Janis Lyn Joplin, dite Janis Joplin

Chanteuse de rock et de blues américaine (Port Arthur, Texas, 1943-Los Angeles 1970).

« Seigneur, offrez-moi une Mercedes Benz, tous mes amis roulent en Porsche… » Malgré sa chanson, il est bien difficile d'imaginer Janis au volant d'une grosse berline allemande. Car tenue de route irréprochable et conduite tranquille n'ont jamais été le fort de celle que l'on surnommait la « Mama cosmique ». En vingt-sept années bien remplies d'une trop brève mais tumultueuse existence, miss Joplin n'a respecté aucun feu rouge, aucune limitation de vitesse. Une vie à fond la caisse à l'image de sa voix : éraillée, exubérante, effrénée, incandescente. Jamais le terme rhythm and blues n'aura aussi bien collé à une artiste. Le rythme, celui qui la tenaillait, lui flanquait la bougeotte, jusqu'à la démesure. Le blues, celui qui la hantait, la rongeait, jusqu'à devenir une autre partie d'elle-même. Rythme et blues, trépidation et bourdon, c'est tout Janis Joplin. Et bien plus : une boulimie dévorante, un défi permanent aux conventions. Sexe, drogues et rock and roll, Janis en avait fait un art de vivre, de mal vivre, au risque de ne pas survivre.

Freaks et frasques. On la surnommait Pearl, aussi. Mais dans le genre bijou, c'était plutôt une améthyste. Rugueuse, éclatée, tailladée, aux facettes à la fois frustes et lumineuses. Une sorte de vilaine petite cane, de laideron acnéique et excentrique moqué par ses camarades de classe de Port Arthur, sa ville natale. Dont elle finira par s'évader, avant d'y revenir, d'en repartir à nouveau, sans se douter qu'elle y donnera son ultime concert, le 15 août 1970. On n'échappe pas à son destin. Au début des années 1960, quand elle fugue à San Francisco, elle n'est encore qu'une jeune et anonyme admiratrice de Bessie Smith, qui hante les bars à musique dans l'espoir de se faire remarquer. On la remarque : un certain David Crosby, notamment. Elle fréquente le milieu des musiciens, fait la java, se déguise en princesse hippie, avale des litres de Southern Comfort (whisky américain), devient la maîtresse du chanteur de folk Country Joe, rencontre le beau Kris Kristofferson (dont elle popularisera plus tard la chanson Me And Bobby McGee), et se laisse happer, elle la petite provinciale mal dégrossie, dans un tourbillon de paradis artificiels. Mais c'est surtout sa voix qu'on remarque. Janis ne chante pas, elle s'interprète. Avec hargne et désespoir, violence et bestialité. Quand Janis rugit, cordes vocales détrempées au bourbon, gorge passée au papier de verre, on se sent redevenir primitif. Aussi, quand le groupe Big Brother And The Holding Company, une tribu de babas électriques qui cherche à ressembler au Jefferson Airplane, décide d'engager une chanteuse, c'est à Janis que l'on pense. On va la rechercher à Port Arthur, où elle s'est réfugiée, épuisée par sa vie de bohème. Elle se retrouve sur la scène du Ballroom de San Francisco, le 12 juin 1966, et fait un triomphe. Un an après, elle partage l'affiche du Festival de Monterey avec Jimi Hendrix et Otis Redding. En 1968, l'album Cheap Thrills, illustré par le dessinateur Robert Crumb, est un fourre-tout un peu désordonné de rock et de blues. Il lui manque un écrin, un groupe digne de ce nom, capable de mettre en valeur l'organe gargantuesque de cette fée Carabosse carabinée. Elle change de musiciens, crée le Kozmic Blues, avec lequel elle se produit à l'Olympia de Paris, le 13 avril 1969, devant une salle à moitié vide. Avec le Full Tilt Boogie Band, son dernier orchestre, elle enregistre l'album Pearl, qui contient les versions de Move Over et de Mercedes Benz, deux de ses morceaux les plus connus.

Hors de tout contrôle. Toute sa vie, et même après sa mort, Janis la rebelle a échappé à toute tentative de contrôle. Au Festival de Woodstock, qui, sur son interdiction, s'est résolu à ne point filmer sa prestation. À Hollywood, qui lui a consacré un commercial hommage post-mortem, avec le film The Rose (1979), dans lequel Bette Midler, malgré tout son tempérament, n'est pas en mesure d'exprimer la vraie magie de Janis. À l'industrie du disque enfin, qui, à travers quatre albums officiels et de nombreuses bandes « live » exhumées, n'a jamais su capter que le son de sa voix. Le reste, c'est-à-dire l'essentiel, relève du subliminal… Mégère sublime et diva sordide, dondon divine à la beauté hard, Janis Lyn Joplin s'est envolée un dimanche d'octobre 1970, quelques semaines après Jimi Hendrix, dans une banale chambre d'hôtel, rituel témoin des overdoses des stars qui ont brillé trop fort et trop vite. Personne ne sait s'il y a des Mercedes Benz au paradis. Mais nul doute que, là-haut, Janis, la Cendrillon du rock, roule désormais en carrosse.

  • 1966 Summertime, de J. Joplin.
  • 1967 Cheap Thrills, album de J. Joplin.