Imbroglio persistant au Cachemire

L'Inde et le Pakistan ont été au bord d'un quatrième conflit aggravé par le risque nucléaire. Si la médiation de la communauté internationale a permis d'éviter le pire, le sort du Cachemire reste encore incertain.

Le conflit récurrent qui oppose au Cachemire l'Inde et le Pakistan remonte à 1947. Les États princiers ont dû choisir, à cette date, leur rattachement à l'un ou l'autre des deux pays nés de la partition des Indes britanniques. Le maharadjah du Cachemire, en optant pour l'Inde, a provoqué le premier conflit indo-pakistanais, qui a abouti en 1949, sous l'égide de l'ONU, à l'établissement d'une ligne de cessez-le-feu (LOC), devenue, depuis, une frontière qui sépare de facto l'Azad Cachemire (Cachemire libre) et les « Territoires du Nord », sous contrôle pakistanais, de l'État indien du Jammu-et-Cachemire.

Une « sale guerre »

Indiens et Pakistanais n'ont jamais, pour autant, voulu transformer la LOC en frontière de jure et ils s'y s'ont affrontés militairement en 1965, 1971 et 1999, en s'accusant mutuellement d'occuper un territoire sur lequel se sont cristallisées deux conceptions différentes de la nation. Le Pakistan considère que le Cachemire, qui compte 80 % de musulmans, aurait dû lui revenir en totalité. Pour l'Inde, ce territoire conforte, au contraire, le fondement « séculariste » de la République indienne qui ne s'est pas constituée comme État hindou, mais multiculturel et multiconfessionnel. Théâtre d'affrontements militaires entre les deux frères ennemis, le Cachemire est aussi engagé, depuis 1989, dans une « sale guerre » opposant formations terroristes et forces de sécurité indiennes. Menée au départ par des groupes armés cachemiris indépendantistes, l'insurrection anti-indienne au Jammu-et-Cachemire a été progressivement contrôlée par des organisations basées au Pakistan, telles que l'Harkat-UI-Ansar ou le Lashkar-i-taiba, soutenues par les services secrets militaires d'Islamabad (l'ISI) et proches de la mouvance islamiste radicale pakistanaise. Ce sont précisément les attentats imputés à ces commandos entraînés dans l'Azad Cachemire qui ont conduit l'Inde et le Pakistan au bord d'un quatrième conflit armé, aggravé par la menace nucléaire, à la fin du printemps 2002.

L'ombre portée du 11 septembre

Car l'intervention des États-Unis en Afghanistan, consécutive aux événements du 11 septembre, a donné un tour nouveau à la question du Cachemire. À la tête d'un Pakistan devenu un allié essentiel des Américains dans leur lutte contre les talibans et les réseaux Al-Qaida, le général-président Pervez Moucharraf ne peut plus prétendre combattre le terrorisme en Afghanistan et ignorer dans le même temps celui qui sévit au Cachemire indien. Dans un discours historique à la nation prononcé le 12 janvier, le chef de l'État pakistanais a affirmé que, désormais, le Pakistan n'autoriserait « plus que son sol soit utilisé pour des actes terroristes contre qui que ce soit » et s'est engagé à mettre un terme de façon « permanente » et « vérifiable » aux « infiltrations transfrontalières ». Pour autant, Moucharraf n'entend pas abandonner la cause du Cachemire et a réitéré la position classique pakistanaise, qui consiste à apporter « un soutien moral, politique et diplomatique aux Cachemiris », et à appeler à la reprise du dialogue avec le voisin indien ainsi qu'au respect d'une résolution des Nations unies datant de 1948 et que n'a jamais appliquée New Delhi : la tenue d'un référendum d'autodétermination pour le peuple cachemiri. Pour sa part, le chef de l'État pakistanais s'est dit prêt à reprendre les négociations avec le Premier ministre indien, Atal Bihari Vajpayee, au sommet sur la sécurité régionale d'Almaty en juin, au plus fort de la mobilisation militaire des deux pays. Cette proposition a toutefois été rejetée par New Delhi, au motif qu'Islamabad aurait juste changé de « langage » sur le terrorisme. Certes, les autorités pakistanaises dénoncent désormais systématiquement tout attentat terroriste frappant des civils au Cachemire indien. Elles ont de même procédé, début 2002, à l'arrestation de près de 2 000 militants islamistes pakistanais (dont le chef du Lashkar-i-taiba)... avant de les relâcher après enquête. De surcroît, Islamabad refuse d'extrader une vingtaine de terroristes que lui réclame New Delhi.

La fragile position de Pervez Moucharraf

En fait, le sort des Cachemiris, dont les rangs sont plus divisés que jamais entre indépendantistes, pro-pakistanais et pro-indiens, dépend plus que jamais des évolutions politiques au Pakistan et en Inde, tous deux traversés par des crises internes que leurs gouvernements respectifs pourraient être tentés d'« externaliser ». Depuis qu'il est arrivé au pouvoir en 1998, le parti nationaliste hindou (BJP), dont est issu l'actuel Premier ministre indien, perd toutes les élections régionales, au point que M. Vajpayee, considéré comme un modéré, a dû faire des concessions à l'aile « dure » de son parti en nommant vice-Premier ministre Lal Krishna Advani, l'un des plus farouches opposants à une reprise du dialogue avec le Pakistan sur la question du Cachemire.