Ray Charles Robinson, dit Ray Charles

Chanteur, pianiste, compositeur et chef d'orchestre de jazz, de soul et de blues américain (Albany, Géorgie, 1930).

Cinquante ans dans le monde de la musique, cela vaut bien quelques flous dans une biographie foisonnant d'événements, dont la plupart ont marqué le blues et la soul, donc la musique américaine. Certaines sources donnent 1933 comme la véritable année de naissance de Ray Charles. Quant à sa cécité, s'il est établi qu'elle a pu survenir vers l'âge de six ans, ses causes restent encore discutées : glaucome ou accident.

Naissance du « Genius ». À cause de ce handicap, Ray quitte sa Géorgie natale pour aller vivre en Floride, dans la petite bourgade de Greenville. Il assiste aux cours d'une école pour sourds et aveugles, et prend là ses premières leçons de piano et de clarinette. Dès l'âge de seize ans, Ray commence à gagner sa vie en jouant avec des orchestres de la région et forme en 1947 (avec le guitariste GD Mc Ghee et le bassiste Milton Gerred) le Maxim Trio, influencé par Nat « King » Cole. Le style, ancré dans des racines blues avec une présence gospel, s'affirme lorsque Ray quitte la Floride pour Seattle, en 1948, après la mort de ses parents. C'est là qu'il rencontre pour la première fois Quincy Jones, avec qui, par la suite, il enregistre de nombreux albums. Tandis que certains considèrent les enregistrements que fit Ray Charles pour Swingtime en 1949 comme ses premiers disques, d'autres sources placent le label Dowbeat comme premier patron du Genius (son futur surnom) avec Confession Blues, première composition de Ray Charles à voir le jour sous l'étiquette Maxim Trio.

En tout état de cause, c'est bien en 1949 qu'il prend définitivement le nom de Ray Charles, et ses nombreux singles pour Swingtime sont des reprises de classiques blues (comme St Pete Floride Blues). Ces interprétations fiévreuses finissent par convaincre, en 1952, Herb Abramson et Ahmet Ertegun — les patrons d'Atlantic — de racheter le contrat de Ray pour 2 500 dollars. Durant la première année chez Atlantic, Ray ne compose pas ses titres et ne s'occupe pas des arrangements. Il n'en signe pas moins quelques singles d'envergure (Losing Hand, Mess Around, It Should've Been Me).

En 1954, il arrange The Things I Used To Do pour Guitar Slim, numéro un des charts rhythm and blues. Dès lors, il va s'appliquer à mixer en un cocktail presque sacrilège l'émotion du gospel et la fureur du rhythm and blues. Pour cela, il détournera même des chansons religieuses en y plaquant des paroles plus terre à terre. Ainsi, la chanson gospel de Clara Ward This Little Light Of Mine est-elle devenue This Little Girl Of Mine, Talkin''bout Jesus transformée en Talkin''bout You, jusqu'à How Jesus Died relookée Lonely Avenue. « Ce type devrait chanter dans une église », disait de lui Big Bill Broonzy, qui admettait tout de même que ce mélange de musique sacrée et de musique séculaire avait de l'intérêt. Ray commence à utiliser un quartette vocal féminin, les Raelettes. En 1954, It Should Have Been Me est septième des charts rhythm and blues. Ce n'est que le début. Les trois années qui suivent voient les hits s'enchaîner : Hallelujah ! I Love Her So, I've Got A Woman, Tell All The World About It. Ray Charles, son premier album longue durée, sort en 1957. C'est un disque au parfum de jazz, qui contient une reprise de Horace Silver (Doodlin). La même année, Swanee River Rockin'(Talkin''bout That River) est classé trente-quatrième des charts nationaux. Son premier live sera l'enregistrement du concert de 1958 au Newport Jazz Festival. L'album — sous-titré The Genius Of Ray Charles, ce qui officialise son surnom — contient des contributions de Quincy Jones, d'Ernie Wilkins et de Count Basie. What I'd Say, devenu scie musicale plutôt que classique, est originellement enregistré par Ray Charles en 1959 et sera repris un nombre incalculable de fois. Il signe en 1959 chez ABC, tandis qu'Atlantic garde malgré tout le droit de commercialiser les enregistrements en sa possession (d'où la sortie de Ray Charles In Person, en 1969, sur Atlantic). En 1960, il enregistre Georgia On My Mind de Hoagy Carmichael (parce que son chauffeur la chantait tout le temps, prétend la légende), qu'on entendra dans la B.O. du film de Norman Jewison Dans la chaleur de la nuit et qui lui vaudra une première apparition dans les hit-parades britanniques. La même année, il sort son premier album pour ABC, The Genius Hits The Road, dans lequel tous les titres de chansons incluent une référence à un endroit des USA. En 1961, c'est Genius + Soul = Jazz, un disque sur Impulse, arrangé de nouveau par Quincy Jones. Avec les Raelettes en première ligne, il signe un nouveau № 1 américain, Hit The Road Jack, une chanson de Percy Mayfield. Toujours en 1961, Ray enregistre un album en duo avec la chanteuse Betty Carter, tandis que I Can't Stop Loving You atteint la première place des charts en Angleterre. En 1962, il déclenche la controverse chez les musiciens noirs en consacrant un 33 tours entier à la country, Modern Sounds In Country And Western Music Volume 1, qui deviendra son seul album № 1 aux États-Unis, et sur lequel on trouve I Can't Stop Loving You. Le volume 2 sort l'année suivante et se classe № 2. Ray prouvera à plusieurs reprises son amour de la country, notamment en 1985 avec l'album Friendship, collection de duos effectués avec une dizaine de chanteurs country. En 1964, il joue dans Balled In Blues, un film de Paul Henreid, dont il compose également la musique.

Épreuves. C'est aussi l'année où il est arrêté (pour la deuxième fois), à Boston, accusé de possession de stupéfiants. Accroché à l'héroïne, Ray Charles est contraint d'annuler ses tournées en attendant le procès — qui se tiendra en 1965 et qui le condamnera à la liberté surveillée. Il entame alors une cure de désintoxication à la clinique du docteur Frederik J. Hacker à Beverley Hills. Il en profite pour changer ses Raelettes en 1967, engageant Clydie King, Gwen Berry, Merry Clayton et Alexandra Brown. Après avoir subi cinq années de contrôle judiciaire, Ray reprend ses tournées avec une ferveur renouvelée, accompagné par l'organiste-pianiste Billy Preston (que l'on retrouvera bientôt dans le sillage des Beatles). Il multiplie les tournées internationales, notamment au Japon.

En 1973, l'année de Jazz Number II, le grand auteur noir américain James Baldwin écrit The Life And Times Of Ray Charles, qu'il récitera sur la scène du Carnegie Hall, le 1er juillet, en compagnie de Ray, lequel intervient ponctuellement en interprétant ses blues les plus fameux. En forme de premier bilan, l'autobiographie Brother Ray : Ray Charles'Own Story sort en 1978, cosignée par David Ritz.

De 1972 à 1980, Ray Charles sort sept albums, dont Renaissance, Love And Peace et Brother Ray Is At It Again. Il reprend Charles Aznavour (For Mama) et Stevie Wonder (Living For The City). En 1983, il entame une série d'albums country & western avec Wish You Were Here Tonight, suivi de Do I Ever Cross Your Mind, en 1984, From The Pages Of My Mind, en 1986 ; le disque de duos Friendship. Just Between Us, paru en 1988, témoigne d'un retour aux sources salué par la presse américaine. « À 58 ans, Charles reste un prodige », soulignait le critique Andrew Abrahams.

Les concerts de Ray Charles restent marqués par un classicisme excluant une innovation orchestrale du type synthétiseurs, rappers ou machines ; toutefois, ses participations discographiques aux albums fusionnels de son ami Quincy Jones montrent qu'il garde l'esprit ouvert, à moins que ce ne soit pour faire plaisir à son vieux camarade : Back On The Block, en 1989, et Q's Jook Joint, en 1995, incluent des apparitions du « Genius » aux côtés d'artistes aussi divers que Chaka Khan, Ice-T, Bono de U2 ou le D.J. Funkmaster Flex. Il n'empêche, ses albums sont désormais le plus souvent décevants : From The Page Of My Mind, sorti en 1987, a même été décrit par le magazine Cadence comme une « ringardise commerciale style Nashville ».

Monument. S'il a partagé l'affiche avec de nombreux solistes ou groupes de jazz tout au long de sa carrière, Ray Charles n'a que rarement partagé la vedette avec d'autres artistes, tant il est incapable de ne pas imposer sa vision et sa structure musicales. Les jazzmen racontent parfois cette anecdote, devenue légende, d'une session qui n'eut jamais lieu entre le bassiste Ray Brown et Ray Charles : Brown rangea son instrument dès qu'il s'aperçut que Charles tentait de lui imposer son jeu, son rythme. Un disque de duos avec Aretha Franklin fut un temps en chantier, mais les labels respectifs du Genius et de Lady soul ne purent s'entendre. Il reste un album en duo avec Betty Carter, et, en 1976, Porgy And Bess d'après Gershwin avec la chanteuse Cleo Laine. En 1989, Ray partage le micro avec Dee Dee Bridgewater pour le single Precious Thing, succès inattendu au Top 50 français, qui amènera le duo à multiplier les grandes émissions de variétés (Champs-Élysées, Sacrée Soirée), où le blues et le jazz ne bénéficient généralement que de la portion congrue. La voix rauque et l'attitude expressionniste de Ray ont été source d'inspiration pour toute une génération de chanteurs noirs et blancs, tels Joe Cocker, Stevie Wonder (qui signa en 1963 l'album Tribute To Uncle Ray) et Eric Burdon. Reçu en grande pompe dans les salons du Ritz pour la promotion de son album Strong Love Affair, en février 1996, Ray Charles, cheveux platine, plaquait sur son visage fatigué le même sourire hyperbolique que sur ses premières photos de presse, à l'époque où un Noir se devait d'être hilare. D'All She Wants To Do Is Love Me à If You Give Me Your Heart, Strong Love Affair ne nous apprend rien de nouveau sur ce génie qui a traversé cinquante ans de musique américaine, apparemment sans changer de paire de lunettes….

Au total, une carrière exceptionnelle. De 1957 à 1971, Ray Charles aura placé pas moins de 32 hits dans le Top 40 américain et plus de 50 dans les charts rhythm and blues. Mais le tableau ne serait pas complet si l'on n'évoquait pas l'engagement social de l'artiste. Très concerné par les mouvements sociaux et la lutte pour les droits civiques des Noirs américains (il a ainsi quitté un concert à Atlanta après avoir constaté que les spectateurs étaient placés selon la couleur de leur peau), Ray Charles a rencontré Martin Luther King en 1963 et le chef du gouvernement israélien Ben Gourion en 1970. Un homme généreux, tel que le montre cette anecdote : en 1977, au cours d'un concert à Los Angeles, Ray échappe de justesse à la mort, quand un dément tente de l'étrangler durant le show. Ray ne portera pas plainte, le pauvre bougre sera libéré.

  • 1958 I got a Woman, chanson de R. Charles.
  • 1959 What I'd Say, chanson de R. Charles.