William Blake

William Blake, la Pitié
William Blake, la Pitié

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète, peintre et graveur anglais (Londres 1757 – id. 1827).

Fils de bonnetier, apprenti graveur à 14  ans chez James Basire, enraciné dans le milieu artisanal, il demeure toute sa vie en marge du beau monde pictural et littéraire. Mêlé au tourbillon révolutionnaire (1785-1794), il n'exposera qu'une fois (1809) avant de se consacrer à une œuvre « invendable » (2 exemplaires, pour Jérusalem). De jeunes disciples entoureront « l'interprète » à la fin de sa vie.

Ses premiers poèmes enluminés (Chants d'innocence, 1789, suivis de Chants d'expérience, 1794, après l'effondrement des espoirs révolutionnaires) reflètent une foi naïve dans la bonté des êtres, des choses et de Dieu, en même temps qu'un sentiment de révolte face à l'injustice et à la souffrance. Réalisme et symbolisme se mêlent pour exprimer l'indignation et l'émerveillement face à la condition humaine telle que Blake la perçoit à travers la vie quotidienne à Londres. Dans ce chef-d'œuvre romantique se fondent l'actuel et l'archétype : la misère urbaine (« Londres »), la puissance de l'instinct (« le Tigre »), l'abandon (« le Petit Garçon perdu », « la Petite Fille perdue »), le rejet de la mère charnelle (« ��Tirzah »).

Les illustrations dont il orne ses textes mettent l'accent sur la ligne, le contour, l'énergie vitale. La haine de l'autorité et l'apologie du désir commandent toute son œuvre. Blake clame son christianisme libertaire (Il n'y a pas de religion naturelle, 1789 ; Toutes les religions sont une, 1789). Dans le Mariage du ciel et de l'enfer (1793), sa haine des mystères, qui masquent l'oppression, le mène à s'inscrire contre le conformisme et le mysticisme des Églises et de Swedenborg. Pour Blake, l'ange, c'est la soumission. L'enfer, c'est l'énergie, qui est le corps, la portion de l'âme saisissable par les cinq sens. L'énergie est plaisir éternel. Mieux vaut mal actif que bien passif. Sans contraires, il n'est pas de progrès.

Il se lance dans l'apocalypse individualisée des Livres prophétiques (Urizen, 1794 ; Los, 1795). Dans l'épopée Jérusalem (1804-1820), Albion (l'homme, la liberté), incapable de fraternité, jalouse Jérusalem (femme et cité), qui est aussi l'épouse de l'Agneau. Il devint spectre, elle devint ombre. Vala (mère de toutes les cruautés) et la Volonté féminine (envie, vengeance) règnent. Los, imagination déchue mais tenace, sauve l'art. Albion, las du malheur, révolté par la stérilité du sacrifice, libère Jérusalem, restaurant la fluidité du plaisir, du corps, et retrouve ses quatre visages, réintègre la paix active de Jésus l'Imagination. Le mal, séparation fondée sur la haine du sexe et de soi, succombe aux noces de l'Imagination et du Féminin : une anticipation essentielle des théologies de la libération, la plus ferme des poétiques de l'énergie.

Dans Milton (1800-1808), l'auteur du Paradis perdu, « du côté de Satan sans le savoir », dépasse la pitié par science de la Colère, plonge dans le désert de la prophétie, rejette les consolations de la pastorale pour retrouver l'énergie sans fin d'Éden : son parcours est celui d'une théodicée intérieure qui fonde la théorie de l'Inspiration.

Face au désir d'uniformité (l'Empire, la Raison, Urizen) rongé par la terreur de la liquéfaction, se dressent les Fils Révoltés (Los, Orc) qui allient Pitié et Colère. Piégés par le conflit, ils finissent par ressembler à leur ennemi, perdant contact avec leur rêve (Beulah) et suscitant la hargne d'un Féminin cruel et dévoyé : le Vouloir féminin. Le Spectre (posséder) et l'Émanation (aimer) deviennent alors également dangereux, parce que dissociés : la volonté de Puissance se substitue à l'amour. Seules la révulsion (« j'ai tourné le dos à ces paradis bâtis sur la cruauté ») et la création permettent de féconder le désir en lui faisant découvrir ses limites. Vient alors la sérénité active que symbolise l'Art. La politique de la vision, aimantée par l'image de l'androgyne, permet ainsi à Blake de dire pour la première fois la nature libidinale de la Révolution. L'œuvre de Blake est l'incarnation foisonnante et pure de la révolte et de la prophétie romantiques.

William Blake, la Pitié
William Blake, la Pitié