Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Le souci d'affirmer les droits nationaux de la Chine contre une tentative d'encerclement perpétrée par les États-Unis, auxquels le Japon prêterait main-forte, s'exprime en terme de territoires, d'intérêts économiques et de culture. À la différence des nationalistes les plus radicaux, qui tendent à assimiler ces trois aspects, les responsables n'hésitent pas à déplacer l'accent du nationalisme suivant les impératifs de l'insertion de la Chine dans le monde, insertion sur laquelle ils ne souhaitent pas revenir. À l'autre extrême, les démocrates, que leur occidentalisme tend à isoler, subissent le contrecoup culturaliste de la vague nationaliste et ne peuvent guère laisser entre parenthèses l'aspect territorial. Ainsi la constitution d'un État-nation à Taïwan est-elle largement perçue comme une entreprise de sécession sur le continent, tout comme les turbulences d'inspiration nationaliste aux périphéries non chinoises de l'empire (Xinjiang, Mongolie, Tibet). À Hongkong même, où pourtant la perspective de réintégrer l'ensemble chinois n'enthousiasme guère, l'occupation des îles Senkaku, entre Taïwan et Okinawa, par des extrémistes japonais suscite un vaste mouvement de protestation nationaliste.

La question nationale se complique, à l'image des différentes formes que revêt le nationalisme à l'intérieur du domaine chinois. Il est remarquable que les orientations des politiques opposées, suivies par Taïwan et par le continent, laissent de côté les idéologies et leurs conflits pour engendrer un affrontement de type national. Si Pékin, fidèle à la tradition impériale qui admet l'existence des particularismes régionaux, n'a pas empêché l'évolution de l'île, une ligne rouge a été tracée sitôt que ce processus a cherché une reconnaissance extérieure. Les perspectives d'une dissolution de la Chine dans un monde globalisé, après l'éventuel effondrement du communisme, ne sont donc pas plus assurées que celles de l'effondrement soudain du régime. Encore largement structurée comme un empire distendu à l'intérieur de ses frontières, la Chine continentale peine à se transformer en État-nation moderne. Mais c'est pourtant comme telle qu'elle se pose vis-à-vis de l'extérieur. Paradoxalement, l'État-nation qui émerge à Taïwan, en ne se réclamant plus que d'une Chine symbolique, aide à la métamorphose du continent.

Chrono. : 13/02, 20/05, 17/06, 29/07, 30/10.

La crise nord-coréenne

Comparée à cette histoire en marche, celle de la Corée du Nord semble être restée figée à l'heure de l'agonie du maoïsme. Alors que la succession de Kim Il-sung et la consolidation du régime de Kim Jong-il n'ont pas encore donné lieu à l'ouverture et aux réformes attendues, les signes de la décomposition avancée du régime, de l'économie et de la société apparaissent de plus en plus nettement. Étranglée par l'effondrement des échanges avec l'URSS et par les transformations du marché chinois, l'économie est entrée en dépression depuis six ans. S'il n'est pas certain que de grandes famines ont frappé la population, comme le prétendent certains observateurs, l'extension de la malnutrition est un fait avéré. Sans l'admettre officiellement, Pékin et Séoul ont commencé à prendre des mesures destinées à faire face à un exode massif de la population. Pour l'heure, le flux des réfugiés reste minime : la Chine restitue aux autorités nord-coréennes des réfugiés qui ont le double désavantage, à ses yeux, de grossir la minorité coréenne qu'elle abrite dans ses provinces frontières et d'être chrétiens ; le camp ou le peloton d'exécution attendent ces malheureux.

La terreur n'a donc pas perdu toute son efficacité, même si elle donne, elle aussi, des signes de décomposition. Aussi bien le régime tient-il grâce à d'autres moyens. Une gestion sélective de la pénurie tient l'armée à l'écart du gros de la crise. Les autorités ferment les yeux sur l'extension du marché noir, de la corruption et de la contrebande. Le régime s'en accommode, parce qu'il y va de sa survie et qu'un grand nombre de ses cadres sont impliqués dans les réseaux parallèles. L'active contrebande frontalière, couverte par la corruption du côté nord-coréen, est également tolérée par la Chine, dans l'espoir de prévenir l'implosion du pays.