Louis-René Des Forêts

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain français (Paris 1918 – id. 2000).

Son intérêt précoce pour la littérature l'amène à publier quelques textes dans des revues éphémères de la fin des années 1930, époque de ses études de droit et de sciences politiques durant laquelle il se lie à plusieurs poètes, dont La Tour du Pin. Après la défaite de 1940, il s'engage dans la Résistance et compose un récit, les Mendiants (1943), qui remet en cause le romanesque traditionnel, fondé sur la progression d'une intrigue, au profit de trente-cinq monologues produits par onze personnages, empêchant le développement de l'aventure. Cette veine est confirmée et amplifiée par le Bavard (1946), dont les questionnements sont proches de ceux de Beckett ou de Blanchot (un intime, qui donnera une postface à la version remaniée de l'ouvrage, en 1963) : le narrateur éponyme n'a rien à dire, mais cherche à dire ce rien ; l'exercice logorrhéique d'« une parole vaine » exhibe la fausseté du langage et destitue le concept de communication. Dans ce roman « ontologique » (tel que son auteur l'a lui-même défini), l'authenticité relative du sujet est indissociable du mensonge et s'y révèle indirectement, par un déplacement et une condensation qui ne sont pas sans rappeler deux des principes majeurs de la psychanalyse. De fait, si « le récit, chez Des Forêts, se présente d'abord comme une manifestation d'éloquence » (Pingaud), c'est que « la parole est la vérité » (Lacan), ce qui revient à dire non seulement que le langage est la condition de l'inconscient, mais aussi que la vérité de l'être est dans son expression. L'immersion passionnelle et angoissée dans ses ruses, ses ratés et ses manques, est fondatrice des Voies et détours de la fiction (1985), désormais impossible.

De ce point de vue, il n'est pas fortuit que Des Forêts se soit après le Bavard enfoncé dans un mutisme qui est presque un renoncement à l'écriture : il se consacre à la peinture, fréquente ses amis (parmi lesquels Queneau et Bataille), s'engage politiquement par la création du Comité contre la guerre d'Algérie (1954) puis la signature du Manifeste des 121 (1960). Ne viennent guère briser son silence littéraire qu'un recueil de nouvelles (la Chambre des enfants, 1960) et un bref volume (les Mégères de la mer, 1967). Tandis que le premier se joue d'identités labiles, la virtuosité métrique du second souligne la permanence d'un rapport avec la musique et renoue ainsi, sur le terrain poétique, avec le lyrisme des Mendiants, que l'écrivain mélomane désigne comme « la fable à onze figures vocales » dans les fragments autobiographiques (et autofictifs) d'Ostinato (1984-1997). À l'instar de ce que l'on observe chez Hopkins, dont Des Forêts a partiellement traduit la correspondance (1976), l'alliance de l'« extraordinaire profusion lyrique » et de « la plus subtile concision » génère la beauté (« pouvoir exprimer, par une concentration de plus en plus grande des éléments rythmiques, la pulsation intérieure, la scansion de l'être »). À ce degré d'intensité, la beauté fait plus que toucher aux rives du silence : elle y trouve son paramètre essentiel. Prise par le rêve de tout saisir dans et par le langage, l'œuvre fait de la rétention le vrai signe de la maîtrise. Le dernier texte de Desforêts, Pas à pas jusqu'au dernier (2001), est une méditation sur la mort à venir.