Jacques Prévert

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète français (Neuilly-sur-Seine 1900 – Omonville-la-Petite 1977).

Le plus apparemment désinvolte, le plus profondément anarchiste, le plus iconoclaste des écrivains contemporains, il est sans conteste le plus populaire par certains des modes d'expression qu'il a choisis (chansons, films) et par son ton d'ironie généreuse. Son premier et tardif recueil de textes (Paroles, 1946) a conquis le plus vaste public et révélé un poète formé par l'expérience du surréalisme, de l'écriture dramatique et du cinéma. Membre du groupe de la rue du Château (où il vécut de 1925 à 1928 avec Tanguy, Marcel Duhamel, etc.), il forgea son instrument verbal au contact des autres, tout en les éblouissant et en les nourrissant aussi de ses remarques insolites, de sa personnalité originale à la fois discrète et entière, douée pour la provocation, de sa verve intarissable, qui ne dédaignait pas de recourir aux calembours. Il se sépara avec éclat d'André Breton (il fut l'un des signataires du pamphlet Un cadavre en 1930), commença à publier (« Souvenirs de famille » dans la revue Bifur, « Tentative de description d'un dîner de têtes » dans Commerce), puis composa des chœurs parlés, des sketches, des pièces pour le groupe Octobre, compagnie de théâtre ouvrier très active de 1932 jusqu'au Front populaire. Scénariste et dialoguiste de films, il ne manqua pas d'y porter son empreinte surréalisante, de L'affaire est dans le sac (1932), réalisé par son frère Pierre, aux dessins animés de Paul Grimault, dont le Roi et l'Oiseau (achevé en 1979) reste le chef-d'œuvre. Après avoir donné le Crime de M. Lange (1935) à Jean Renoir, il inspira à Marcel Carné les films les plus caractéristiques de ce que l'on a appelé le réalisme poétique : le Quai des brumes (1938), Le jour se lève (1939), les Portes de la nuit (1946), non sans embardées vers le burlesque (Drôle de drame, 1937), le fantastique (les Visiteurs du soir, 1942) ou le romantisme (les Enfants du Paradis, 1944). Il ne faut pas négliger pour autant sa collaboration avec d'autres cinéastes : ainsi a-t-il écrit pour Richard Pottier Un oiseau rare (1935), les Disparus de Saint-Agil (1938) et Sortilèges (1944) pour Christian-Jaque, Remorques (1939) et Lumière d'été (1943) pour Jean Grémillon, les Amants de Vérone (1948) pour André Cayatte. Refus de l'ordre établi, sympathie pour les exclus de la société, intégration des imbroglios de l'existence et des rencontres du hasard, autant d'éléments qui organisent aussi sa poésie : Spectacle (1951), la Pluie et le Beau Temps (1955), Histoires et d'autres histoires (1963), Choses et autres (1972), Soleil de nuit (1980), la Cinquième Saison (1984), et président à ses très beaux collages – insérés notamment dans Fatras (1966) et Imaginaires (1970) où la technique picturale s'apparente au jeu verbal des mots-valises. Ces recueils expriment l'humour, la tendresse et la colère de qui s'insurge contre toutes les entraves au bonheur. L'association de ses textes avec les images de ses amis peintres et photographes a produit de superbes livres : avec Izis, Grand Bal du printemps (1951) et Charmes de Londres (1952) ; Diurnes avec Picasso et André Villers (1962) ; Les chiens ont soif avec Max Ernst (1964) ; Arbres avec Ribemont-Dessaignes (1967) ; Adonides avec Joan Miró (1978). Auteur de textes souvent réédités dans des collections pour la jeunesse, alors qu'ils ne lui sont pas exclusivement destinés (Contes pour enfants pas sages, 1947, et Guignol, 1952, illustrés par Elsa Henriquez ; Des bêtes, 1950, avec des photos d'Ylla ; Lettre des îles Baladar, 1952, avec des dessins d'André François), Prévert a su trouver le cœur des enfants, parce qu'il a toujours conservé leur regard, leur faculté d'étonnement et leur intransigeance.

Paroles (1945, édition définitive : 1947). L'inspiration libertaire s'exerce en un jeu de massacre tonique contre les bourgeois conformistes, les politiciens réactionnaires, les ecclésiastiques, les généraux, les familles oppressives, et les fauteurs de guerre, dans ces textes écrits entre 1930 et 1944. Mais le public en a surtout retenu l'humour et la tendresse, une poésie de Paris, le bonheur du cancre, les plaisirs des quatre saisons, la lumière des oiseaux, ce qui en est passé dans la chanson populaire, à travers la musique de Kosma et l'interprétation de Juliette Gréco ou d'Yves Montand. L'énumération cocasse, les calembours et autres jeux de mots sont les moyens les plus apparents d'un art de dire fait aussi parfois de dépouillement et de refus.

Spectacle (1951). Le recueil rassemble des textes écrits depuis 1933 et ayant pour point commun le spectacle : sketches écrits pour le groupe Octobre (la Bataille de Fontenoy, le Tableau des merveilles d'après Cervantès) ou pour le cabaret de la Rose rouge (Branle-bas de combat, En famille) ; chansons de films mises en musique par Joseph Kosma (« Aubervilliers », « Les enfants qui s'aiment... ») ; poèmes prenant pour motif l'activité de la rue ou les œuvres de Chagall, de Picasso, de Miró. L'ouvrage est complété par des aphorismes et des citations épinglant Mgr Baudrillart, Claudel, Maritain, Cocteau.