Charles Cros

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain français (Fabrezan 1842 – Paris 1888).

« Physicien, chimiste, philosophe et poète, je suis depuis longtemps condamné à n'être que l'humoriste titubant de Pituite et du Hareng saur. » Cros consate en 1887 un malentendu : on le réduit à un bohème fantasque. Assidu aux « Vilains Bonshommes », au « Cercle zutique » (1871), un des premiers hydropathes, une célébrité du Chat-Noir (1881), il avait fondé le « Club des zutistes » (1883). L'habitué des tavernes (Quartier latin, Montmartre, Montparnasse) avait fait rire : il laisse la trace d'un humoriste vertigineux. Il avait recréé le genre médiéval oublié du monologue, devenu grâce à lui une « espèce de vaudeville à un personnage » selon la définition de Coquelin : il reprend les textes du poète miséreux, mélange corrosif de burlesque et de « fumisterie » d'où surgit une poésie absurde. Seul Verlaine (Hommes d'aujourd'hui, 1888) reconnaît le « versificateur irréprochable qui laisse au thème sa grâce ingénue ou perverse ». En 1873, Cros publie à ses frais son unique recueil de vers, le Coffret de santal. Mêlant thèmes et genres, fonds populaire ou métrique savante (la terza rima chère à Gautier), dans des vers « ni classiques, ni romantiques, ni décadents bien qu'avec une pente à être décadents, s'il fallait absolument mettre un semblant d'étiquette sur de la littérature aussi indépendante et primesautière » (Verlaine), cette somme, fraîche, hétérogène, retient par ses Fantaisies en prose, dont « Sur trois aquatintes de Henry Cros ». Elle a une rare fantaisie de voyant. Les parnassiens, croisés dans le salon de Nina de Villard (sa passion), impassibles, oubliant sa participation aux deux premiers Parnasse, l'excluent (« Je suis l'expulsé des vieilles pagodes »). Sa Revue du Monde nouveau, qui publia le Démon de l'analogie de Mallarmé, eut trois numéros. Celui qui rêvait de communiquer avec les planètes a dispersé ses dons littéraires et scientifiques. Il eut l'idée du phonographe (d'où l'actuel prix du même nom), du télégraphe, réussit la synthèse des pierres précieuses, fit des recherches sur la photographie en couleurs. Sa légèreté, sa désinvolture ont les fulgurations de l'humour moderne (Breton le cite dans son Anthologie de l'humour noir) et l'empêchèrent de figurer au premier rang des poètes ou des physiciens. « Moi, je vis la vie à côté. » Le Collier de griffes est posthume. Pour Breton, Cros annonce les Illuminations et Rimbaud.

Charles Cros, l'Obsession, par Constant Coquelin
Charles Cros, l'Obsession, par Constant Coquelin