David Gruen, dit David Ben Gourion

Gamal Abdel Nasser
Gamal Abdel Nasser

Homme politique israélien (Płońsk, Pologne, 1886-Tel-Aviv 1973).

En 1906, un jeune Juif polonais arrive en Palestine, armé d'une certitude inébranlable : la liberté, les Juifs ne peuvent l'obtenir que sur la terre d'Israël, en créant un État souverain. Le 14 mai 1948, le même homme lit, à Tel-Aviv, la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël, dont il deviendra le premier chef de gouvernement. Pour réaliser ce rêve qui paraît totalement utopique au début du xxe siècle, il faudra une obstination peu commune et une force d'engagement rare, deux qualités dont David Ben Gourion saura faire preuve tout au long de sa vie.

1. L'enfance

David Ben Gourion considérera toujours que son existence ne prit son sens véritable que lorsqu'il débarqua à Jaffa en septembre 1906. Les vingt années qu'il passe dans une Pologne sous le joug tsariste ne sont à ses yeux qu'une période d'attente. Ses Mémoires n'évoquent d'ailleurs que très furtivement sa prime jeunesse. Pourtant, elle a eu plus d'importance sur sa formation qu'il n'a bien voulu l'admettre.

Cadet d'une famille de cinq enfants, David Gruen est né dans une bourgade située à 60 km de Varsovie, où les Juifs formaient la majorité de la population. Si rien ne distinguait ce shtetl de centaines d'autres localités du même type à l'intérieur de la « zone de résidence » russe où vivent environ cinq millions de Juifs, la famille du futur David Ben Gourion est quelque peu atypique. Contrairement à leurs voisins qui demeurent fidèles à l'orthodoxie religieuse la plus stricte, les Gruen sont sensibles aux idées modernisatrices de la Haskalah et sont d'ardents soutiens des Amants de Sion (Hovevei Tzion), un mouvement né dans les années 1881-1882 pour encourager la présence juive en Palestine. Ils développent chez le jeune David le goût de l'étude de la Bible et de la langue hébraïque, qui ne sont pas sans incidence sur sa vocation sioniste. Celle-ci s'éveille très tôt. À 14 ans, après avoir acquis les rudiments de l'enseignement religieux dans l'école juive traditionnelle, David Ben Gourion fonde l'association Ezra, vouée à la dissémination de l'hébreu parmi la jeunesse. Ce geste est de nature éminemment politique : promouvoir l'hébreu comme langue parlée, et donc refuser le yiddish, qui est la principale langue de communication des Juifs d'Europe orientale, c'est symboliquement marquer la volonté de revenir à Sion et de refuser l'exil. David Ben Gourion se tiendra strictement à cette ligne, militant activement après son installation en Palestine pour que toutes les délibérations et publications de son parti, le Poalei Tzion (Ouvriers de Sion), se fassent en hébreu.

C'est au cours d'un séjour à Varsovie en 1905 qu'il découvre cette formation politique qui défend un curieux mélange de marxisme et de nationalisme juif. D'emblée, il devient un orateur remarqué mais il est très vite persuadé que l'avenir du sionisme ne se joue pas en Diaspora, mais en Palestine. En août 1906, il s'embarque à Odessa à destination de Jaffa.

2. Premières activités politiques

Fidèle à l'idée cardinale du sionisme de « retour à la terre », il s'engage comme travailleur agricole dans les nouveaux villages juifs créés dans les années 1880. L'expérience la plus déterminante a lieu en Galilée, où les implantations ont introduit un mode de fonctionnement collectif et se sont dotées d'organisations armées d'autodéfense, deux éléments qui préfigurent le kibboutz. Cultiver la terre ne l'enthousiasme toutefois que modérément. Sa vraie passion, c'est la politique. En 1910, il rejoint Jérusalem, où il dirige avec son inséparable ami Yitzhak Ben Zvi – futur second président de l'État d'Israël –, le journal Ha-Achdout (l'Unité), organe du parti Poalei Tzion. Il signe ses articles d'un nouveau nom, Ben Gourion, en hommage au défenseur de Jérusalem contre les légions romaines en 70 de notre ère. Inlassablement, il répète que la communauté juive de Palestine doit s'organiser comme une force politique puissante. La révolution jeune-turque de 1908 entretient l'espoir d'une réforme de l'Empire ottoman dont le projet sioniste pourrait profiter. David Ben Gourion choisit de « s'ottomaniser ». En 1911, il rejoint Salonique pour apprendre le turc avant de gagner Istanbul, où il étudie le droit durant trois ans. Mais cette stratégie d'ouverture est un échec : en mars 1915, il est expulsé de Palestine – où il s'était réfugié lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale – dans le cadre d'un vaste mouvement de répression mené par les autorités turques contre les sionistes.

Il gagne New York, où il investit toute son énergie dans le mouvement He-Haloutz, dont l'objectif est de préparer les jeunes Juifs à immigrer en Palestine. Les résultats sont fort modestes. À la suite de la déclaration Balfour (2 novembre 1917) sur l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, il gagne l'Égypte (1918) et s'enrôle dans la Légion juive formée de bataillons juifs intégrés à l'armée britannique mais ne participe pas aux combats pour la libération de la Palestine conduits par le général Allenby. Son ascension politique commence avec l'instauration de l'administration britannique sur la Palestine.

3. En route vers l'État juif

Méthodiquement, David Ben Gourion consolide son pouvoir sur trois fronts. D'abord, il œuvre pour l'unification politique des différents groupuscules du mouvement ouvrier en Palestine, devant notamment résister à la fin des années 1920 aux conceptions opposées de Vladimir Jabotinsky. Cet objectif sera atteint en 1930 avec la constitution du Mapai (parti des Ouvriers d'Eretz Israël), qui dominera la vie politique israélienne jusqu'en… 1977. En 1921, David Ben Gourion prend la tête d'une nouvelle organisation, la Histadrouth (fondée en 1920), qui devient le véritable agent de structuration de la société juive en Palestine. Ce « syndicat » intervient aussi bien dans le domaine social (cliniques, restaurants collectifs, Bourses du travail…) qu'économique en contrôlant les implantations agricoles, les coopératives de distribution et de consommation et une multitude d'entreprises. Il gère un réseau d'écoles, des journaux, des clubs sportifs et, surtout, une armée clandestine, la Haganah, dont le rôle deviendra de plus en plus important au fur et à mesure que les relations avec la population arabe se tendent. La Histadrouth fonctionne comme une préfiguration de l'État juif encore à venir. Enfin, en 1933, David Ben Gourion prend le contrôle de l'Organisation sioniste, qui rassemble, au niveau mondial, les Juifs favorables à la création d'un foyer national.

Désormais, les sionistes-socialistes de David Ben Gourion ont la haute main sur la direction politique de la nation juive. Logiquement, il devient en 1935 le président de l'exécutif de l'Agence juive, c'est-à-dire, de fait, le chef du « quasi-gouvernement » juif en Palestine. Dès lors, il va pousser la revendication sioniste un cran au-dessus. Sous la pression conjuguée de la dégradation du climat politique en Palestine avec le déclenchement de la grande révolte arabe en 1936, de la montée de l'antisémitisme en Europe et de la publication par Londres en 1939 du Livre blanc qui contingente strictement l'immigration, David Ben Gourion s'engage résolument dans ce qu'il nomme le sionisme combattant : multiplication des villages juifs – accélération de l'immigration – renforcement de la Haganah, l'armée clandestine. Il s'agit de hâter l'établissement d'un État juif, un objectif qui, David Ben Gourion en est persuadé, requiert le soutien de la puissance montante, les États-Unis. En pleine guerre, il passe plus d'une année en Amérique pour convaincre les Juifs américains et le gouvernement de soutenir la création d'un État juif. Un travail de conviction qui s'avérera fort précieux lorsque l'Assemblée générale de l'O.N.U. se prononcera en ce sens en novembre 1947.

La bataille diplomatique est menée prioritairement par le leader sioniste Chaïm Weizmann. David Ben Gourion, pour sa part, se consacre, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la lutte politique et militaire contre la Grande-Bretagne en encourageant l'immigration illégale des rescapés juifs du génocide nazi et en supervisant les opérations de sabotage contre les forces britanniques. Cette pression constante pousse Londres à renoncer au mandat sur la Palestine. David Ben Gourion ne laisse pas passer l'occasion et proclame la création d'un État juif souverain le 14 mai 1948. La guerre avec les États arabes voisins commence immédiatement mais David Ben Gourion, désormais Premier ministre et ministre de la Défense, a préparé la jeune armée formée par l'unification des forces clandestines à cet assaut. Il suit de très près les opérations militaires, encourageant la combativité de ses troupes et n'hésitant pas dans certains cas à « couvrir » l'expulsion manu militari de civils palestiniens. Israël sort finalement vainqueur de cette première confrontation militaire.

4. Treize ans au pouvoir

David Ben Gourion va rester à la tête du gouvernement de mai 1948 à juin 1963, à l'exception d'une retraite temporaire d'une quinzaine de mois en 1954-1955. À ce poste, il s'attache méthodiquement à consolider l'État. L'enseignement est nationalisé, les Bourses du travail transférées à l'État. Ce dernier devient l'agent par excellence de la fusion des immigrants, qui affluent par centaines de milliers, en un ensemble national cohérent. David Ben Gourion engage aussi le jeune État dans des négociations avec la République fédérale d'Allemagne, qui aboutissent en 1952 aux accords de réparation, incluant indemnisation pour les victimes du nazisme et dédommagement collectif pour Israël.

Après l'arrivée au pouvoir en Égypte en 1954 de Gamal Abdel Nasser, qui soutient les incursions de fedayins palestiniens, David Ben Gourion adopte, de concert avec le chef d'état-major Moshe Dayan, une politique de représailles systématiques. En octobre 1956, il déclenche, en étroite concertation avec les autorités françaises et britanniques, la guerre de Suez, qui conduit à l'occupation par Israël de la bande de Gaza et de toute la péninsule du Sinaï (évacués sous la pression conjuguée des États-Unis et de l'Union soviétique l'année suivante). Cette campagne militaire met un terme aux infiltrations de commandos palestiniens et au blocus égyptien du détroit de Tiran sur la mer Rouge.

David Ben Gourion met à profit cette accalmie provisoire pour consolider le statut international d'Israël. Il rencontre les grands de ce monde, le président John Fitzgerald Kennedy, le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer au début des années 1960. La fin de sa carrière comme chef de l'exécutif est ternie par l'« affaire Lavon » (du nom du ministre de la Défense israélien compromis dans une série d'attentats antiaméricains commis en Égypte), qui précipite sa démission en 1963. Bien que dégagé désormais de toute responsabilité gouvernementale, David Ben Gourion tente de peser sur la politique menée par son successeur, Levi Eshkol. Mis en minorité au sein du Mapai, David Ben Gourion le quitte avec la « jeune garde » (Moshe Dayan, Shimon Peres) pour fonder le Rafi. Mais l'heure de gloire du « vieux lion » est passée. Son nouveau parti n'obtient qu'un soutien limité aux élections de 1965. David Ben Gourion s'enfonce peu à peu dans la solitude. En 1970, il se retire définitivement de la vie politique et s'installe dans le kibboutz Sdé Boker, en plein désert du Néguev, où il rédige ses Mémoires. Il s'éteint en novembre 1973, peu après la guerre du Kippour. Homme doté d'une implacable volonté et d'un sens politique aigu, David Ben Gourion reste le véritable bâtisseur de l'État d'Israël.

Pour en savoir plus, voir les articles Israël : histoire, Palestine.