science politique

Analyse du pouvoir politique (science du pouvoir) et des institutions (science de l'État).

SCIENCE POLITIQUE

La science politique (ou politologie) est très ancienne. On peut considérer que les Grecs en sont les créateurs, avec notamment la République de Platon et la Politique d'Aristote, relayés par les Romains : De la République de Cicéron. Pendant une bonne partie du Moyen Âge, la politique cède la première place à la théologie, jusqu'à ce que le Florentin Machiavel restaure cette discipline (le Prince, 1532).

En France, la réflexion sur le pouvoir et les institutions fut pendant plusieurs siècles particulièrement riche : Jean Bodin au xvie siècle, puis Montesquieu (De l'esprit des lois), Jean-Jacques Rousseau (Du contrat social), Tocqueville (De la démocratie en Amérique), etc. Les œuvres de ces penseurs ont consisté principalement « à exprimer les résultats d'une méditation intérieure, nourrie par la lecture, les souvenirs personnels et l'introspection » (Maurice Duverger). Bref, la science politique demeurait littéraire, de sorte que, sur le plan scientifique, l'essor, au xixe siècle, de l'économie politique, de la sociologie et du droit public lui faisait une rude concurrence. Une science politique moderne naissait alors, dont la patrie fut incontestablement les États-Unis de la fin du xixe siècle. Si, en France, André Siegfried, avec son Tableau politique de la France de l'Ouest (1913), apparaît comme le père de la nouvelle politologie, cette science ne s'est développée qu'après la Seconde Guerre mondiale ; la création de l'Institut d'études politiques de Paris, qui succédait à l'ancienne École libre des sciences politiques (« Sciences-Po »), en fut le symbole. Cependant, l'objet de cette science, somme toute récente, est le thème de nombreux débats.

Objet de la science politique

Pour l'école américaine, l'objet de l'étude est la nature du pouvoir. Par science du pouvoir, il faut entendre, d'après l'Américain William Robson, « la nature, les fondements, l'exercice, les objectifs et les effets du pouvoir dans la société ».

L'existence des régimes totalitaires a été l'un des facteurs les plus actifs qui aient conduit dans l'entre-deux-guerres à s'intéresser à la notion de pouvoir ; ces régimes ont été en effet fondés sur des moyens d'oppression sans précédent, rendus possibles par les techniques modernes, et marqués par une profonde différence entre la lettre des institutions et leur fonctionnement réel. Mais une réaction devant cette définition a été le fait principalement de juristes européens; on définit alors la science politique comme « l'étude de l'État, de ses objectifs, des institutions qui permettent de les réaliser, des relations de l'État avec les individus membres et les autres États, et aussi de ce que les hommes ont pensé, écrit et dit sur ces questions ».

Ainsi s'opposent deux conceptions de la science politique. La première souffre d'être vague et difficile à délimiter, tandis que la seconde, selon certains, est restrictive et ne recouvre pas tous les problèmes politiques, de sorte que, sous les auspices de l'Unesco, une liste type des rubriques de la politologie a été établie.

1° La théorie politique : a) la théorie politique ; b) l'histoire des idées.

2° Les institutions politiques : a) la Constitution ; b) le gouvernement central ; c) le gouvernement régional et local ; d) l'administration publique ; e) les fonctions économiques et sociales du gouvernement ; f) les institutions politiques comparées.

3° Partis, groupes et opinion publique : a) les partis politiques ; b) les groupes et les associations ; c) la participation du citoyen au gouvernement et à l'administration ; d) l'opinion publique.

4° Les relations internationales : a) la politique internationale ; b) la politique et l'organisation internationale ; c) le droit international.

D'une autre façon, les quatre rubriques de la liste de l'Unesco peuvent être ramenées à trois grands thèmes : les idées politiques ; les institutions politiques ; la vie politique.

Science politique et autres disciplines

L'objet de la science politique nécessite de considérer ses rapports avec d'autres disciplines.

Science politique et droit

Droit public et science politique ont des objets assez proches. Mais le droit part des textes, tandis que la science politique part des faits, cherche à les connaître, à les analyser. La science politique a eu une influence bénéfique sur le droit, en développant le « réalisme juridique ». De plus, elle cherche à définir des systèmes, à déterminer des « types » permettant l'existence de sociétés équilibrées.

Science politique et histoire

La science politique peut apparaître comme un département de l'histoire, l'étude politique de la période contemporaine. L'histoire apporte à la science politique le sens de la durée, de la permanence, ainsi que du changement et de la causalité historique. La science politique pousse l'histoire à prendre conscience d'une des dimensions de la réalité sociale, à comprendre le fonctionnement des régimes, et leur évolution, à comprendre que les autres ordres de la réalité dépendent aussi du « politique ».

Science politique et économie

La science politique peut renseigner la science économique sur le fonctionnement des institutions politiques, la capacité de l'administration, les idéologies et les habitudes de pensée des catégories sociales, la possibilité de changements politiques, toutes données qui réagissent sur la vie économique, tandis que l'économiste, en fournissant au « politiste » (ou « politologue ») des indications sur le degré et la stabilité de l'emploi, les mouvements des prix et des salaires, la fluctuation des prix, lui apporte des éléments qui influent sur la vie politique. Le contact entre les deux disciplines conduit à l'étude des relations entre les structures économiques et les régimes politiques.

Science politique et sociologie

Si les sociétés industrielles sont des régimes d'opinion, la contribution de la sociologie peut être importante pour définir l'opinion, pour étudier comment s'établit le consensus :: la volonté générale sur laquelle repose l'action politique. La sociologie aide donc la politologie à replacer la vie politique dans son contexte, qui est celui de la société. En bref, la science politique est histoire par l'étude des documents, de l'évolution des institutions et des idées ; elle est sociologie politique, en ce qui concerne l'étude des collectivités ; elle relève de la psychologie sociale quand elle analyse des groupes restreints et de la psychologie politique quand elle se penche sur les individualités.

Méthodes et techniques

Le développement contemporain de la science politique se confond avec celui des méthodes d'investigations objectives et le politologue doit utiliser les techniques de recherche dites américaines parce qu'elles se sont développées aux États-Unis, de 1930 à 1950. Il s'agit notamment des sondages d'opinion, qui permettent de savoir avec une grande précision à quelles catégories sociales appartiennent les électeurs d'un parti, leur âge, leur sexe, etc., comment s'opèrent les transferts de voix d'un parti à un autre lors des deux tours d'une élection, ou lors de scrutins successifs. Un parti politique moderne doit de plus en plus avoir recours aux informations fournies par la science politique. Il est nécessaire de distinguer les méthodes et les techniques.

Les méthodes

En tête des méthodes à tendance scientifique figurent les mathématiques, qui sont utilisées pour dénombrer les éléments qui peuvent l'être : sociologie électorale, enquête d'opinion, comparaison des résultats obtenus par un même thème de propagande électorale dans divers quartiers d'une même ville, ou bien obtenus par des thèmes différents. En général, plutôt que d'expérimentation véritable, il s'agit d'observation, une observation souvent très complexe par rapport à celles auxquelles se livrent la plupart des autres sciences humaines.

La méthode clinique, empruntée à la médecine, permet d'établir un diagnostic sur un groupe donné, un groupe politique, en crise ou en croissance, etc.

Les méthodes classiques sont en principe beaucoup moins rigoureuses. La méthode fonctionnelle cherche à interpréter les faits par la notion de fonction ; elle s'applique à la permanence d'habitudes constitutionnelles à travers des régimes différents. La méthode comparative est surtout utilisée pour l'étude des régimes et des institutions. La méthode historique s'attache à l'évolution des institutions, à leur histoire ; c'est elle qui a offert les premiers matériaux de la réflexion politique.

Les techniques

Sur le plan des techniques, le procédé le plus simple consiste à rechercher la fréquence d'une expression, à dénombrer les lignes consacrées à un thème dans un journal ou dans un ensemble de journaux. Mais cette analyse du contenu a souvent des buts plus ambitieux, qui exigent des moyens plus puissants pour mesurer à travers les journaux les transformations idéologiques d'un pays.

Les techniques vivantes mettent en présence enquêteurs et enquêtés. La technique de l'interview comporte de nombreuses variétés. Dans la plus simple, l'« enquêté » est maintenu dans des limites précises ; la plus complexe est celle du type psychanalytique, où on laisse l'enquêté s'exprimer pendant tout le temps et sur tous les sujets qu'il désire. Cette technique a pris toute sa valeur dans les études d'opinion par sondages. C'est dans ce domaine que la science politique a connu ses réussites les plus spectaculaires. L'une des principales innovations a été la mise au point du procédé de l'échantillonnage. Après quelques erreurs, les techniques de sondage ont été perfectionnées grâce à l'emploi du panel (technique de répétition), c'est-à-dire l'interview, à divers moments, du même échantillon pendant toute la durée d'un phénomène.

Dans le domaine des tests, les tests purement politiques sont peu nombreux. Aux États-Unis, on a fait passer certains tests aux hommes politiques ; il est apparu que l'activité politique était le résultat d'une certaine frustration.

Les mesures d'attitudes (ou échelles d'attitudes) furent utilisées d'abord, et surtout, par les psychologues et les sociologues, les « motivations » des citoyens jouant un grand rôle dans les phénomènes politiques. La mesure d'attitude la plus simple consiste à établir le degré de sympathie ou d'antipathie d'un groupe à l'égard d'un autre, donc son nationalisme, ses préjugés, etc. ; des procédés mathématiques particulièrement complexes permettent de fixer des échelles de valeur et de déterminer une formulation numérique des attitudes des groupes.

Les techniques modernes s'appliquent avec efficacité à l'étude des rapports individuels ou des rapports entre groupes restreints. En revanche, leur insuffisance est évidente en ce qui concerne les mouvements politiques de grande envergure, dont l'étude exige, outre l'emploi de ces techniques, la mise en œuvre des qualités propres du chercheur (sens de l'objectivité, sens de l'interprétation, etc.). Ainsi, alors qu'il est possible de réaliser presque mécaniquement l'analyse d'un parti politique à l'échelon local, ce n'est plus possible à l'échelon national. La science politique moderne ne peut donc se passer des techniques dites américaines ;; cependant, elle n'est rien sans la méditation personnelle, fondement de la science politique du passé.

La science politique est donc, malgré son long passé, une science jeune dans sa forme moderne ; elle est loin d'avoir épuisé toutes ses virtualités de description et d'explication. Elle entend expliquer le présent, et peut-être même jouer un rôle dans l'explication du passé ; elle désire aussi, comme la science économique, être capable d'établir des prévisions. Par la force des choses, la science politique ne dispose pas de renseignements statistiques semblables à ceux qui permettent aux économistes, par simple prolongement des courbes, de livrer une vue plus précise de l'avenir, mais elle peut donner une idée de l'avenir des sociétés, laquelle à son tour permet de mieux comprendre le présent.