Essai sur l'application de l'analyse

Traité de mathématiques de Condorcet (1785).

Cet ouvrage, dont le titre complet est Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, ouvrage au titre barbare, a connu une destinée étonnante. Loué avec une profonde vénération par des contemporains qui ne l'avaient que feuilleté, condamné sans réserve par les historiens des mathématiques du xixe s., considéré à partir de 1950 comme un chef-d'œuvre, ce volume de cinq cents pages, fort difficile à lire, apporte des innovations aussi fondamentales que discutées ou discutables, selon les points de vue, au moins sur les aspects suivants :
– on peut mesurer nos motifs de croire par des probabilités calculées, et ces mesures doivent être utilisées dans la conduite de la vie, parce que ce sont les plus raisonnables qu'il soit possible de prendre ;
– « les vérités des sciences morales et politiques sont susceptibles de la même certitude que celles qui forment le système des sciences physiques, et l'Essai a pour but de montrer « sur un exemple » comment on peut procéder ;
– il est difficile (mais peut-être pas impossible) de dégager une opinion collective à partir d'opinions individuelles : si l'on demande à chaque électeur d'indiquer son ordre de préférence entre trois candidats A, B, C, l'opinion majoritaire qui s'en dégage peut être incohérente, à savoir : A est jugé meilleur que B, B meilleur que C et C meilleur que A ;
– en matière politique ou juridique, il y a des vérités, mais on ne les connaît pas toujours ; ceux qui expriment un jugement se trompent, mais, pour peu qu'ils aient une probabilité plus grande de dire la vérité que de se tromper, le jugement collectif est plus près de la vérité qu'un jugement individuel (c'est l'efficacité de la démocratie démontrée par les mathématiques).

Ces considérations fourniront, entre autres, un appui théorique à Condorcet pour son refus de la peine de mort.