Comprenant qu'il s'agit d'une course contre la montre, Watson et Crick redoublent d'efforts. Le 28 février, Watson finit par élucider l'appariement des bases A-T et G-C. Les deux compères se précipitent au pub voisin, The Eagle. Devant les clients médusés, Francis Crick annonce solennellement qu'ils viennent de découvrir « le secret de la vie ». Le 7 mars, Crick pose le dernier élément sur leur Meccano géant, haut de deux mètres, avec dix paires de bases symbolisées. Ils convient Maurice Wilkins à venir découvrir le modèle. Celui-ci se rend sur place et ne peut qu'en constater la pertinence. Il décline cependant la proposition de Watson et de Crick d'être cosignataire de l'article où ils font part de leurs travaux.

Pareille proposition n'a pas été faite à R. Franklin, à qui pourtant une bonne partie de la découverte est due. À deux doigts du but, celle-ci avait quitté le King's College au début de l'année 1953. Elle devait par la suite se consacrer à l'étude d'un virus, celui de la mosaïque du tabac. Elle décéda à l'âge de trente-sept ans, le 16 avril 1958, d'un cancer de l'ovaire, favorisé sans doute par des expositions répétées aux rayons X. Oubliée, comme Avery, par le jury du prix Nobel, elle finit par recevoir un hommage de la part de James Watson dans son livre la Double Hélice, publié en 1968.

Paradoxalement, la publication de Watson et de Crick n'entraîna pas une profusion d'articles sur l'ADN et sur la double hélice. Néanmoins, des travaux furent menés dans différentes directions : propriétés physiques de l'ADN, méthodes d'extraction, composition des différentes cellules d'un même organisme (afin de savoir si elles contenaient toutes le même ADN), dégâts induits par le rayonnement ultraviolet et les rayonnements ionisants, et implication dans la synthèse des protéines.

Ces travaux débouchèrent sur la compréhension du rôle de l'ADN, mais aussi de l'ARN (acide ribonucléique, dont la structure est formée par une chaîne unique), dont la séquence des bases puriques et pyrimidiques détermine la succession des acides aminés composant les différentes protéines. En 1961, le code génétique gouvernant cette synthèse est élucidé par Marshall Nirenberg. Une nouvelle étape est franchie au début des années 1970 avec les méthodes du génie génétique. Il devient alors possible de cloner des fragments de génome et de les cultiver dans des bactéries, ainsi génétiquement modifiées. La première grande traduction de ce nouveau mouvement fut la localisation en 1983 du gène de la chorée de Huntington, qui sera identifié dix ans plus tard. Ces travaux donnèrent le coup d'envoi au projet de décryptage du génome humain, entamé à partir de 1988. Cet immense travail devait déboucher en 2001. Après avoir décripté les génomes de divers organismes, les chercheurs – parmi lesquels le moins enthousiaste n'est pas James Watson (Francis Crick se concentrant sur des recherches sur le système nerveux central) – arrivent à la conclusion que le génome humain est composé non pas de 100 000 gènes, mais de seulement 30 000, et donc beaucoup plus proche qu'on ne le pensait de celui de diverses espèces animales.

De riches perspectives d'avenir

Les visions réductionnistes en prennent un coup : la complexité n'est pas due au nombre de gènes mais aux interactions complexes entre eux et avec les protéines. De même, la vision simpliste « un gène, une protéine » a été remise en question par le fait qu'un même gène peut gouverner la synthèse de plusieurs protéines. En outre, il apparaît que des gènes peuvent suppléer des gènes déficients. Quant aux théories, idéologiquement connotées, qui cherchaient à identifier les gènes de certains comportements, de l'alcoolisme à l'homosexualité, l'histoire les a renvoyées aux oubliettes.

Cinquante ans après la publication de Watson et de Crick, l'aventure scientifique se poursuit. La technique de la réaction de polymérisation en chaîne (PCR, ou Polymerase Chain Reaction, mise au point par l'Américain Kary Mullis, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 1993 pour cela) est aujourd'hui couramment employée pour obtenir de longues chaînes d'ADN à partir d'un simple fragment. Elle permet de détecter avec certitude la présence d'un matériel génétique connu dans un prélèvement.

Même si la thérapie génique, visant à corriger les anomalies génétiques à l'origine de certaines maladies, n'a pas encore tenu ses promesses, les perspectives d'avenir demeurent riches. Ironie de l'histoire, beaucoup de scientifiques voient aujourd'hui les espoirs les plus consistants dans la protéomique, l'étude des protéines, qui avait été un peu oubliée, éblouis que nous étions par l'épopée de la génétique.