Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Un pavé dans la mare de la cohabitation

Accusé d'immobilisme par la droite, Lionel Jospin tente une percée sur le terrain diplomatique lors d'une visite, fin février, en Israël et dans les territoires palestiniens, où il empiète sur le « domaine réservé » du chef de l'État. Ses déclarations désignant le Hezbollah comme un mouvement terroriste lui valent des jets de pierres à l'université de Bir-Zeit et une volée de critiques à Paris. Ce nouvel accroc dans la cohabitation rend urgente une reprise en main sur le terrain politique.

« La France condamne les attaques terroristes du Hezbollah et toutes les actions terroristes unilatérales, où qu'elles se mènent, contre des soldats ou des populations civiles... » Cette petite phrase, prononcée par Lionel Jospin lors d'une conférence de presse en Israël le 24 février, a failli déclencher une intifada antifrançaise le lendemain, à l'université de Bir-Zeit, dans les territoires palestiniens où il poursuivait sa tournée. Furieux de voir l'organisation chiite qui combat l'armée israélienne au Liban sud taxée de terrorisme, quelques centaines de sympathisants du Hamas ont accueilli L. Jospin par des jets de pierres, le contraignant à une retraite précipitée.

Une échappée en solitaire

Remettant en question la position traditionnelle d'équilibre de la diplomatie française au Proche-Orient, dans le contexte des difficiles négociations entre Israël et la Syrie suspectée de vouloir contrarier le retrait prévu le 7 juillet de Tsahal du Liban sud, ces déclarations, condamnées par les opinions arabes, suscitent une tempête politique en France, où la droite à son tour jette la pierre au chef du gouvernement. De retour en France, le 29 février, L. Jospin tente, à la demande de l'Élysée, de s'expliquer devant l'Assemblée nationale sur le sens de cette échappée diplomatique en solitaire au Proche-Orient. Il ne se rétracte pas complètement, puisqu'il met en cause « l'immobilisme » de la diplomatie française dans la région. Or c'est en partie pour échapper à ce reproche récurrent d'immobilisme dans la vie politique cette fois qu'il avait tenté cette diversion sur le terrain diplomatique, tacitement admis comme étant le « domaine réservé » du président de la République, au risque de provoquer un accroc dans une cohabitation globalement harmonieuse.

Il faisait ainsi d'une pierre deux coups : en imprimant sa marque à la diplomatie, il liquidait l'un des derniers vestiges de l'héritage mitterrandien, qui avait assigné à l'Élysée la conduite de la politique extérieure, tout en reprenant l'initiative sur la scène politique minée par une série de mouvements sociaux. Fort d'un pouvoir que ses prédécesseurs de la Ve République pourraient lui envier, L. Jospin estimait la conjoncture favorable pour faire intrusion dans le « domaine réservé » en réaffirmant la nature privilégiée des relations entre la France et Israël distendues depuis le « tournant » opéré par le général de Gaulle en 1967 et compatibles avec le soutien qu'ont toujours apporté les socialistes à la cause palestinienne. Le 23 janvier, n'avait-il pas déclaré devant les secrétaires fédéraux du Parti socialiste que le gouvernement pourrait « faire mieux » en politique étrangère ? Force est de constater que son initiative au Proche-Orient n'en a pas fait la démonstration. Après ce détour controversé par la diplomatie, L. Jospin est remis à sa place et pressé par l'Élysée et l'opposition de régler les problèmes intérieurs...

U. G.

Partager le « domaine réservé »

La cohabitation a certes connu quelques accrocs, généralement dus aux affaires. La diplomatie n'a guère fâché l'Élysée et Matignon tant que Jospin respectait le « domaine réservé », comme durant la guerre du Kosovo. Pourtant, le Premier ministre est hostile à ce principe, qu'il remet en cause au Proche-Orient, provoquant du même coup une crise dans la cohabitation. Celle-ci illustre la dégradation de ses relations avec Jacques Chirac, qui l'avait exhorté deux jours avant à s'attaquer au problème des retraites. De retour d'Israël, il ignore les rappels à l'ordre de l'Élysée, qui l'accuse de « désinvolture ». Si elle visait à donner à la France un rôle plus actif dans le processus de paix au Proche-Orient, son incursion dans le « domaine réservé » n'est donc guère concluante ; les « terroristes » du Hezbollah seront salués dans le monde arabe comme les libérateurs du Liban sud. Dans la perspective des présidentielles, L. Jospin devrait toutefois insister encore pour partager le domaine réservé !