Hugo von Hofmannsthal

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain autrichien (Vienne 1874 – Rodaun 1929).

À dix-neuf ans, il s'était déjà rendu célèbre par quelques poèmes lyriques d'une rare perfection et trois petits drames en vers (Hier, 1891 ; la Mort du Titien, 1892 ; le Fou et la Mort, 1893). C'est l'image d'une adolescence fin de siècle dans la monarchie austro-hongroise, carrefour des civilisations : raffinée, sensible et mélancolique, éprise de nuance plus que de couleur, de timbre plutôt que de sonorité, humant l'effluve dans le vent qui passe, tourmentée par la fuite des heures. Le moi se désagrège dans la sensation de l'instant fugitif, il prend la couleur des choses sur lesquelles il se pose. « Un être, une chose, un rêve ne font qu'un. » On parle d'esthétisme décadent, d'impressionnisme, mais il y a chez Hofmannsthal, disciple de Victor Hugo, plus et mieux que cela : un style.

À vingt ans, l'inspiration lyrique soudain l'abandonne. Pendant quatre ans, jusqu'en 1897, il n'écrira pratiquement plus. Il décrira plus tard la crise stérilisante que traverse le poète adolescent accédant à l'âge mûr dans la Lettre de lord Chandos (1902). Mais il se ressaisit, se reconvertit. Il est attiré de plus en plus par cet espace ludique sans frontières précises qu'est le drame lyrique, aux confins de la tragédie (ou de la comédie) et de l'opéra. Il renoue avec les grandes traditions : la Grèce antique (dès 1893, il avait librement adapté l'Alceste d'Euripide), l'Orient, le Moyen Âge populaire, le baroque espagnol, Shakespeare, la Venise de Casanova et de Canaletto. L'Empereur et la Sorcière (1897) se passe à Byzance ; les Mines de Falun (1899) s'inspire du fantastique d'E. T. A. Hoffmann ; Jedermann ou la Mort du riche (1911) reprend la formule du « mystère » médiéval d'Everyman qui, depuis 1922, est au centre du Festival de Salzbourg créé par Hofmannsthal, Reinhardt et Richard Strauss ; l'Aventurier et la Cantatrice ou les Présents de la vie (1898) a pour cadre la Vienne du temps de l'impératrice Marie-Thérèse. Électre (1903) est une adaptation de Sophocle, Venise sauvée (1905) reprend un texte d'un auteur anglais du xviie s., Thomas Otway. Dans Œdipe et le Sphinx (1906), Hofmannsthal retrouve par instants le grand style poétique de sa jeunesse. Il ne réussit pas moins dans le genre de la comédie viennoise : le Retour de Christina (1910), l'Irrésolu (1921), l'Incorruptible (1923). De là, il n'y a qu'un pas à franchir en direction de l'opéra. Après que Richard Strauss eut écrit en 1908 un opéra sur le texte de l'Électre de Hofmannsthal, celui-ci à son tour écrit des livrets d'opéra pour Strauss, entre autres le Chevalier à la rose (1911), Ariane à Naxos (1912-1916), la Femme sans ombre (1917-1919).

Après la Première Guerre mondiale, l'empire des Habsbourg n'existe plus ; Vienne a perdu sa dimension européenne. Comme pour élever un mausolée à ce qui a cessé d'être et réaffirmer malgré tout la nécessité de maintenir la tradition, les deux dernières grandes œuvres de Hofmannsthal renouent avec des thèmes de Calderón : le Grand Théâtre du monde salzbourgeois (1922), écrit pour le Festival de Salzbourg (mise en scène de Max Reinhardt) et la Tour (1925). Il a cependant mis en chantier un roman, Andreas, auquel il travaille à diverses reprises sans jamais l'achever. Il en reste d'admirables fragments : on y sent que Hofmannsthal vivait dans la Vienne de Freud, d'Adler, de Breuer, par qui se renouvelait alors la psychologie, et qu'il ne les a pas ignorés. De nombreux essais critiques, une importante correspondance avec des amis choisis complètent l'apport de cet artiste à la littérature européenne de son temps.