme », on découvre son précurseur en la personne d'Alexandru Macedonski qui, dans sa revue Literatorul (1880), se fait le porte-parole de la « nouvelle poésie », voire du symbolisme. À côté de ce courant qui occupe, par ses nombreux adeptes – et en premier lieu G. Bacovia – une place centrale dans la poésie du début du xxe siècle, font irruption, dès la fin de la Première Guerre mondiale, les mouvements d'avant-garde, notamment le surréalisme, anticipé par les « anti-proses », d'un humour absurde, de l'avocat Urmuz (1893-1923), ou encore les poèmes de Tristan Tzara (1896-1963) qui précèdent la création du mouvement « Dada ». Ce dernier sera propagé à travers les revues 75 HP, Unu, Punct, Intégral et connaîtra une période fertile même après la Seconde Guerre mondiale surtout grâce à l'écrivain Gellu Naum (1915-2001). Exilés en France, les poètes Ilarie Voronca (1903-1946) et Gherasim Luca (1913-1994) seront adoptés par la littérature de ce pays. C'est à travers la revue Sburătorul (le Sylphe) et le cénacle du même nom que le critique littéraire Eugen Lovinescu (1881-1943), théoricien du « synchronisme », joue un rôle essentiel dans l'européanisation de la littérature roumaine.

Richesse de l'entre-deux-guerres

En effet, la période de l'entre-deux-guerres connaît un épanouissement sans précédent de toutes les formules artistiques modernes. Sporadiquement cultivé au xixe siècle et uniquement dans son registre social – par Nicolae Filimon, Ion Slavici et Duiliu Zamfirescu (1892-1968) –, le roman explore, à travers une grande richesse de styles et de techniques narratives, la diversité du réel : de la problématique paysanne (Liviu Rebreanu, Ion Agârbiceanu) ou citadine (Cezar Petrescu) à la saga historique (Mihail Sadoveanu ) ; des aventures de l'âme (Hortensia Papadat-Bengescu, Camil Petrescu , Gib Mihaescu 1894-1935, Anton Holban ,1902-1937, Max Blecher 1909-1938) à la typologie balzacienne étudiée par G. Galinescu et Ion Marin Sadoveanu (1893-1964) ; de l'univers familial (Ionel Teodoreanu ,1897-1954), autobiographique (Constantin Stere ,1865-1936) ou fantastique (Mircea Eliade) à la bohème décadente de la capitale (Mateiu Caragiale). La même diversité dans les modes d'expression caractérise aussi le théâtre de l'entre-deux-guerres. Dans la ligne traditionaliste, des auteurs tels Mihail Sebastian (1907-1945), Gheorghe Ciprian (1883-1968), Victor Ion Popa (1895-1946), Alexandru Kiritescu (1888-1961) et Tudor Musatescu (1903-1970) s'exercent à la comédie sentimentale ou à la satire des mœurs. Camil Petrescu, Mihail Sorbul (1885-1967), G. M. Zamfirescu (1898-1939) cultivent le drame psychologique ou social. Les pièces de L. Blaga  opèrent la fusion du mythe et de l'histoire dans une tonalité expressionniste. La critique littéraire, quant à elle, est représentée par George  Calinescu, Tudor Vianu, Vladimir Streinu (1902-1970), Perpessicius (1891-1971), Pompiliu Constantinescu (1901-1946), Paul Zarifopol (1874-1934). Cette période voit aussi les débuts de Mircea Eliade, Eugène Ionesco et Emil Cioran avant leur départ pour l'exil.

Résistance d'une littérature novatrice

Après la Seconde Guerre mondiale, la littérature roumaine subit la pression dogmatique du réalisme socialiste, qui voit se plier au conformisme même une partie des écrivains consacrés, tels M. Sadoveanu ou G. Călinescu. Des poètes comme Maria Banus (1914-1999), Nina Cassian (1924), Eugen Jebeleanu ou Mihai Beniuc (1907-1998), ayant tenté avant la guerre les expériences modernistes et d'avant-garde, se voient obligés, dans les années 1950, de composer des vers célèbratifs ou d'un militantisme factice. La mise à l'index – temporaire ou définitive – des écrivains comme T. Arghezi, L. Blaga, V. Voiculescu (1884-1963), Ion Caraion (1923-1986), ainsi que l'instauration d'une censure draconienne n'empêchent néanmoins pas la parution de quelques rares chefs-d'œuvre : les romans la Fosse de Eugen Barbu, les Moromete de Marin Preda, Chronique familiale de Petre Dumitriu ou encore le cycle de poèmes Chansons tsiganes de M. R. Paraschivescu (1911-1971). Le bref et relatif « dégel » post-stalinien a permis, dans les années 1960 et 1970, l'éclosion d'une nouvelle génération d'écrivains qui tentent de renouer avec le modernisme d'avant la guerre. Les poètes comme Augustin Doinaş, Marin Sorescu, Nichita Stanescu, Ana Blandiana, Cezar Baltag (1939-1997) ou Leonid Dimov s'épanouissent dans la découverte d'un moi libéré des contraintes idéologiques et dans la recherche fébrile de nouvelles formes d'expression. S'engageant dans un jeu compliqué avec la censure, certains romanciers, dont Al. Ivasiuc, Constantin Toiu (1923), Marin Preda s'appliquent à reconstituer la vérité sur les années de la terreur stalinienne, mais d'autres, tels A. E. Bakonsky, Augustin Buzura ou Gabriela Adameşteanu (1942), n'hésitent pas à s'attaquer aux réalités contemporaines. Mais le paysage romanesque de ces années est bien plus vaste, incluant aussi bien le réalisme fantastique (Stefan Bănulescu, Fănus Neagu, 1932) que l'étude de la psychologie abyssale (Nicolae Breban, 1934), les reconstitutions historiques (Eugen Barbu) ou les tentatives (réprimées par la censure) d'une prose « onirique » (Dumitru Tsepeneag, 1937). Défiant la censure, les critiques littéraires qui dirigent les publications Romania literara et Echinox, tels Nicolae Manolescu (1939), Ovid Crohmălniceanu (1921-2000), Eugen Simion (1933), Marian Papahagi (1948-1999), Ion Pop (1941), ainsi que Virgil Ierunca (1920) et Monica Lovinescu (1923), responsables des émissions littéraires diffusées par la radio « Free Europe », défendront tenacement les œuvres de valeur contre l'offensive de la littérature de propagande. Entre les deux extrêmes – d'une part, les chantres du régime communiste regroupés autour de la revue la Semaine ; de l'autre, les écrivains qui ont choisi la dissidence (Mircea Dinescu, 1950 ; Andreï Plesu, 1948) ou furent contraints à l'exil (Paul Goma, 1935 ; D. Tsepeneag, Virgil Tanase, 1945 ; Bujor Nedelcovici, 1936 ; Mateï Visniec, 1956) –, la littérature des années 1980 se distingue par l'essor d'une jeune génération d'écrivains, formés pour la plupart dans les cénacles universitaires, qui refusent tout engagement politique et se réclament du postmodernisme. Des poètes et des prosateurs, dont Mircea Cartarescu, Mircea Nedelciu (1950-1999), Stefan Agopian (1947) Ioan Groşan (1954) sont les noms les plus connus, pratiquent – sur des textes d'inspiration autobiographique ou portant sur la banalité du quotidien – des techniques d'expression et des expériences intertextuelles, dans un esprit ludique ou ironique.

Perspectives contemporaines

Les années 1990, marquées par l'instauration d'une démocratie encore fragile, voient s'affirmer chez les écrivains la volonté de retrouver la liberté d'expression et de renouer leur contacts avec l'Occident. La flambée de la diversité culturelle a encouragé l'apparition de nombreuses maisons d'édition et de revues littéraires. Dans le contexte d'une relative crise de la littérature d'imagination, l'activité éditoriale porte surtout sur les livres de témoignage (journaux autobiographiques, littérature carcérale, correspondences, essais politiques) et sur la diffusion des ouvrages autochtones ou étrangers interdits avant 1989.