Java

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Avec le malais, le javanais est la principale langue du groupe austronésien, tant par la richesse de son passé littéraire que par le nombre actuel de ses locuteurs : environ 70 millions, concentrés dans le centre et l'est de l'île de Java. Il apparaît au début du ixe s., dans des inscriptions (surtout des chartes de donation) sur pierre ou sur métal, rédigées dans un modèle d'écriture d'origine indienne. Les plus anciens textes littéraires peuvent être datés du xe s., époque où les premiers royaumes du centre de Java (région de l'actuelle Jogjakarta) sont supplantés par de nouveaux foyers politiques, situés plus à l'est dans le bassin du fleuve Brantas (notamment Kediri au xiie s., Singasari au xiiie s. et Majapahit aux xive-xve s.). L'influence de la littérature indienne est d'emblée prédominante, et la langue est marquée par de très nombreux emprunts au sanskrit, particulièrement dans les œuvres poétiques. Peu à peu, on constate que cette influence décroît mais qu'elle survit cependant à l'islamisation de Java (xve-xvie s.), avec d'ailleurs une renaissance notable dans les principautés du centre au xixe s., tandis que l'île voisine de Bali, qui n'a pas été islamisée, demeure jusqu'à nos jours un véritable « conservatoire » pour la littérature indo-javanaise.

Avec l'islam apparaissent de nouvelles sources d'inspiration : des œuvres arabo-persanes ou leurs traductions malaises sont adaptées avec de nombreux emprunts à ces langues. Quant à la présence coloniale hollandaise, surtout affirmée à la fin du xviiie et au xixe s., elle incite les Javanais à la fois à se retourner vers leur passé indianisé et, avec la diffusion du livre, à rechercher de nouvelles formes d'expression destinées au grand public – voire, à partir du début du xxe s., à adopter des procédés narratifs (roman, nouvelle) inspirés de l'Occident.

Dans l'évolution du « javanais ancien » au « javanais moderne », en passant par un « moyen javanais » (surtout attesté dans la littérature javano-balinaise), il est difficile de distinguer avec précision les états de langue successifs, tant l'idiome est tributaire des influences et des genres tour à tour en vogue : entre la poésie épique d'origine indienne et les chants mystiques islamiques, entre les chroniques rédigées selon les règles de la prosodie autochtone et le récit de type moderne, il y a beaucoup plus qu'un décalage d'époques. On a d'autant plus de mal à établir la chronologie des œuvres que peu d'entre elles sont datées ; d'ailleurs, à l'exception des rares textes rapportés par les premiers voyageurs européens (fin xvie s.), elles nous sont parvenues à travers des copies relativement récentes (pour beaucoup originaires de Bali). Le découpage « classique » (proposé par Th. Pigeaud) tient donc à la fois de la périodisation et du classement par grandes « influences ».

L'influence indienne (xe-xve s.)

À côté de quelques textes en prose, adaptations libres d'épisodes des deux grandes épopées indiennes, les œuvres majeures sont du genre kakawin, longs poèmes dont les règles métriques sont empruntées à l'Inde. Le plus ancien kakawin connu est une adaptation du Ramayana (xe s. environ) ; la bataille finale de l'autre grande épopée indienne, le Mahabharata, a directement inspiré le Bharata Yuddha javanais (xiie s.), et, ainsi, la plupart des grands kakawin (Arjunawiwaha, Bhoma Kawya, Gathotkacasraya, Suta Soma) ont-ils pour modèles des œuvres plus ou moins bien identifiées de la littérature sanskrite.

L'intention d'édification morale ou religieuse est une constante (nombreux sont aussi les traités sivaïtes ou bouddhiques n'appartenant pas aux « belles-lettres » proprement dites). Toutefois, dans plusieurs cas, on peut supposer que l'évocation des exploits de héros du type Arjuna ou Rama servait à la glorification des souverains qui commanditaient les poètes.

On a d'ailleurs le cas du célèbre Nagarakertagama (1365), un long panégyrique en vers du roi Hayam Wuruk de Majapahit, qui est une source de premier ordre pour l'histoire de Java. Deux autres textes pseudo-historiques, en prose et un peu plus tardifs, le Pararaton et le Tantu Panggelaran, outre leur qualité littéraire, sont également importants pour comprendre l'arrière-plan cosmologique et la tradition mythique de la royauté indianisée de Java.

La littérature javano-balinaise (xve-xxe s.)

Ses débuts sont contemporains des textes encore fortement influencés par l'Inde. Mais elle s'en distingue précisément dans son inspiration, par le recours à la mythologie locale, ainsi que dans sa forme, par l'utilisation de règles poétiques proprement javanaises. De longs poèmes (les kidung) content notamment les diverses aventures du héros Panji, un prince de Java-Est à la recherche de sa bien-aimée, ou encore celles de Damar Wulan ou de Rangga Lawé, rattachées à l'histoire de Majapahit. On retient également plusieurs contes associés à des rituels d'exorcisation (Calon Arang, Sri Tanjung) ou à l'enseignement de la mystique (Dewa Ruci). À Bali sont rédigées de nombreuses chroniques (babad) qui renvoient à la tradition indo-javanaise, et la littérature religieuse proprement dite n'a pas cessé d'être enrichie par des traités de spéculations (tutur), des hymnes (stawa ou stuti), des recueils de mantra.

La littérature islamo-javanaise (xve-xviiie s.)

C'est sur la « côte » (Pasisir) du nord de Java qu'elle se développe, dans ces centres urbains cosmopolites que sont les principautés islamiques de Gresik, Demak, Cirebon, Banten. Une de ses œuvres les plus significatives est l'adaptation des aventures d'Amir Hamzah (ou Menak), l'oncle du Prophète. Les nombreux recueils de connaissances religieuses (primbon) sont souvent marqués par le soufisme et incorporent des « chants mystiques » (suluk), attribués aux propagateurs semi-légendaires de l'islam à Java (les Wali Sanga, « Neuf Saints » ). La morale islamique inspire aussi diverses adaptations de codes de conduite individuelle. On rassemble, en outre, les traditions locales dans les « livres d'histoires » (serat kandha) et des chroniques (babad) où le merveilleux le dispute à la reconstitution historique.

La « renaissance » des principautés du centre

À partir de 1755, deux « centres culturels », Surakarta et Jogjakarta, se partagent l'héritage du sultanat de Mataram ; les poètes de cour ou pujangga (Yasadipura père et fils, Ranggawarsita) et parfois les souverains eux-mêmes (Mangkunegara IV) remettent à l'honneur les grands textes de la tradition indo-javanaise dans des versions modernisées (style poétique appelé kawi miring). Cette renaissance participe notamment d'intentions encyclopédiques (tableau d'ensemble des connaissances javanaises, comme dans le Serat Centhini), mystico-religieuses (synthèse originale des mystiques indienne et islamique) et moralisatrices (éthique « chevaleresque » et modèle social strictement hiérarchisé). La cour réglemente toutes les formes d'expression artistique : le wayang (théâtre d'ombres) et ses formes dérivées font notamment l'objet d'une codification toujours en vigueur de nos jours.

La littérature contemporaine

Les progrès de l'école au début du xxe s., joints au développement de la presse et à la diffusion du livre, ont engendré un besoin important en textes de lecture courante : les auteurs (à partir de Padmasusastra) abandonnent les formes d'expression traditionnelles, surtout destinées à la lecture à haute voix, pour le récit en prose ; la latinisation de l'écriture rapproche le roman javanais de son modèle malais influencé par l'Occident. Mais l'essor littéraire de la fin de la période coloniale est considérablement freiné aux lendemains de l'indépendance (1945), précisément par les progrès du malais (indonésien). Si l'on publie peu en javanais de nos jours, en revanche, la tradition orale, souvent transposée à la télévision (mise en scène de légendes et surtout théâtre wayang et kethoprak), demeure bien vivante.