Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La défense antimissile : une saga américaine

À peine victorieux aux élections de novembre 1996, les élus républicains, maîtres du Congrès, avaient fait savoir qu'un de leurs principaux objectifs dans le domaine stratégique serait de hâter la mise en place d'une défense antimissile du territoire national des États-Unis ou NMD (National Missile Defense).

Sans doute ne s'agit-il plus des visions du président Reagan dans le cadre de l'Initiative de défense stratégique de 1983. L'Union soviétique ayant disparu, la Russie n'étant plus un ennemi, les ambitions se voient corrigées à la baisse. Le nouveau système, basé à terre, se veut limité, capable d'intercepter « quelques » missiles que pourraient lancer certains États qualifiés de « scélérats » (« rogue states »), tels la Corée du Nord, l'Iraq ou l'Iran.

Ce n'est pas une initiative de l'administration Clinton. Depuis 1991, à la suite de la guerre du Golfe, le Congrès, alors en majorité démocrate, avait voulu donner la priorité à la réalisation de systèmes de défense antimissile de courte portée (TMD). Il s'agissait d'intercepter sur le théâtre des opérations, à des portées de 100 à 500 km, des engins balistiques du type des Scud utilisés par l'Iraq lors de la guerre du Golfe. De nombreux programmes furent alors développés sur la base du Patriot amélioré et du système THAADS. S'agissant de la protection du territoire américain, le Pentagone considérait que la dissuasion nucléaire demeurait suffisamment crédible pour parer à des menaces de grande envergure. L'administration adopta donc une approche de veille prudente, sans s'engager plus loin.

Un projet en Alaska

Cette situation aurait pu se prolonger si des événements de politique intérieure n'étaient venu affaiblir la présidence. En 1998, Bill Clinton sombrait dans le scandale Lewinski, n'évitant l'impeachment que d'extrême justesse. Dès lors, le Congrès républicain avait barre sur lui, y compris sur les dossiers stratégiques, en premier lieu la NMD.

Au début de 1999, le président donne son accord à une loi prévoyant le déploiement de la NMD sitôt que celui-ci serait techniquement au point. C'était s'en remettre à la délicate question de la faisabilité technique. Le projet consiste à installer en Alaska un système de défense basé au sol comportant des radars, des intercepteurs, l'ensemble relié aux satellites d'alerte avancée, en orbite géostationnaire. Très coûteux, ce programme est loin d'être au point. Non seulement il ne parvient pas à assurer une interception à 100 %, mais son efficacité reste très faible. Le défi technologique est en effet immense. Il s'agit d'intercepter par impact direct un missile qui se dirige vers sa cible à une vitesse de 7 à 8 km/s. Cette tâche est encore compliquée par le fait que l'assaillant peut équiper son missile de leurres qui brouillent l'image radar.

Dans ces conditions, on pourra s'étonner des réactions défavorables à travers le monde, qui se partagent entre les fortes réserves des Européens ou la farouche hostilité de la Russie et de la Chine. La première parce qu'elle rejette un programme qui contreviendrait au traité ABM de 1972, signé avec l'Union soviétique, qui, en réduisant au strict minimum la défense, établit le principe d'une stabilité stratégique fondée sur l'équilibre des forces nucléaires dissuasives. La seconde parce qu'elle s'inquiète d'avoir à pousser la modernisation de ses modestes forces nucléaires. Pékin craint également tout système antimissile qui, en couvrant la zone du détroit, pourrait interférer dans sa confrontation avec Taïwan. Plus largement, le projet NMD inquiète parce qu'il apparaît comme une manifestation de l'unilatéralisme stratégique des États-Unis, qui accroissent leur supériorité mondiale par une recherche technologique incessante.

L'échec des essais d'interception (deux ratés sur trois) et le contexte international défavorable incitent, en septembre, le président Clinton à reporter le déploiement de la NMD. Mais ce n'est que partie remise, puisque son successeur devra à nouveau se prononcer. Une série américaine, à suivre.

F. G.

Une nouvelle course aux armements ?

La plupart des chancelleries font valoir que le déploiement d'un bouclier antimissile entraînerait une nouvelle course aux armements. En Europe, certains se sont inquiétés de la NMD comme d'une manifestation du néo-isolationnisme républicain. Les partisans de la NMD font valoir qu'elle permettrait au contraire aux États-Unis de venir en soutien à leurs alliés sans avoir à craindre le chantage dissuasif d'un « État scélérat ».