Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Aujourd'hui, il faut encore raisonner en termes de factions. Celles-ci vont, dans l'immédiat, s'affronter à propos du sort à réserver à Chen Xitong et de la relève prochaine de Li Peng à la tête du gouvernement. Quoi qu'il en soit, les nuances et les compromis qui voient le jour entre les forces en présence montrent que la Chine n'est pas au bord de l'éclatement, mais aussi qu'au moment du règlement de la succession de Deng Xiaoping, le problème des inégalités régionales pèsera au moins aussi lourd que la question sociale et la question des nationalités. La démocratie est la grande oubliée du moment, privée qu'elle est de soutien spécifique, en dehors de quelques cercles confidentiels. Les intellectuels qui lui sont favorables, dissidents ou non, sont d'autant plus marginalisés que le nationalisme, qui récuse la démocratie au nom de l'identité chinoise, est en pointe. Fort de ce regain nationaliste, le régime chinois a tout intérêt (comme Wei Jingsheng, militant des droits de l'homme emprisonné de 1979 à 1993, inculpé en novembre de « complot en vue de renverser le gouvernement »), toutes factions confondues, à entretenir les tensions avec l'extérieur.

Regain de tension avec Taïwan

En 1994, les tensions régionales s'étaient polarisées autour de la surenchère nucléaire de la Corée du Nord. Cette année, elles voient resurgir l'ancienne opposition entre Pékin et Taipei, alors que les durs affrontements du passé semblaient s'être peu à peu estompés. Cette détente, qui profitait aux échanges économiques et humains, a achoppé sur des problèmes politiques et géopolitiques. Le régime communiste n'a rien fait pour freiner la démocratisation de l'île, mais il s'oppose à deux de ses conséquences : l'émergence d'un courant indépendantiste qui souhaite constituer à Taïwan un pays indépendant de culture chinoise (mais sans lien politique avec la Chine) et la campagne du Guomindang pour la reconnaissance de Taïwan en tant qu'entité politique, dotée d'un siège aux Nations unies. Fructueuse sur le plan des relations économiques et culturelles, cette diplomatie s'aventure depuis peu sur un terrain miné : l'envoi de dignitaires en « visite privée » à l'étranger. Pékin considère ces visites comme une reconnaissance implicite de l'existence de deux Chines, ce qu'elle ne saurait tolérer. La crise éclate en juin, quand les États-Unis acceptent que le président taïwanais Lee Tenghui se rende sur leur territoire, à l'occasion d'une visite dans son ancienne université. Dès juillet, la Chine communiste annonce une campagne de tirs balistiques expérimentaux et des manœuvres militaires autour de Taïwan. Les relations sino-américaines, qui se sont assouplies en février à l'occasion de la signature d'un accord sur la propriété intellectuelle, connaissent une nouvelle période de refroidissement, d'autant plus que la Chine poursuit sa campagne d'essais nucléaires, malgré son adhésion à la reconduction du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Mais les deux grands se défient tout en ménageant l'espace de dialogue nécessaire à chacun. À la fin du mois d'octobre, les présidents Clinton et Jiang Zemin se rencontrent à New York. Peu après cet entretien, Pékin annonce l'expulsion du dissident Harry Wu, un citoyen américain qui vient d'être condamné à quinze ans de prison pour des révélations sur l'utilisation du travail des prisonniers dans le « goulag » chinois. Ces défis périodiques lancés à l'Amérique valent à Pékin une image de défenseur de l'identité de la région, mais ils n'atténuent qu'avec difficulté celle d'une puissance en expansion dont la politique d'armement inquiète de plus en plus les voisins.

Chrono. : 4/02, 18/02, 27/04, 21/05, 17/08, 24/08, 21/11.

Corée du Nord

Après l'accord sur l'arrêt de son programme nucléaire en 1994, la Corée du Nord maintient sa pression sur les États-Unis et ses voisins. Pyongyang menace de remettre en cause l'accord de l'année dernière si les réacteurs nucléaires qu'on lui a promis sont fournis par son rival, la Corée du Sud. Un accord est finalement trouvé en juin : les réacteurs, bel et bien fabriqués sur le territoire de la Corée du Sud, seront de technologie américaine. Cette solution satisfait les autorités nord-coréennes, surtout soucieuses de manifester leur puissance dans la région et de contraindre les États-Unis à des négociations avec elles, au moment où Kim Jong-il, le fils de Kim Il-sung, semble accéder à la direction du pays.

Yves Chevrier