Marie NDiaye

Écrivaine française (Pithiviers 1967).

Sous le signe de la précocité

Née d’une mère française et d’un père sénégalais, Marie NDiaye grandit dans une HLM de la banlieue parisienne avec son frère aîné (l’historien Pap NDiaye [la Condition noire, 2008], de deux ans son aîné) et sa mère, professeur de Sciences naturelles – son père étant retourné vivre au Sénégal, peu après sa naissance. Cet environnement familial, rare pour l’époque, fait inconsciemment de cette fillette très sociable une enfant différente, « décalée ». Peu entourée de livres, la petite fille se passionne cependant rapidement pour la lecture et, dès l’âge de 12 ans, se voue à l’écriture : « J'espérais qu'elle me sauve de la vie réelle et ordinaire qui me semblait terrifiante. Qu'elle fasse de moi quelqu'un de spécial, d'unique même. J'avais l'impression, enfant, d'être invisible. J'espérais, sans que cela soit conscient, que l'écriture me rendrait visible et me protégerait en même temps. »

Marie NDiaye se passionne pour Marcel Proust et Henry James, mais aussi pour Joyce Carol Oates dont le roman Eux (1969) la bouleverse. Elle écrit abondamment et jette dans les mêmes proportions, jusqu’à juger un de ses romans « montrable ». Elle n’a que 17 ans, prépare son baccalauréat et se dit qu’« il faut [qu’elle soit] déjà écrivain pour ne pas être obligée de faire quoi que ce soit d’autre ». Elle envoie alors un manuscrit à trois éditeurs ; Jérôme Lindon, des Éditions de Minuit, le premier lui fait signer un contrat, dès la sortie du lycée. Quant au riche avenir sort en 1985 et Marie NDiaye, forte de l’idée romantique « de n’être qu’un poète », abandonne rapidement ses études de linguistique.

L'écrivain Jean-Yves Cendrey, bouleversé par ce premier roman racontant les souffrances d'un lycéen vivant une histoire d'amour impossible, écrit à son auteur. Ils se rencontrent alors et ne se quittent plus, partageant désormais leur vie, leur regard critique et parfois leur plume (Puzzle, 2007). Pendant ses études, Marie NDiaye avait obtenu une bourse pour étudier à la Villa Médicis, à Rome ; depuis, le couple ne cesse de déménager de Paris à la Rochelle, de la Normandie au Bordelais ou encore à Berlin.

De la virtuosité linguistique à l’étrangeté

Marie NDiaye n’appartient à aucun groupe littéraire, et ne revendique aucune filiation, si ce n’est peut-être avec Franz Kafka, pour son goût de l’étrangeté qui s’insinue dans ses ouvrages. Son œuvre qu’elle qualifie « de jeunesse » est cependant empreinte de l’influence de Proust et de James : de longues phrases travaillées à l’envi, parfaites de classicisme. Ce style devient paroxystique dans Comédie classique (1986), roman composé d'une seule longue phrase qui se déroule en 124 pages. Aujourd’hui, Marie NDiaye a délaissé ces exercices de style, ces phrases difficiles et élitistes dont elle pense ne plus avoir besoin : « Je craignais beaucoup la banalité. Aujourd’hui, je me sens capable d’écrire de manière plus simple. »

C’est avec son troisième roman, la Femme changée en bûche (1989), que l’étrangeté entre dans son œuvre. Dans son univers réaliste peuplé de gens ordinaires avec des vies ordinaires, dans des lieux ordinaires, font irruption des sorcières (la Sorcière, 1996 ; prix Unesco / Françoise Gallimard), du vampirisme, de l’irréalité : « J'ai toujours voulu écrire une littérature qui se situe à la fois dans la trivialité de la vie et dans un au-delà, une dimension qui transcende cette trivialité de chaque jour. » Pour elle, la littérature « peut transformer des histoires navrantes et tristes en récits tristes encore mais sublimés ».

Depuis En famille (1990), dont l'héroïne recherche un hypothétique secret qui expliquerait le rejet qu'elle subit de la part de sa famille malgré son désir de s'y fondre, Marie NDiaye a trouvé la juste mesure de son œuvre. Au fil des pages, l’inquiétude, le malaise se font ressentir ; ses histoires semblent fondre la réalité davantage dans l’univers du rêve que dans celui du fantastique. La cruauté reste cependant au cœur de l’œuvre, poussant toujours les limites du supportable, à travers les thématiques de l’exclusion, de l’oppression, de l’humiliation et de l’étrangeté qui se veut monstrueuse, dérangeante. Elle tend à moins de sophistication de l’écriture, laquelle devient de livre en livre plus dépouillée, précise mais toujours élégante – et à la fin du recours systématique à l’étrangeté… qui laisse peu à peu sa place à l’« étrangéité », ce sentiment qu’ont les êtres d’être différents, décalés, seuls.

Son roman Rosie Carpe, qui raconte l'errance d'une femme en quête d'un improbable bonheur, reçoit en 2001 le prix Femina. En 2009, Marie NDiaye connaît la consécration en obtenant le prix Goncourt pour Trois Femmes puissantes – triple portrait de Norah, Fanta et Khady Demba ayant en commun de s'élever contre les humiliations et la violence des jours. Également dramaturge (les Serpents, 2004), elle est par ailleurs la première femme de lettres à être jouée de son vivant à la Comédie-Française (Papa doit manger, 2003). Elle a aussi écrit pour la jeunesse (la Diablesse et son enfant, 2000 ; les Paradis de Prunelle, 2003 ; le Souhait, 2005) et a collaboré à un scénario sur l'Afrique avec la cinéaste Claire Denis (White Material, 2009).

Les romans de Marie NDiaye, où la recherche de l'autre et la quête identitaire tiennent une place prépondérante, sont marqués par un sens aigu du dérisoire. On a parfois tenté, au nom de son origine paternelle, de la rattacher au mouvement de la négritude, mais elle a toujours refusé toute appartenance aux littératures africaines.