Didier Érasme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Humaniste hollandais d'expression latine (Rotterdam 1466 ou 1469 – Bâle 1536).

Enfant naturel, orphelin à 14 ans, il entre en 1487 au couvent de Steyn. En 1495, il obtient une bourse à Paris. Le séjour qu'il effectue en Angleterre en 1499 le marque profondément : il y rencontre Thomas More et se lie d'amitié avec le théologien John Colet. En 1500 paraît à Paris la première édition des Adages, suivie, en 1505, de celle des Annotations de Valla.

Les Adages constituent un recueil de maximes tirées de la Bible et des auteurs anciens grecs et latins. De la première édition (1500) à la dernière du vivant de l'auteur (1536), le nombre des maximes passa de 800 à 4 151. L'ouvrage, l'un des plus grands succès de librairie du xvie s. (plus de cent éditions), combine l'érudition de l'humaniste et l'humour de l'écrivain. Il a une place importante dans les débats de l'époque sur la nature du style et le rôle de la littérature. La préface de la première édition constitue un véritable traité d'art oratoire et de stylistique, qui fait de l'ornement du discours un élément inséparable de la vérité du fond.

De 1506 à 1509, Érasme voyage à travers l'Italie : il y étudie les auteurs anciens (qu'il traduit et édite), s'initie à l'hébreu et à l'araméen, achève le recueil des Adages. En 1509, il compose l'Éloge de la folie (1511). Écrit sur les routes d'Allemagne, entre Venise et Londres, et achevé chez Thomas More, cet essai, composé en latin, est une satire des diverses classes de la société, spécialement du clergé. Exercice rhétorique, farci de citations et de réminiscences érudites, c'est, au-delà du jeu d'école (la « déclamation »), une première expérience de l'absurde, à travers la condamnation du fanatisme et le difficile accord de l'intelligence et de la foi.

De 1509 à 1514, Érasme séjourne de nouveau en Angleterre, où il prépare une édition du Nouveau Testament d'après le texte grec. En 1516, il devient conseiller de Charles Quint, pour lequel il écrit l'Institution du prince chrétien. De 1517 à 1521, il fonde à Louvain un Collège trilingue et entreprend une correspondance avec Luther. De cet échange épistolaire naîtra la fameuse polémique sur le libre arbitre (au De libero arbitrio d'Érasme, publié en 1524, Luther répliquera en 1526 par le De servo arbitrio). Ses travaux intellectuels, et notamment sa réflexion sur la culture oratoire chrétienne (Ciceronianus, 1528 ; Ecclesiastes sive de concionandi ratione libri IV, 1535), l'absorberont jusqu'à sa mort.

Père d'un christianisme épuré et rénové par le retour au texte des Évangiles (l'évangélisme), Érasme est également – par ses travaux philologiques, son assimilation de la culture gréco-latine, sa méthode de retour aux textes et d'exégèse critique – l'un des initiateurs de l'humanisme européen.

Dans l'ensemble de son œuvre, on peut distinguer deux groupes d'ouvrages. En premier lieu, les livres d'érudition ou de pédagogie : les éditions, traductions ou commentaires d'auteurs grecs et latins (Plaute, Térence, Sénèque, Platon, Plutarque, Pindare, etc.) ; et, surtout, les Adages et les Colloques (recueil de dialogues latins), deux ouvrages pédagogiques (pédagogie de la rhétorique pour le premier, de la langue latine pour le second), à portée morale ou religieuse, rehaussés par l'esprit, la verve facétieuse de leur auteur. En second lieu, les ouvrages de philosophie morale, religieuse ou politique : l'Institution du prince chrétien définit (à l'opposé des thèses machiavéliennes) l'idéal du souverain, l'Institution du mariage chrétien valorise l'État laïc au sein de l'Église, l'Enchiridion militis christiani (le Manuel du soldat chrétien) et le Paraclesis ou Exhortation à l'étude de la philosophie chrétienne exposent l'essentiel de la philosophie religieuse d'Érasme. Ce qu'il nomme la « philosophie du Christ » tient en quelques principes simples : le retour aux Évangiles, la primauté de la foi et de la dévotion intérieure sur le culte et les rituels, de la charité sur les dogmes, de l'esprit de la religion sur sa lettre. À quoi s'ajoute cet élément fondamental qui rapproche la philosophie érasmienne de l'humanisme et l'oppose à la théologie réformée : l'affirmation de la liberté de l'homme.

Si l'œuvre la plus célèbre d'Érasme, l'Éloge de la folie, n'est classable dans aucun des deux groupes précédents, elle réalise cependant l'union intime de la raison humaniste – de son sens critique, de son ironie – et de la foi chrétienne en exhibant la folie dans ce que les hommes appellent la raison, en faisant apparaître toute raison comme une folie qui s'ignore, et en montrant que la sagesse suprême réside dans la folie de la Croix.