Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La Corse pousse Chevènement à la démission

Opposé au plan Matignon sur l'avenir de la Corse, Jean-Pierre Chevènement claque la porte du gouvernement le 29 août. Dénonçant les atteintes à l'unité de la République qui se profileraient derrière ce projet approuvé fin juillet, le ministre de l'Intérieur refusait de présenter le texte législatif devant l'Assemblée nationale. L'ancien maire de Belfort reste néanmoins à la tête du MDC, membre de la gauche plurielle, où il revendique un rôle plus critique. Cela ne rassure pas le gouvernement, gêné par une démission qui complique une rentrée politique et sociale déjà difficile.

« J'ai mes convictions. Lionel Jospin les connaît. Il sait jusqu'où je ne peux pas aller », déclarait Jean-Pierre Chevènement le 18 juillet dans un ultimatum adressé au Premier ministre à la veille d'une réunion décisive à Matignon où le gouvernement et les élus corses devaient entériner un plan de réformes majeur prévoyant notamment une dévolution de pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse. Le 29 août, le ministre de l'Intérieur présentait sa démission à son « ami » Jospin qui n'aura d'autre choix que de l'accepter.

Approuvé entre-temps par la majorité des élus insulaires, le projet de Matignon pour la Corse avait fixé les limites au-delà desquelles les « convictions » républicaines de J.-P. Chevènement ne pouvaient se compromettre. La pluralité aussi a ses limites, même si le leader du MDC se réclame toujours de cette gauche plurielle où il se sent les coudées plus franches pour jouer pleinement son rôle de vigie de la souveraineté nationale. Fidèle à sa réputation d'intégrité intellectuelle, il a donc choisi de garder ses idées plutôt qu'un poste ministériel auquel il renonce, à 61 ans, pour la troisième fois en 17 ans.

Endossant une première fois les habits ministériels à la Recherche, il s'en était défait en 1983 – en proclamant le désormais célèbre : « Un ministre, ça ferme sa gueule. S'il l'ouvre, il quitte le gouvernement. » Il revêt cinq ans après l'uniforme de la Défense qu'il préférera abandonner en 1990 plutôt que de le troquer contre la tenue de « Rambo », protestant ainsi contre la participation de la France à la guerre du Golfe. Nommé à l'Intérieur en 1997, l'éternel rebelle semblait enfin avoir trouvé, à la tête de la police, des habits ministériels à sa mesure, trop bien ajustés même selon ses nombreux adversaires de la gauche plurielle. Il se flatte ainsi d'avoir converti la gauche aux préoccupations sécuritaires, avec un zèle qui lui vaut une volée de critiques de la part des Verts notamment, lorsqu'il ignore les sans-papiers ou attribue les violences en région parisienne à des « sauvageons ».

« La loi est la même pour tous »

Revendiquant sans complexe son image de républicain rigide en lutte contre les libéraux-libertaires emmenés par D. Cohn-Bendit, J.-P. Chevènement se plaît dans son ministère. Imperturbable aux attaques politiques comme à l'accident opératoire de l'automne 1998 dont il réchappe miraculeusement, il sait « fermer sa gueule » pendant toute la durée de la guerre du Kosovo qu'il ne condamne qu'à mots couverts. Il ne peut toutefois s'empêcher de réagir, en mai, contre le manifeste pour une Europe fédérale de Joschka Fischer, en accusant l'Allemagne de ne pas être totalement « guérie du déraillement qu'a constitué le nazisme ». Mais c'est une autre guerre qui l'amène à démissionner, celle qu'il appelle contre les milieux nationalistes et mafieux qui voudraient faire la loi en Corse et devant lesquels L. Jospin aurait capitulé. « La loi est la même pour tous », proclame-t-il en inscrivant sa démission dans une logique républicaine fondée sur le principe de l'égalité de tous devant la loi sans distinction d'origine ethnique, ce qui lui semble peu compatible avec le transfert suggéré de pouvoirs vers l'île.

Cinq mois après un important remaniement ministériel, le départ de J.-P. Chevènement tombe au mauvais moment pour L. Jospin, dont la cote de popularité est au plus bas.

U. G.

Des réformes de fond

C'est fier d'un bilan marqué par des réformes de fond que J.-P. Chevènement quitte la place Beauvau où il s'est plu et a su se faire apprécier. Une fois « dépolitisé » le débat sur les sans-papiers, il appuie sa « politique d'immigration ferme et digne » sur la loi dite « Réséda » votée au printemps 1998 sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers. Après l'épisode des « sauvageons », il lance la réforme de l'organisation de la sécurité intérieure, avec le concept de « police de proximité ». Opposé à D. Voynet sur la gestion de l'intercommunalité, le ministre des Collectivités locales l'emporte avec l'adoption, en juillet 1999, d'une loi dotant les communautés de communes de « compétences stratégiques », qui est saluée comme une « nouvelle étape de la décentralisation » par ce farouche adversaire du régionalisme. Enfin, le ministre des Cultes réunit autour d'une même table les représentants de l'islam en France.