Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

En quatre semaines de campagne, et alors que les sondages la donnent encore victorieuse dans les urnes, la majorité sortante a perdu toute sa superbe. Les divisions s'étalent au grand jour, et Alain Juppé est ouvertement contesté par des Philippe Séguin et autre Alain Madelin. De son côté, Lionel Jospin, en se donnant comme priorité l'emploi, en émettant des réserves sur l'union monétaire et en se gaussant des promesses électorales non tenues de Jacques Chirac, engrange.

La menace FN

Au soir du premier tour, le 25 mai, le locataire de l'Élysée sait qu'il a joué et perdu le pari – son pari – de la dissolution. Un échec personnel La droite parlementaire décroche son plus mauvais score sous la Ve République (15,59 % pour le RPR, 14,34 % pour l'UDF et 6,52 % pour les divers droite), le Front national son meilleur score (15,06 %), et la gauche, avec plus de 40 % des suffrages, progresse de près de 10 points. Dans plus de cent circonscriptions, les candidats de Jean-Marie Le Pen sont en mesure de se maintenir au second tour et de jouer les arbitres avec une préférence affichée de faire tomber la droite. Un scénario apocalyptique !

Alain Juppé est la première victime de ce premier tour. Après l'avoir soutenu à bout de bras pendant la campagne, l'Élysée le lâche. Le 26 mai, dans une interview au quotidien Sud-Ouest, le Premier ministre, président du RPR et maire de Bordeaux, en ballottage dans sa bonne ville et qui a focalisé sur sa personne toutes les rancœurs, annonce que, « pour ne pas être un obstacle » à la victoire de la majorité, il ne sera pas candidat à sa propre succession à l'Hôtel Matignon. Privé de ce fusible, Jacques Chirac est alors en première ligne. Le 27 mai, à la télévision, pour tenter de redresser la barre, le chef de l'État fait appel aux artisans de sa victoire présidentielle de 1995, Philippe Séguin et Alain Madelin. À eux, les champions de la réduction de la fracture sociale, de mener la bataille du second tour. Au président de l'Assemblée nationale sortante de s'installer à Matignon pour mettre en application les promesses du candidat Chirac à l'Élysée si... si la droite redresse la tête.

En dépit des efforts des deux nouveaux champions de la majorité sortante, il est trop tard pour inverser la tendance. À l'issue du deuxième tour, la droite est défaite, la gauche, triomphante. Sept ministres sur 33 vont au tapis, Jean-François Mancel, le secrétaire général du RPR, est balayé, tout comme la jeune garde d'Alain Juppé. Même la Corrèze, fief chiraquien, concède deux de ses trois circonscriptions à la gauche.

L'Assemblée dissoute comprenait 258 RPR, 206 UDF et 13 divers droite ; ils se retrouvent 140 RPR, 109 UDF et 8 divers droite ! Le PS n'avait que 56 élus, il revient en force avec 245 députés. Les communistes passent de 24 à 38, et, pour la première fois, les Verts font entrer 8 d'entre eux dans l'hémicycle. Au total, la gauche obtient 319 sièges sur 577. Un membre du Front national, Jean-Marie Le Chevallier, le maire de Toulon, est élu.

Le 2 juin, Jacques Chirac nomme Lionel Jospin à Matignon et le charge de former le nouveau gouvernement ; celui-ci comprend 3 ministres communistes et un Vert, Dominique Voynet. Une cohabitation inédite dans le pays se met en place. D'abord, parce que, à l'inverse des précédentes, elle a été provoquée par le chef de l'État, qui ressort très affaibli de cette dissolution avec une droite traumatisée par cet échec et minée par les divisions et les rancœurs. Ensuite, parce qu'elle s'installe, en théorie, dans la durée, pour cinq ans.

B. M.

La cinquième dissolution de la Ve République

9 octobre 1962. Le général de Gaulle dissout l'Assemblée après l'adoption d'une motion de censure par les socialistes, le MRP et les indépendants opposés à l'élection du président de la République au suffrage universel. Sa majorité en sort renforcée.

30 mai 1968. Après la crise sociale du mois de mai, le général de Gaulle dissout l'Assemblée. Les élections sont un raz de marée pour la droite. Les gaullistes ont la majorité absolue.

22 mai 1981. Au lendemain de son investiture à l'Élysée, François Mitterrand dissout la chambre des députés élue en 1978. Les socialistes ont à eux seuls la majorité absolue.

14 mai 1988. Après sa réélection à l'Élysée, François Mitterrand dissout l'Assemblée nationale élue en 1986. Les élections ne donnent qu'une majorité relative aux socialistes.

21 avril 1997. Deux ans après son accession à la présidence de la République, Jacques Chirac dissout l'Assemblée élue en 1993. La majorité sortante est défaite.