Albert Cohen

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain suisse de langue française (Corfou 1895 – Genève 1981).

Plusieurs livres de ce Juif ottoman, naturalisé suisse, haut fonctionnaire international à la SDN, puis à l'ONU, raillent l'univers clos des fonctionnaires internationaux, leur carriérisme et leur jalousie (les Valeureux, 1969). Mais les « valeureux », ce sont aussi ces Juifs qui, comme les personnages de Cohen, la famille Solal, les cinq compatriotes de Solal, ou Mangeclous, combattent avec courage et humour les injustices sociales et bravent la fatalité. À l'instar des personnages, récurrents, l'essentiel de cette œuvre, solidement ancrée dans le réel, s'organise autour de quelques sujets développés d'un livre à l'autre – amour d'un sacré qui se perd, fascination de la mort, Éros solaire volontiers destructeur – que l'écriture, par définition interminable, soutenue par une verve comique et une franche truculence, met constamment en échec. Fin observateur des cultures et des systèmes de valeurs, Cohen essaie de réconcilier l'Orient et l'Occident. De Solal (1930) à Ô vous, frères humains (1972), son œuvre affiche une unité indéniable. Il est également connu pour ses récits autobiographiques d'une grande justesse de ton (le Livre de ma mère, 1954 ; Carnets, 1978).

Belle du Seigneur (1968) a consacré la gloire de Cohen. Effusion lyrique et critique sociale ajoutent, dans cette histoire d'amour absolu, une nouvelle touche au portrait de Solal, héros protéiforme et favori de l'auteur qui dévoile, au sein du roman, les antagonismes opposant Orient et Occident, non seulement géographiquement, mais par rapport aux valeurs qui régissent les sociétés, une tradition qui a ses racines dans la morale et parfois dans le sacerdoce. Les considérations purement théologiques passent cependant au second rang, comme le montre une langue débridée, burlesque à souhait, sans signes de ponctuation, parodiant la litanie, souvent jubilatoire, mais où l'exultation sait éviter, dans son ironie contrôlée, l'écueil de l'exaltation ou du pathétique.