l'Homme aux loups

Cas clinique publié par Sigmund Freud en 1918 sous le titre Extrait de l'histoire d'une névrose infantile.

Il s'agit d'un jeune homme russe de vingt-deux ans que Freud traita entre 1910 et 1914. Il venait d'hériter de l'immense fortune de son père, mort deux ans auparavant. À l'âge de dix-huit ans, la santé mentale du patient s'effondra à la suite d'une blennorragie. Son adolescence s'était déroulée normalement et il avait achevé ses études secondaires. Mais son enfance avait été dominée par de graves troubles névrotiques qui s'étaient déclenchés avant son quatrième anniversaire sous la forme d'une phobie d'animaux, puis s'étaient transformés en névrose obsessionnelle à contenu religieux. Entre dix-huit et vingt-deux ans, le patient séjourna dans des sanatoriums en Allemagne, avec le diagnostic d'état maniaco-dépressif (pathologie dont souffrait son père). Freud traita uniquement les séquelles de la névrose obsessionnelle infantile. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de ce cas clinique : la mise en évidence de l'importance de la vie sexuelle infantile dans la genèse des névroses (démonstration à l'adresse de Jung), et le travail sur l'aspect réel ou fantasmatique des événements rapportés par le patient relativement à cette période infantile.

En fait, toute l'analyse est centrée autour d'un rêve que fit l'enfant quelques jours avant le Noël qui marquait son quatrième anniversaire. C'est le fameux rêve des loups : l'enfant rêve qu'il est dans son lit, soudain la fenêtre s'ouvre et il voit sur les branches d'un grand noyer face à la fenêtre 6 ou 7 loups blancs avec de grandes queues de renard. Terrifié à l'idée d'être mangé par les loups, l'enfant crie et s'éveille.

Par un travail d'associations d'idées, Freud rapproche ce rêve de la vision par le patient d'une relation sexuelle de ses parents lorsqu'il avait un an et demi. Cette « scène primitive » était un coït a tergo au cours duquel il a vu son père dressé et sa mère courbée, tous deux étant vêtus de blanc. Les loups terrifiants représentaient donc le père et son sexe dressé. La scène primitive, réalité ou fantasme, tel est l'objet de la discussion de ce rêve.

Tout le matériel clinique qui a permis de reconstituer la névrose infantile a été livré par le patient au cours des six derniers mois de la cure. En effet, dans le but de forcer les résistances et la passivité du patient, Freud avait fixé un terme à cette analyse qui durait depuis quatre ans sans résultat. L'homme aux loups, considéré comme guéri, retourna donc en Russie en 1914. Mais la guerre et la révolution d'Octobre le ruinèrent. Les symptômes reprirent sous la forme d'une constipation opiniâtre. Il revint à Vienne, mais ne pouvait plus payer une cure avec Freud. Ce dernier organisa alors une collecte auprès de la Société de psychanalyse pour verser pendant six ans une rente à l'homme aux loups en dédommagement de sa contribution à la théorie psychanalytique.

L'état du patient s'aggravant, Freud l'adressa à Ruth Mack Brunswick pour un traitement gratuit. Il souffrait alors d'un délire hypocondriaque centré sur l'intestin, puis sur le nez et les dents. R.M. Brunswick établit un diagnostic de paranoïa. Au bout de quelques mois de cure l'état du patient s'améliora sans qu'aucun élément nouveau sur le matériel infantile ne fût livré. Il s'agissait de résoudre le transfert du patient avec Freud, ce qui n'avait pu se faire au moment voulu à cause de l'échéance fixée par celui-ci. Ce forçage de la part de Freud, allié à l'erreur de la rente versée au patient et aux circonstances douloureuses de sa vie ont précipité une rechute, un déclenchement d'épisode psychotique.

C'est à propos de l'homme aux loups que Freud avance pour la première fois le terme de verwerfung qui signifie rejet, en l'occurrence rejet de la castration dont le patient ne voulait rien savoir, même au sens du refoulement. Lacan continuera ce commentaire et traduira verwerfung par forclusion, ou rejet définitif d'un signifiant primordial, le signifiant Nom-du-Père. La forclusion est pour Lacan le mécanisme central de la psychose.

Les psychanalystes Maria Torok et Nicolas Abraham ont élaboré, à partir d'un travail sur le langage de l'homme aux loups, le concept de « crypte », lacune au sein du moi, défaut d'inscription symbolique qui participerait au déclenchement de la psychose (le Verbier de l'homme aux loups, 1976).

Devenu une sorte de monument de la psychanalyse que l'on venait visiter du monde entier, l'homme aux loups a fini sa vie dans un hospice de la banlieue viennoise.