Israël : le bouleversement

L'année 1992 en Israël est marquée par l'accession au pouvoir du parti travailliste (Avoda, dirigé par Yitzhak Rabin) aux dépens de celui de la droite (Likoud, dirigé jusque-là par Yitzhak Shamir). Les élections législatives du 23 juin sont, en ce sens, un événement pivot : la première moitié de l'année est placée sous le signe d'une campagne électorale qui cristallise les principales préoccupations des Israéliens, et la seconde moitié de l'année est dominée par les initiatives du nouveau gouvernement visant à une relance du processus de paix israélo-arabe et à une reprise de l'activité économique.

Yitzhak Rabin mène sa formation à la victoire grâce à une campagne très personnalisée. Son prestige d'ancien général (il était le commandant en chef des forces armées lors de la guerre des Six-Jours) rassure ceux des électeurs qui craignent qu'un gouvernement dirigé par la gauche ne fasse trop de concessions à la partie arabe dans le cadre des négociations en cours. Mais une fois parvenu à la direction du gouvernement – ou plutôt revenu, car il fut Premier ministre de 1974 à 1977 – il lui reste à affermir sa majorité parlementaire et à asseoir son autorité auprès du grand public.

La Knesset est le parlement monocaméral d'Israël. Elle est composée de 120 députés, élus au scrutin proportionnel sur des listes à l'échelle nationale. Dix partis politiques sont représentés à la Knesset actuelle.

Le Premier ministre est le chef de l'exécutif. Selon la procédure en vigueur depuis 1948, c'est la Knesset qui accorde l'investiture au Premier ministre et à son gouvernement. Une loi adoptée à la veille des dernières législatives, mais non encore en vigueur, prévoit l'élection du Premier ministre au suffrage universel.

Les élections législatives du 23 juin se sont jouées autour de deux personnalités, Yitzhak Shamir, premier ministre, et Yitzhak Rabin, son rival travailliste. Le premier continue à refuser de négocier une paix contre la restitution des territoires occupés : « Nous n'avons rien à abandonner. Nous ne pourrions pas vivre dans un pays si petit ». Le second, au contraire, centre sa campagne autour d'un thème : la négociation de l'autonomie des citoyens arabes de Cisjordanie et de Gaza (et donc la rencontre de délégations israélienne et palestinienne). Le scrutin est une victoire pour le parti travailliste qui gagne six sièges (45), alors que le Likoud en perd huit (32).

Le débat sur la paix et les territoires

Le parti travailliste, appuyé en cela par ses partenaires de gauche, propose de définir les frontières du pays sur la base d'un « compromis territorial » avec les voisins arabes, dans le cadre d'un règlement global du contentieux incluant la reconnaissance de l'État juif et des garanties pour sa sécurité. Le Likoud et les autres partis de droite s'en tiennent, au contraire, au principe de « la paix en échange de la paix » : ils refusent de céder des territoires considérés comme indispensables à la défense nationale et comme faisant partie, en outre, du patrimoine historique juif.

Les « territoires » sont passés sous contrôle israélien après la guerre des Six-Jours, en juin 1967. Cisjordanie : un peu plus d'un million de Palestiniens et 100 000 Israéliens, sur une superficie de 5 700 km2. Région de Gaza : environ 800 000 Palestiniens et 4 000 Israéliens, sur une superficie de 350 km2. Plateau du Golan : 15 000 Syriens (majoritairement Druzes) et 11 000 Israéliens, sur une superficie de 1 200 km2. Le statut de la partie orientale de Jérusalem (annexée à l'État d'Israël en 1967) est également contesté par les Arabes. Au total, la population des territoires en litige est d'environ deux millions de personnes.

La relance des négociations

On peut considérer que l'électorat a tranché dans ce débat, puisque les partisans du compromis ont reçu une majorité absolue des suffrages (les sondages postélectoraux indiquent, par ailleurs, que l'adhésion populaire à cette position est plus large encore que le soutien aux partis qui la représentent). C'est pourquoi le gouvernement travailliste, sitôt mis en place, relance sur des bases nouvelles la négociation entamée par le régime précédent : avec les Palestiniens, concernant la mise sur pied d'une administration autonome en Cisjordanie et dans la région de Gaza ; avec les Syriens, pour un règlement par étapes allant de pair avec un désengagement israélien sur le Golan ; avec les autres États arabes, notamment la Jordanie, afin de parvenir à une normalisation des rapports entre les pays du Proche-Orient. Cependant, le problème des frontières futures d'Israël (et du sort des implantations juives en Cisjordanie et sur le Golan) continue de faire l'objet de vives controverses à l'intérieur du pays, ce qui limite la liberté de manœuvre d'Yitzhak Rabin et de son ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès.

L'économie et l'emploi

L'économie nationale, qui se trouve depuis 1988 dans une période difficile, a subi en 1992 les contrecoups de la récession mondiale. La situation est d'autant plus sérieuse que beaucoup d'immigrants de fraîche date ne peuvent encore s'insérer dans l'appareil productif, faute d'investissements appropriés. La montée du chômage, touchant désormais plus de 11 % de la main d'œuvre, est très durement ressentie par une population où le plein-emploi a valeur de dogme. Dans ce contexte, l'exigence travailliste d'un « nouvel ordre des priorités », consistant à moins investir dans la présence israélienne en Cisjordanie afin de libérer des ressources pour le développement local et la création d'emplois, a rencontré de larges échos jusque dans des milieux traditionnellement hostiles aux thèses de la gauche. Ce mot d'ordre s'est ajouté aux considérations de politique extérieure ainsi qu'à l'affaiblissement du Likoud – atteint par l'usure du pouvoir et en proie à de graves dissensions internes – pour expliquer le « bouleversement » du 23 juin. Les travaillistes ont donc reçu des urnes un mandat socio-économique très explicite : leur réussite se mesurera autant sur le marché du travail que dans les conférences internationales.

Des problèmes internes

Le nouveau gouvernement adopte une politique économique incitative afin de relancer la croissance, et annonce de grands projets nationaux générateurs d'emplois. Mais la reprise est lente à venir, de sorte que le climat social demeure assez sombre ; la tension endémique qui oppose les représentants du judaïsme ultra-orthodoxe aux partisans d'une culture judéo-israélienne laïque engendre des crises au sein même du nouveau gouvernement ; et le clivage politique droite-gauche est plus net que jamais, bien que l'on évoque de temps à autre la possibilité d'un élargissement de la coalition gouvernementale. À ces problèmes internes s'ajoute la permanence de l'affrontement israélo-arabe – à la frontière libanaise et surtout en Cisjordanie et à Gaza, où l'intifada est d'autant plus virulente que les mouvements palestiniens ont de vifs désaccords quant à l'avenir du processus de paix.

Partis de gauche

Avoda (parti travailliste), issu du Mapaï dirigé jadis par David Ben Gourion : 44 députés. Meretz, coalition des trois partis Mapam, Ratz et Shinouï : 12 députés. Hadash, émanation du parti communiste : 3 députés. Parti démocratique arabe : 2 députés.

Partis de droite

Likoud (droite nationaliste), issu du Héraut dirigé naguère par Menahem Begin : 32 députés. Tzomet, droit nationaliste laïque : 8 députés. Moledet, extrême droite : 3 députés.

Partis religieux : Shass, ultra-orthodoxes séfarades : 6 députés. Parti national religieux : 6 députés. Judaïsme de la Thora, ultra-orthodoxes ashkénazes : 4 députés.

Immigration et relations internationales

Cependant, Israël continue de recevoir de nombreux immigrants originaires de l'ex-URSS et d'intégrer en son sein les derniers juifs éthiopiens. On enregistre, par ailleurs, une nette amélioration des rapports avec les États-Unis et avec la CEE, et l'État juif achève de nouer un réseau de relations diplomatiques – patiemment tissé au cours des dernières années – avec de nombreux pays d'Europe orientale, d'Asie et d'Afrique qui, naguère encore, refusaient tout contact avec lui.

Immigration

Les Russes constituent depuis 1945 la première nationalité des immigrés d'Israël, devant les Roumains, les Marocains et les Polonais.

Ze'ev Schiff et Ehud Ya'ari : Intifada, Stock, 1991.
Ilan Greilsammer : Israël, les hommes en noir : essai sur les partis ultra-orthodoxes, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1991.
Élie Barnavi : Une histoire moderne d'Israël, Flammarion, 1991.

Meir Waintrater
Journaliste