la Prairie d'Amérique du Nord

Lorsque, venant de l'Est, les premiers pionniers s'aventurèrent dans la Grande Prairie de l'Ouest américain, ils se trouvèrent devant une véritable frontière large de plusieurs centaines de kilomètres.

Cette étendue herbeuse, apparemment sans limites, les séparait de la puissante chaîne des Montagnes Rocheuses. Actuellement, cette vaste région correspond aux États du Montana, de l'Idaho, du Wyoming, du Colorado, de l'Utah, du Nevada, de l'Arizona et du Nouveau-Mexique et s'étend donc du sud-ouest du Canada jusqu'à la frontière du Mexique et des Montagnes Rocheuses aux vallées du Mississippi et du Missouri. Ici et là elle prend un aspect désertique, mais ailleurs elle mérite bien son nom de prairie.

Climat et relief

Le climat qui y règne est continental, avec de grands contrastes entre la chaleur de l'été et le froid rigoureux de l'hiver, entre la sécheresse et les pluies diluviennes. À l'été qui brûle la végétation, transformant la prairie en une étendue rouge brunâtre, succède un automne où les pluies grossissent et font déborder les cours d'eau, changeant de grandes surfaces en marécages. Au printemps, les eaux provenant de la fonte des neiges qui couvraient les Rocheuses favorisent le renouveau de la végétation et d'innombrables fleurs multicolores parsèment la Grande Prairie. Terre de contrastes, celle-ci connaît des températures minimales très basses (−60 °C à la frontière du Canada et aussi −38 °C dans certaines régions du Kansas).

Les contreforts des Montagnes Rocheuses qui bordent l'océan Pacifique constituent une barrière très efficace et les vents chargés de pluie en provenance de l'Ouest sont arrêtés. Ceux qui viennent de l'Atlantique sont également freinés par les monts Appalaches, lesquels sont beaucoup moins élevés (2 036 m au mont Mitchell) et aussi bien plus étroits. La Grande Prairie est un théâtre où s'affrontent des influences polaires, tropicales, océaniques et continentales. Les vents impétueux qui la balaient entraînent de brusques changements de pression atmosphérique et c'est là que l'on observe d'impressionnantes tornades, qui se produisent surtout en mai et en juin. Les descriptions des voyageurs et les chroniques des premiers colons font état de nombreuses catastrophes climatiques dont les victimes jalonnèrent les pistes de la prairie dans le passé. Le climat devient de plus en plus continental en direction de l'Est et du Nord.

Au printemps, le réveil de la prairie est un événement que les hommes, et aussi les animaux semble-t-il, accueillent comme un véritable retour à la vie. L'herbe jaunie par le long hiver repousse, avivant les couleurs des grandes plaines.

Le relief est peu marqué mais dans le détail il y a des terrasses, des collines et enfin l'altitude augmente progressivement de 500 à 1 500 m au voisinage des Montagnes Rocheuses. Il y a également plusieurs plateaux très étendus, comme celui du « coteau du Missouri » situé entre 400 et 1 000 m approximativement dans le Nord-Ouest. L'altitude moyenne, mis à part le bassin du Mississippi, se situe donc entre 200 et 400 m.

Faune et flore

Malgré son apparente uniformité, la Grande Prairie présente des paysages très variés selon la latitude, le sol et le climat local. La véritable prairie est formée d'herbes hautes et se trouve dans la partie centrale plus fraîche et pluvieuse, c'est-à-dire dans le Minnesota, le Dakota et de là jusque dans le Sud-Ouest au Texas. Les graminées atteignent de 50 cm à 1 m au moment de leur floraison. Il s'agit d'alfas ou du boutelque bleu (Bouteloua gracilis) et de l'herbe indienne (Sorghastrum nutans). La présence d'arbres isolés ou de bosquets rompt la monotonie d'un paysage envahi par les herbes. À cette prairie s'oppose celle qui est formée d'herbes plus courtes, caractéristique des vastes plaines qui s'étendaient jadis, quand le climat était plus sec, dans l'est du Kansas, au Nouveau-Mexique, au Colorado, dans l'ouest du Nebraska et de l'Oklahoma. Elle se compose d'herbe à bison (Buchloe dactyloides) et d'herbe bleue, dont la hauteur ne dépasse guère 30 cm. La première doit son nom au fait qu'elle servait effectivement de nourriture à ces ruminants. On pense que ce type de végétation était plus fréquent avant que les troupeaux de bisons soient éliminés et les prairies transformées en champs. Des observations faites dans des contrées soustraites aux cultures et rendues au pâturage permanent ont montré qu'il faut de 20 à 50 ans pour que l'herbe à bison reprenne sa place. Il existait très probablement un équilibre entre cette végétation et les ongulés qui l'exploitaient.

Enfin, il existe une prairie mixte, intermédiaire entre les deux précédentes. Dans le Sud, la prairie est peu à peu envahie par des cactées (opuntias) qui trahissent l'aridité croissante du climat. C'est seulement au bord des rivières que poussent des arbres (peupliers, ormes, frênes, saules). Ces prairies rases laissent elles-mêmes la place à des étendues couvertes d'armoises.

La terre des bisons

Les bisons, animaux les plus spectaculaires de la Grande Prairie, en ont presque complètement disparu, tués par l'homme blanc au xixe s. Leur nombre, avant le début du massacre, devait être voisin de 60 millions selon certaines estimations. Leur tragique destin est l'un des plus tristes exemples de quasi-extermination d'une espèce animale à la suite d'une chasse abusive. Descendant d'une espèce encore plus grande (Bison latifrons), le bison américain (Bison bison) mesure 1,80 m de haut à l'épaule, pèse au maximum 1 200 kg et, entre autres détails, se distingue du bison européen par sa tête plus massive et ses pattes plus courtes. On a évalué à 2 millions et demi le nombre de ceux qui furent tués entre 1870 et 1875. En 1889, il n'en restait plus que quelques centaines ; actuellement, les survivants sont protégés dans de vastes réserves au Canada et aux États-Unis.

Les antilopes

Une antilope, le pronghorn (Antilocapra americana), était elle aussi largement répandue dans les plaines avant l'arrivée des Européens. Capable de courir à 64 km/h, elle vivait dans la moitié occidentale de la Grande Prairie, se rassemblant en troupeaux de plusieurs milliers d'individus durant l'hiver. Le pronghorn a la particularité d'avoir des cornes caduques et fourchues (chez les autres Bovidés elles sont permanentes et simples). Il mesure 1,05 m de haut à l'épaule et pèse au maximum 45 kg. Ses effectifs s'élevaient probablement à 40 millions jadis ; aujourd'hui il en reste quelques centaines de milliers dans des réserves.

Les chiens de prairie

Plus à l'abri en raison de leur genre de vie souterrain, les chiens de prairie ont survécu en grand nombre non sans avoir payé un lourd tribut aux agriculteurs. Ces animaux doivent leur nom à leur cri qui ressemble à un aboiement, mais ce sont des écureuils terrestres (genre Cynomys) mesurant environ 30 cm de long plus 7 cm pour la queue et pesant 1,4 kg. Ils forment des communautés, véritables « villes » souterraines, qui couvrent parfois des centaines d'hectares. L'entrée de chaque terrier est entourée par un muret formé de déblais qui les protègent contre les inondations dues aux pluies diluviennes. Les chiens de prairie surveillent les environs et si l'un d'eux émet un cri d'alarme, les autres rentrent dans leur logis. En creusant le sol de la prairie, ces rongeurs ont influé sur la végétation. Il semble, en effet, que leur activité ait stimulé la croissance des herbes à bison, favorisant le milieu de prédilection de ces grands herbivores. Il y a quatre espèces de chiens de prairie aux États-Unis. Chez l'espèce à queue noire (Cynomys ludovicianus), le terrier atteint 5 m de long et s'enfonce à 60-90 cm de profondeur. Il comprend une chambre et deux sorties opposées ainsi que des culs-de-sac. Cet animal vit en plaine, alors que l'espèce à queue blanche préfère les régions élevées et hiberne. Depuis 1900, les effectifs des chiens de prairie ont diminué de plus de 90 %. En plaine, où les prairies naturelles ont été remplacées par des champs, l'espèce à queue noire peut faire des dégâts sensibles. On la trouve entre le Montana et le Texas et du Kansas au Colorado d'Est en Ouest.

La petite chouette des terriers s'installe parfois dans les terriers abandonnés par les chiens de prairie et d'autres animaux y trouvent aussi un refuge spacieux.

Les hommes de la Grande Prairie

Avant l'arrivée des Européens, les Amérindiens étaient répartis entre de nombreuses tribus sédentaires ou nomades, vivant d'activités aussi diverses que la chasse, la pêche, la cueillette, l'agriculture et, enfin, l'élevage. D'après certains spécialistes, il y aurait eu dans l'Ouest américain près de 400 tribus ayant presque chacune son dialecte (on en a recensé 370 !), alors que le total de cette population était très faible puisqu'on l'a estimé à 500 000 individus vers la fin du xvie s.

La multiplicité des langues et l'attachement à des coutumes ancestrales s'expliquent par l'isolement dans lequel vivaient ces tribus, séparées par de grandes distances ou des obstacles naturels tels que montagnes, déserts, lacs ou fleuves. On a distingué les Indiens de la prairie et ceux des forêts en trois ensembles : les tribus nomades du Sud-Ouest, qui se déplaçaient à pied et qui parcouraient les steppes et déserts du Nouveau-Mexique, de l'Utah, du Nevada et de l'Arizona (Apaches, Navajos, Kiowas, etc.), les peuples plus nombreux de l'Oklahoma (Cherokees, Seminoles, Creeks) et enfin les tribus vagabondes qui avaient domestiqué le cheval et qui circulaient dans les grandes plaines (Cheyennes, Arapaos, Comanches, etc.).

Les tribus de chasseurs exploitaient de très vastes étendues où vivaient bisons, antilopes et chevaux sauvages. Les jeunes gens étaient initiés à la découverte et au pistage des animaux gibier ; on leur apprenait à marcher des jours et des nuits sans manger ni dormir, à construire des pièges ingénieux tenant compte du comportement des animaux mais aussi à s'orienter et à retrouver leur chemin dans l'océan des herbes ou le désert. On les entraînait à combattre, à se servir de l'arc et enfin à supporter sans broncher la douleur de façon à devenir de véritables guerriers prêts à défendre leurs terrains de chasse. Ces derniers n'avaient d'autres limites que celles fixées par les incursions des tribus. Les coutumes des voisins étaient respectées mais il suffisait que les frontières fussent violées par une tribu plus agressive ou poussée par la nécessité de trouver de la nourriture pour que se déchaînent des luttes violentes dégénérant parfois en guerre permanente.

La civilisation amérindienne

L'arrivée des Blancs entraîna la disparition d'une civilisation remarquablement adaptée au milieu ambiant. Le contact permanent avec la nature avait développé certaines attitudes de pensée : ainsi les héros des légendes indiennes étaient souvent des hommes et des animaux vivant côte à côte. Pour de nombreux Amérindiens, les plus humbles des plantes de la prairie avaient une importance considérable. Parmi les végétaux aquatiques, une espèce fréquente au bord des cours d'eau et des lacs, Zizania aquatica, encore appelée riz sauvage, leur permettait de faire des réserves de nourriture, car ils la cultivaient d'une façon assez primitive. Certaines tribus semaient le maïs (Zea mays), connu depuis fort longtemps en Amérique centrale, où il tenait une place essentielle dans la nourriture quotidienne. Les agriculteurs amérindiens en cultivaient plusieurs variétés et, en outre, avaient des champs de haricots (Phaseolus vulgaris), autre plante d'origine américaine. Un grand nombre de plantes sauvages étaient utilisées pour guérir diverses maladies ou pour servir à des rites magiques. Leur étude a beaucoup d'importance, car elle fournit aux ethnologues des informations sur les coutumes anciennes. Le créosote (Larrea tridentata) était connu des Amérindiens qui l'employaient contre les rhumatismes ; les racines d'un phytolacca (Phytolacca decandra), pulvérisées, étaient employées pour lutter contre le cancer et les inflammations chez les bovins. Les Dakotas se servaient du genévrier de Virginie (Juniperus virginiana) à titre de fumigène mais ils savaient également que cette plante avait des propriétés cardiotoniques et dépuratives. Un examen rapide des remèdes utilisés par les Indiens montre que, chez eux, les maladies dont on se préoccupait étaient assez peu nombreuses. Les plus fréquentes affectaient l'appareil digestif et le cœur. Les maladies des enfants étaient également soignées, ainsi que les blessures en tous genres, notamment celles causées par des animaux et des armes de guerre.

Au début du xviie s. commença la colonisation européenne et les peuples des prairies en furent progressivement mais inexorablement les victimes. Les premiers pionniers s'étaient adaptés à une existence proche de celle des tribus à demi nomades, mais très vite ils se mirent à construire des maisons et à établir des enclos pour protéger leur bétail et leurs récoltes. Le paysage de la Grande Prairie se transforma donc très vite et cela devint encore plus évident à l'époque où se déroula la conquête de l'Ouest (Far West).

La « ceinture du maïs »

Les colons étendirent progressivement leurs champs et en particulier ceux où ils cultivaient le maïs qui, jusqu'alors, était assez localisé et n'avait qu'une importance secondaire. C'est ainsi que naquit la « corn belt » ou « ceinture du maïs » qui se trouve dans le centre-ouest des États-Unis, jusqu'à l'Illinois, l'Indiana et l'Ohio, et qui s'étend sur une superficie de 500 000 km2, presque égale à celle de la France ! En même temps que les productions végétales, les nouveaux Américains développèrent l'élevage d'animaux (vaches, porcs, volailles) engraissés avec un fourrage abondant et des céréales.

L'essor de l'agriculture entraîna le développement de l'industrie et des voies de communication et la Grande Prairie perdit à jamais son aspect primitif.