Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Poincaré (Henri) (suite)

En analyse, son plus beau titre de gloire réside dans la découverte des fonctions, qu’il appelle fuchsiennes en l’honneur de Lazarus Fuchs (1833-1902). Ces fonctions sont des généralisations des fonctions elliptiques. Appelées aujourd’hui fonctions automorphes, elles sont invariantes pour certains groupes d’application du plan de la variable complexe sur lui-même, groupes qui jouent un rôle très important en géométrie non euclidienne. Les fonctions automorphes permettent d’exprimer les solutions de toute équation différentielle linéaire à coefficients algébriques et résolvent en même temps le problème de l’uniformisation des fonctions algébriques.

Poincaré, qui fut toujours très attaché aux applications des mathématiques à la mécanique et aux sciences physiques, avait été amené à sa grande découverte par l’étude des équations différentielles, si fréquentes dans les applications. Ses travaux de mathématiques appliquées à la physique portent surtout sur les équations aux dérivées partielles. En ce domaine, Poincaré a introduit des méthodes nouvelles qui n’ont pas encore donné tous leurs résultats et restent ainsi d’actualité.

En physique proprement dite, il s’est notamment penché sur la polarisation de la lumière par diffraction, les ondes hertziennes et la théorie de Lorentz, où il préfigure certains aspects de la relativité restreinte. Il possède tous les éléments de cette théorie en 1904, à la veille des travaux décisifs d’Albert Einstein*. Il approfondit toutes les difficultés de l’électrodynamique des corps en mouvement, les artifices du temps local de Hendrik Antoon Lorentz* et de la contraction de George Francis Fitzgerald (1851-1901) pour tenir compte des résultats négatifs de l’expérience d’Albert Michelson (1852-1931). Il adhère pleinement au principe de relativité comme loi générale de la nature. Mais, s’il s’approche des conceptions d’Einstein, il n’a pas l’audace nécessaire pour franchir le pas et nier par exemple la simultanéité absolue, à distance, des phénomènes.

En mécanique des fluides, il publie en 1885 le résultat de ses recherches sur les figures d’équilibre relatif que peut affecter une masse fluide homogène dont toutes les molécules s’attirent conformément à la loi de Newton et qui est animé d’un mouvement de rotation uniforme autour d’un axe. Il s’occupe encore du problème des marées et surtout du célèbre et difficile problème des trois corps : étudier les mouvements de trois masses ponctuelles soumises à leurs seules attractions mutuelles suivant la loi de Newton. Lorsqu’en 1889 le roi de Suède Oscar II institue un concours international où le problème des n corps est proposé, il y voit une occasion de préciser ses recherches. Il se trouve, d’ailleurs pour la seule fois de son existence, devant la nécessité de présenter en un temps limité un travail s’achevant par des conclusions définies. Ces circonstances contribuent à la perfection du mémoire élaboré : Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique. Ce mémoire, qui remporte le prix, est un des sommets de la pensée mathématique.

Enfin, Poincaré s’est intéressé à la théorie des nombres, au calcul des probabilités et surtout à la topologie, où il a laissé une marque indélébile de son génie.

Son œuvre philosophique est constituée d’articles de revues qui, réunis en plusieurs volumes (la Science et l’hypothèse [1902], la Valeur de la science [1905], Science et méthodes [1909], Dernières Pensées [1913]), eurent une profonde influence sur le grand public cultivé et les milieux enseignants. Bénéfique dans l’ensemble, cette influence gêna cependant la pénétration dans l’enseignement français de l’axiomatique et des idées voisines, que seule l’action du groupe Bourbaki, à partir de 1930, finit par imposer. (Acad. des sc., 1887 ; Acad. fr., 1908.)

J. I.

Poincaré (Raymond)

Homme d’État français (Bar-le-Duc 1860 - Paris 1934).



Du barreau à la présidence de la République

Licencié ès lettres et docteur en droit, Raymond Poincaré s’inscrit au barreau en 1880 : bientôt son intelligence lui vaut de devenir premier secrétaire de la Conférence des avocats. Conseiller général de la Meuse à vingt-sept ans, il est élu député en 1887 : il représentera dès lors son département natal, à la Chambre d’abord (1887-1903), puis au Sénat (1903-1913, 1920-1934). Quoique issu d’un milieu conservateur, il se pose en républicain libéral et antirévisionniste. À la Chambre, tout en se tenant à l’écart des groupes, il siège parmi les progressistes : il y acquiert très vite un renom et une autorité considérables, particulièrement en matière financière. Il est rapporteur du budget des Finances en 1890-91 et rapporteur général du budget en 1892.

Le discrédit jeté par le boulangisme et le scandale de Panamá* sur l’équipe en place hâte son accession au pouvoir : Charles Dupuy lui confie un premier portefeuille (Instruction publique et Beaux-Arts) le 4 avril 1893 ; démissionnaire le 25 novembre, Poincaré devient ministre des Finances dans le deuxième cabinet Dupuy et le reste dans le troisième (mai 1894 - janv. 1895) ; auprès de lui figurent plusieurs représentants de la « jeune » génération : G. Leygues, L. Barthou, T. Delcassé*. De nouveau grand maître de l’Université (3e cabinet Ribot, 1895), Poincaré prépare, avec Louis Liard, le projet de loi qui rend aux groupes de facultés le nom d’universités (loi Poincaré, votée le 10 juillet 1896). L’un de ses collègues, Gabriel Hanotaux, a raconté qu’il « éblouit » le Conseil des ministres par son érudition et sa claire intelligence. Poincaré est vice-président de la Chambre de 1895 à 1897.

La constitution d’un « bloc » radical, les interférences de l’Affaire Dreyfus* sur la vie politique, les nécessités de son métier l’éloignent durant plusieurs années de l’avant-scène. Par contre, sa place devient prépondérante au Palais de Justice, où s’imposent ses qualités d’avocat, notamment sa manière de « préparer un dossier », sa mémoire prodigieuse, le ton à la fois tranchant et classique avec lequel il plaide : en 1909, Poincaré est reçu à l’Académie française.