Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le spectre de la violence continue à hanter la Corse

Le 17 août, le nationaliste corse François Santoni est assassiné près de Bonifacio, un an après Jean-Michel Rossi, avec lequel il avait contribué à la création de l'organisation Armata Corsa, opposée au processus de Matignon qui avait été approuvé par les élus corses en juillet 2000.

Moins d'une semaine plus tard, deux autres proches de ce mouvement sont assassinés. Faisant redouter une vendetta, ce regain de violence dans l'île invite le projet corse au premier plan de la rentrée politique.

Un an après la signature des accords de Matignon, la violence semblait avoir déserté l'île. Ce « malaise corse », que le processus de Matignon était censé régler, est certes encore perceptible, et se mesure à l'aune de ces attentats, plastiquages et colis piégés, en recrudescence depuis mars, qui ne font pas de victimes mais continuent à alimenter l'inquiétude en Corse.

Un processus « un peu en panne »

Les colis piégés envoyés en juillet à deux avocats, dont le leader nationaliste Jean-Guy Talamoni, l'un des négociateurs des accords de Matignon, seront désignés par l'ensemble des nationalistes comme une simple « manipulation » visant à raviver les querelles internes ; quant au FLNC, il revendique le 1er août une série d'attentats mineurs commis dans les mois précédents, une manière de rappeler que la trêve observée depuis décembre 1999 peut être rompue si le processus tendait à s'enliser. Mais, d'une manière générale, la stratégie de dialogue mise en place par le gouvernement, qui avait accepté de ne pas poser comme un préalable l'abandon de la violence dans une île encore traumatisée par l'assassinat du préfet Erignac, en février 1998, semble porter ses fruits, laissant espérer que les germes de la violence ont été extirpés des mœurs insulaires. Signe de cette décrispation, certains acteurs politiques à Paris, en écho aux revendications des milieux nationalistes corses, commencent à soulever l'éventualité d'une amnistie pour les prisonniers politiques, y compris les auteurs de crimes de sang, comme le tueur présumé du préfet Erignac, Yvan Colonna, toujours en cavale. Ce débat, qui agite et divise les Verts, dont l'un des responsables, le futur candidat présidentiel Alain Lipietz, se prononce en faveur d'une amnistie inscrite au terme du processus de paix, suscitant un rappel à l'ordre de Dominique Voynet et, au-delà, du gouvernement qui ne veut pas en entendre parler, donne la mesure de cette confiance nouvelle. Attendus au tournant des rencontres de Corte, qui s'ouvrent le 3 août pour dresser un état des lieux du processus de Matignon, les nationalistes corses ne devaient pas démentir ce calme apparent. Mais alors que les représentants des mouvements nationalistes réunis à Corte, aux côtés de ceux d'autres organisations régionalistes, autonomistes ou indépendantistes, mettent en cause l'indifférence des pouvoirs publics face au processus de Matignon, « un peu en panne », et appellent à un règlement de la question des « prisonniers politiques », la Corse se rappellera brutalement au gouvernement, montrant qu'elle n'a pas rompu avec la tradition des règlements de comptes et assassinats.

« Pour solde de tout compte »

Le 17 août, alors qu'il quittait une noce dans le petit village de Monacia-D'Aullène, près de Bonifacio, en Corse-du-Sud, le nationaliste François Santoni est abattu par des meurtriers non identifiés. Militant de la première heure de la cause indépendantiste corse, François Santoni était un nationaliste plutôt atypique, en rupture de ban d'A Cuncolta, depuis qu'en juin 1999 il avait créé son propre mouvement, Armata Corsa, avec Jean-Michel Rossi... assassiné un an avant, le 7 août 2000. Ce long compagnonnage dans la nébuleuse nationaliste l'avait mené dans les eaux troubles des milieux mafieux et du grand banditisme, ce dont il n'a d'ailleurs pas fait mystère, en signant, avec Jean-Michel Rossi, un livre au vitriol (Pour solde de tout compte : les nationalistes corses parlent, été 2000) dans lequel il cherchait à démontrer les ramifications mafieuses du mouvement nationaliste. Trois mois avant d'être tué, il persistait et signait, seul cette fois, un autre livre – Contre-enquête sur trois assassinats – censé dévoiler les complicités occultes ayant coûté la vie à son ami. Autant dire qu'il s'était fait des inimitiés tant dans les milieux nationalistes, auxquels il reprochait de s'être associés au processus de Matignon, que dans les milieux de la criminalité, vers lesquels s'orienteront les enquêteurs quand, le 21 août, deux autres membres ou proches d'Armata Corsa mais aussi du milieu, Dominique Marcelli et son cousin Jean-Christophe Marcelli, sont assassinés à Moriani-Plage. Fermement condamnés, y compris par leurs adversaires nationalistes, ces assassinats ramènent la question corse au-devant de l'actualité. De Chevènement au RPR, on veut voir dans ce regain de violence un désaveu du processus de Matignon, mais Lionel Jospin monte au créneau le 23 août pour déclarer que la « démarche proposée par le gouvernement doit se poursuivre ». Le processus est donc censé suivre son cours, un cours perturbé deux jours après par l'assassinat à Bastia de Nicolas Montigny, un autre proche de Santoni et militant d'Armata Corsa, dont les rangs sont de plus en plus clairsemés, faisant redouter l'engrenage des règlements de comptes. Mais la lutte déclarée contre le terrorisme depuis le 11 septembre au niveau mondial pourrait bien réfréner les partisans de la terreur.