Autriche

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Les provinces autrichiennes ont apporté une importante contribution à l'histoire de la littérature de langue allemande. Parmi les grands auteurs du Moyen Âge, l'auteur anonyme du Nibelungenlied et les poètes Walther von der Vogelweide et Oswald von Wolkenstein étaient originaires du territoire autrichien. Même si, par la suite, la culture théâtrale de la Contre-Réforme baroque et son contrepoint, le théâtre populaire viennois, fourniront jusqu'à nos jours des modèles explicatifs pour la spécificité autrichienne, on ne peut parler de littérature autrichienne qu'à partir de la disparition du Saint Empire romain germanique en 1806 et la création presque simultanée de l'Empire d'Autriche en 1804.

Parmi les multiples traits spécifiques, le décalage par rapport aux principaux courants de la littérature allemande est particulièrement significatif : déjà au xviiie siècle le théâtre populaire viennois résiste à l'esprit normatif de l'Aufklärung. Et les grandes révolutions littéraires allemandes (Sturm und Drang, romantisme, la Jeune Allemagne, naturalisme, expressionnisme et dadaïsme) ont à peine pénétré en Autriche. L'Autriche oppose aux courants modernes (nationalisme, socialisme, matérialisme) un conservatisme politique et culturel qui explique les préoccupations centrales que sont la psychologie de l'individu, l'obsession de la mort et un intérêt considérable porté à la question du langage.

1804-1866 : le Biedermeier

Ce style correspond à l'immobilisme politique imposé par le chancelier Metternich. Même la révolution de 1848 ne parvient pas à rompre avec une vision du monde déterminée par l'acceptation de la réalité. L'auteur dominant de cette période, le premier à développer une conscience nationale autrichienne, est Franz Grillparzer. Il s'appuie sur l'historiographie patriotique initiée avec un Plutarque autrichien par Joseph von Hormayr (1781-1848). Le théâtre de Grillparzer est une synthèse originale du classicisme de Weimar, du romantisme, de la tradition populaire et de l'héritage espagnol (Calderon). Parallèlement, Vienne connaît l'âge d'or du théâtre populaire. D'une masse d'habiles « industriels » de la scène (Bäuerle, Gleich, Meisl) surgissent les deux classiques populaires, Ferdinand Raimund et Johann Nestroy. Éduard von Bauernfeld (1802-1890) représente la comédie bourgeoise. L'acceptation de l'ordre existant comme ordre voulu par Dieu trouve son expression accomplie dans l'œuvre narrative d'Adalbert Stifter. D'une production poétique convenue se détachent les poèmes de Nikolaus Lenau. Le pamphlet Austria as it is (1828) du prêtre défroqué Charles Sealsfield (Karl Postl) est l'un des rares documents d'une contestation radicale du système.

1866-1900 : le réalisme autrichien

L'époque qui suit l'élimination de l'Autriche de l'orbite allemande après la bataille de Sadowa est caractérisée par un historicisme grandiloquent dont la transformation architecturale de Vienne est restée le témoin visible. À cet art de la représentation répondent des auteurs pour lesquels la « question sociale » est prioritaire : Marie von Ebner-Eschenbach, Ferdinand von Saar, Ludwig Anzengruber. Les provinces se font entendre, notamment la Styrie par Peter Rosegger et le Tyrol par Karl Schönherr. La périphérie de l'Empire est représentée par Karl-Emil Franzos et Leopold von Sacher-Masoch. Un phénomène d'éclatement précède une floraison culturelle exceptionnelle, la « modernité viennoise ».

1890-1918 : la modernité

Hermann Broch a fourni une rétrospective magistrale du phénomène dans Hofmannsthal et son temps. L'analyse des sensations du philosophe Ernst Mach, la critique du langage de Fritz Mauthner et la psychanalyse de Sigmund Freud déterminent la réflexion esthétique (Bahr) et inspirent les œuvres de Schnitzler, Altenberg, Hofmannsthal, Zweig, Musil. À cette « première modernité viennoise » s'oppose avec verve le satiriste Karl Kraus dans sa revue Die Fackel qui prône l'unité absolue entre « éthique et esthétique » et défend les poètes de l'expressionnisme autrichien Georg Trakl, Franz Werfel, Albert Ehrenstein, Oskar Kokoschka. La philosophie de Ludwig Wittgenstein s'inspire de la rigueur de Die Fackel. Vienne n'est pas le seul centre de la modernité autrichienne. De la diaspora linguistique de Prague surgissent Rainer Maria Rilke, Franz Werfel, Franz Kafka, son exégète Max Brod et une riche littérature fantastique (Alfred Kubin, Gustav Meyrink, Leo Perutz).

1918-1938 : la République mal aimée

La fin de la monarchie habsbourgeoise n'entraîne guère de rupture avec la production de la modernité. En 1920, Hofmannsthal et Max Reinhardt fondent le Festival de Salzbourg dans un esprit de conservation culturelle. Mais la crise économique et politique permanente de la République ne reste pas sans conséquences sur la production romanesque et théâtrale. Rétrospectivement, cette période est l'une des plus fertiles des lettres autrichiennes : Hermann Broch, Robert Musil, Joseph Roth, Elias Canetti, Stefan Zweig et Franz Werfel donnent au roman autrichien sa dimension européenne ; au théâtre, le style épigonal d'un Wildgans cède le pas aux œuvres de Horvath, Bronnen, Bruckner et Soyfer. Cette floraison intellectuelle de la capitale est violemment rejetée par des auteurs du terroir originaires des provinces dont le prototype est le Salzbourgeois Karl-Heinrich Waggerl. Le régime austro-fasciste (1934-1938) a favorisé ce genre de littérature au détriment d'œuvres qualifiées d'« enjuivées ». La plupart de ces auteurs se sont ralliés en 1938 au national-socialisme, parmi eux le poète Josef Weinheber, seul auteur national-socialiste autrichien notable. 1938 ne signifie pas seulement la fin de l'Autriche mais également celle de la modernité artistique. Tous les auteurs de renom sont forcés de quitter l'Autriche devenue « marche de l'Est » du iiie Reich.

1945-1955 : restauration littéraire et recherche d'identité

La politique culturelle de la Deuxième République accorde à la littérature un rôle prépondérant dans l'affirmation de l'identité nationale. Friedrich Torberg et Hans Weigel, rentrés d'exil, y contribuent activement. La redécouverte du surréalisme influe sur l'œuvre de Paul Celan, d'Ilse Aichinger, de Max Hölzer, de Christine Lavant et de la jeune Ingeborg Bachmann. Des auteurs de l'exil (Broch, Canetti, Drach, Sperber, Kramer, Fried, Lind, Csokor et surtout Hochwälder) retrouvent lentement leur place dans la vie littéraire autrichienne. La tradition multinationale de l'ancienne monarchie alimente la prise de conscience nationale chez Heimito von Doderer, « poeta austriacissimus », Paris von Gütersloh et Georg Saiko. L'Autriche retrouvé est le sujet du roman emblématique Mousse sur les pierres de Gerhard Fritsch, des essais de Herbert Eisenreich et du néobaroque grotesque de Fritz von Herzmanovsky-Orlando.

L'éclatement contemporain 1955-2000

Après le traité d'État de 1955, l'harmonie entre artistes et État se fissure. Un vent de contestation souffle, d'abord incarné par les travaux expérimentaux du Wiener Gruppe (H.C. Artmann, Konrad Bayer, Gerhard Rühm, Oswald Wiener), notamment par l'antiroman Amélioration de l'Europe centrale de Wiener. Ernst Jandl, Friederike Mayröcker, Gunther Falk et le jeune Peter Handke sont proches de l'esprit d'expérimentation linguistique radicale. À partir du monologue satirique Ce bon Monsieur Karl de Qualtinger/Merz (1962), l'Autriche devient un objet haïssable des lettres autrichiennes. L'idylle devient cauchemar dans les antiromans du terroir (Antiheimatroman) qui envahissent la littérature autrichienne : Thomas Bernhard n'est que le plus connus des imprécateurs de l'Autriche (Elfriede Jelinek, Wolfgang Bauer, Gert Jonke, Peter Turrini, Franz Innerhofer, Michael Scharang, Gernot Wolfsgruber, Joseph Winkler, Gerhard Roth, Werner Kofler). Sur le plan institutionnel, ce phénomène a pour conséquence la scission en 1973 du PEN autrichien en PEN officiel (regroupant les conservateurs à Vienne autour de Hilde Spiel et Ernst Schönwiese) et le « Groupement d'auteurs de Graz » représentant tous les courants critiques parmi lesquels il faut compter la littérature à caractère féministe (Barbara Frischmuth, M. Th. Kerschbaumer, Elfriede Czurda et, surtout, Elfriede Jelinek).

L'élection de Kurt Waldheim à la présidence en 1986 et l'entrée de l'extrême droite de Jörg Haider au gouvernement fédéral en 2000 ont eu pour conséquence la transformation de la quasi-totalité de la littérature autrichienne en actes d'accusation contre le passé refoulé et les turpitudes du présent. L'événement littéraire clé de ce phénomène fut la représentation de Place des héros de Thomas Bernhard en 1989. Malgré la persistance d'une littérature expérimentale (F. Schmatz, F.J. Czernin), la littérature autrichienne de la dernière décennie est marquée par une agressivité satirique et politique remarquable. Au théâtre, le radicalisme de Werner Schwab s'impose. Roman et essai critique dominent de plus en plus (Robert Menasse, Josef Haslinger, Doron Rabinovici) la scène littéraire.