Herta Müller

Écrivaine allemande d’origine roumaine (Niţchidorf, Banat, 1953).

Herta Müller, romancière et essayiste de langue allemande, est née le 17 août 1953 à Niţchidorf, au sein de la minorité allemande des Souabes retirés depuis le xviiie s. dans la province de Banat en Roumanie, une région d'Europe centrale qui fut partagée en 1919 entre la Roumanie, la Yougoslavie et la Hongrie. À l’arrivée des communistes, son grand-père, un riche fermier, est dépossédé de ses biens. Son père, enrôlé dans la Waffen SS pendant la guerre, devient chauffeur de camion. Sa mère, comme nombre de ses compatriotes, est « déplacée » cinq ans durant en Union soviétique. La Roumanie, qui s’était compromise avec le Reich au cours de la guerre, se devait de donner des gages de soumission aux Russes. Ce sont les tourments infligés à ces populations « expulsées de leur patrie », les « Heimat vertriebene », que Herta Müller s’est donné la tâche de révéler au monde, et c’est au titre de ce combat, autant que pour les qualités littéraires de son œuvre, qu’elle a reçu le prix Nobel de littérature en 2009.

Dans un isolement absolu

Entre 1973 et 1976, Herta Müller étudie la littérature allemande et roumaine à Timisoara, puis elle devient traductrice dans une usine de machines industrielles. Proche d'un groupe d'écrivains germanophones perçus par le régime de Nicolae Ceauşescu comme un « ferment d'opposition », elle est congédiée en 1979 pour avoir refusé de collaborer avec la Securitate (les services secrets roumains). Elle travaille alors dans des jardins d’enfant et écrit, dans un grand isolement dû au contexte linguistique et politique, un premier roman intitulé Niederungen sur la vie des paysans du Banat, publié en 1982 dans une version censurée à Bucarest. Ce livre d’inspiration autobiographique, de même que le recueil de nouvelles Drückender Tango (1984), qui décrit la dure vie, faite de corruption et d’intolérance, promise aux villageois Souabes, reçoit un accueil favorable dans les communautés germanophones – un soutien qui déplaît au pouvoir roumain qui interdit son auteur de publication.

Les livres suivants, publiés cette fois à Berlin, s’inscrivent dans la thématique de l’attente qui précède la rupture avec la terre natale. L’homme est un grand faisan sur terre (Der Mensh ist ein grosser Fasan auf der Welt, 1987) relate l’histoire du meunier Windisch et de sa famille désireuse d’émigrer, la tristesse qui les lie à cette décision, la veulerie des passeurs. Le livre est composé de courts textes rédigés sobrement dans un style haletant, heurté, laconique, une forme de réalisme poétique pratiquement sans dialogue : « La lumière brille encore dans la maison du meunier. Windisch s'arrête. La vitre brille. Elle renvoie l'image de la rue. Des arbres. Leur image traverse le rideau, les guirlandes de bouquets de fleurs en dentelle. Pénètre la pièce. » Elle quitte la Roumanie en 1987, en compagnie de son époux Richard Wagner, également écrivain, pour se rendre en Allemagne de l'Ouest.

Une œuvre de résistant

L’œuvre de Herta Müller, qui comporte plus d’une vingtaine de romans et récits dont trois seulement, bientôt quatre, ont été traduits en français, ne s’éloignera cependant pas des préoccupations qui l’avaient porté à écrire : l’histoire de sa terre natale, les mauvais traitements, les humiliations, l’interdiction de pratiquer leur langue, les expulsions, les vexations en tous genres que subirent à partir de 1945 les milliers d’Allemands d’Europe centrale déplacés – une histoire encore occultée par les historiens ou les médias non-allemands.

Le renard était déjà le chasseur (Der Fuchs war damals schon de Jäger, 1992) décrit le désespoir et l’angoisse qui envahissent une jeune enseignante lorsqu’elle comprend que son appartement est visité par des membres de la Securitate qui découpent, lors de chacun de leur passage, un morceau de la fourrure du renard décorant son intérieur. La Convocation (Heute wär ich mir lieber nicht begegnet, 1997) raconte la vie d’une femme rythmée par les interrogatoires réguliers et dévastateurs de la Securitate. Son roman Atemschaukel (2009, en cours de traduction et provisoirement intitulé la Balançoire du souffle), nominé pour le Buchpreis, relate la déportation en 1945 de milliers d’Allemands de Roumanie, réquisitionnés par l’Armée rouge à la suite des dommages de la guerre comme matériel humain de réparation. Humiliés, affamés, beaucoup ne revinrent jamais chez eux ; et à ceux qui purent revoir leur famille, la Roumanie imposa le silence.

Le 23 juillet 2009, de retour d’un court voyage à Bucarest, Herta Müller a publié dans le journal Die Zeit un article extrêmement virulent intitulé « Die Securitate ist noch im Dienst » (La Securitate est encore en service), dans lequel elle dénonce la mainmise de l’ancienne police politique du régime de Ceauşescu sur la société roumaine d’aujourd’hui.

Son œuvre a été distinguée par de nombreuses récompenses dont le prix Kleist en 1994. Depuis 1995, Herta Müller est membre de l'Académie allemande de langue et littérature (Deutsche Akademie für Sprache und Dicthung). Dix ans après Günter Grass, et cinq ans après Elfriede Jelinek, le prix Nobel de littérature couronne donc de nouveau un auteur de langue allemande – une récompense que Herta Müller obtient pour avoir « avec la densité de la poésie et la franchise de la prose, dépeint l'univers des déshérités », a précisé l'Académie Nobel.