ornement

(en all. verzierungen, en angl. ornaments, en it. abbellimenti)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Dans la musique vocale et instrumentale, les ornements constituent toute une gamme d'embellissements destinés à agrémenter les lignes mélodiques d'une composition. Ils doivent toujours conserver le caractère d'une improvisation spontanée même lorsque ces ornements ont été notés avec précision par le compositeur.

C'est à l'époque baroque, au moment où le bel canto atteint son apogée sous le règne des castrats, que l'art des ornements connaît une période de virtuosité éblouissante en même temps que des abus inévitables. L'interprète, de nos jours, doit redécouvrir d'abord la technique instrumentale ou vocale qui lui permet d'improviser librement, voire aisément, mais il doit surtout y prendre plaisir et être conscient qu'un trop grand respect de la note écrite revient à trahir les intentions du compositeur. Celui-ci, aux xviie et xviiie siècles, soutenu par les théoriciens qui étaient souvent eux-mêmes des instrumentistes, considérait les ornements (écrits ou improvisés) comme un élément indispensable à sa musique et ne s'indignait que contre les excès.

Techniques et théories

Avant l'invention de la notation musicale, les ornements improvisés autour d'un chant ont certainement existé, tant ils sont naturels. On peut d'ailleurs en relever des exemples dans les musiques traditionnelles d'un grand nombre de pays extra-européens encore aujourd'hui. Lorsque la notation neumatique (→ NEUMES) est employée au ixe siècle pour codifier le répertoire de l'Église, les fioritures sont indiquées au moyen de neumes d'ornement tels que le « quilisma », l'« ancus » et le « torculus ». Avec l'avènement de la notation mesurée au xiiie siècle, la plique (barre verticale ajoutée à une note) appelle un ornement qui est une sorte d'appoggiature.

Pendant tout le Moyen Âge et la Renaissance, la pratique des ornements est très répandue. Suivant l'exemple des improvisations des chanteurs, les instrumentistes à leur tour introduisent des ornements. C'est ainsi que, chez G. Gabrieli par exemple, un simple thème de chanson française est transformé, grâce aux ornements écrits et ajoutés, en une canzona instrumentale aux traits souvent virtuoses dans chacune des parties de la polyphonie.

Vers la fin du xvie siècle apparaissent des traités exposant les diverses techniques de l'ornementation, sans doute pratiquées depuis longtemps déjà (les instrumentistes Ganassi, Ortiz et Dalla Casa ; les chanteurs Maffei, Conforto et Bovicelli). Le talent pour exécuter toutes sortes de passages (« passaggi ») dans chacune des voix d'un madrigal italien s'est cultivé au fil des années et offre un témoignage de la maîtrise technique atteinte par les chanteurs qui nous semble redoutable à l'époque actuelle. Le traité de Dalla Casa (Il vero modo di diminuir, 1584, rééd. 1970) contient un madrigal de C. de Rore (Tanto mi piaque) où les quatre voix sont ornées de diminutions. La même méthode transforme une pièce vocale en pièce de clavier ; de là découle la variation, où les valeurs des notes sont progressivement réduites au cours de la série. C'est une forme souvent employée par les virginalistes anglais (J. Bull, W. Byrd, G. Farnaby, etc.).

À la " fancy " des Anglais répond la " fantasia " et le " ricercare " des maîtres italiens. En France, l'instrument polyphonique préféré demeure le luth ; pour lui sont adaptés des chansons, des motets et airs de cour.

G. Zarlino, reprenant Platon, précise que l'harmonie et le rythme doivent être les serviteurs de la parole (Istitutioni armoniche, 1558) : idée humaniste fondamentale et point de départ d'une rédaction contre les complexités de la musique polyphonique qui rendaient le texte inintelligible. Ses partisans estimaient que la parole serait mieux servie par une voix seule déclamant en musique, avec une certaine liberté rythmique, les passions exprimées dans le texte. Ces passions (" affetti ", mouvements de l'âme) se rehaussaient de tout un choix d'ornements que G. Caccini expose dans la préface de ses Nuove Musiche (1601) : " trillo " (répétition de plus en plus rapide d'une seule note), " gruppo " (notre trille habituel), " cascata " (trait rapide descendant), " ribattuta di gola " (inégalisation des croches ou doubles croches pour rendre le chant plus gracieux). Il suffit d'analyser les œuvres de l'époque pour les retrouver.

L'ornementation en Europe au xviie siècle

Si en Italie, au cours du xviie siècle, l'ornementation devient de plus en plus le domaine de l'interprète (voix et violon surtout), la France préfère un système mieux défini. Afin d'agrémenter la mélodie, on se sert de signes, introduits d'abord par les luthistes, ou alors on prend soin d'écrire la version ornée d'un air de cour par exemple.

Celle-ci, la seconde strophe, prend le nom de « double » et les ornements contribuent à effacer les difficultés créées par la prosodie. Le chanteur Michel Lambert a laissé de fort beaux exemples notés de cet art.

Chez les clavecinistes français, le terme « double » est synonyme de variation. Un genre particulièrement original caractérise leur musique : le prélude non mesuré que F. Couperin qualifie de « composition libre où l'imagination se livre à tout ce qui se présente à elle ». Sur un vague schéma en valeurs longues accompagnées de quelques dessins mélodiques, l'interprète orne à son gré afin de se chauffer les doigts. Quant au chant français de cette époque, B. de Bacilly, dans son ouvrage Remarques curieuses sur l'art de bien chanter (1688, rééd. 1971), décrit les ornements les plus usuels (port de voix, accent ou plainte, tremblement, cadence et double cadence, soutien de la voix, expression ou souci des passions exprimées dans le texte, doublement d'une note, diminution) mais ne donne pas d'exemples notés. Le choix de tel ou tel ornement par le chanteur est déterminé par le texte poétique et par le bon goût. En revanche, les luthistes, clavecinistes et organistes français ont rédigé des tables d'agréments pour embellir la mélodie, sans doute à l'imitation des chanteurs, mais aussi afin de prolonger les sons des instruments à cordes pincées. Les auteurs ne sont pas toujours d'accord au sujet de la nomenclature ni de la manière d'exécuter certains ornements.

Située à mi-chemin entre les styles français et italien, l'école allemande adopte une attitude modérée à l'égard des ornements improvisés. J.-S. Bach va jusqu'à noter lui-même ses fioritures, notamment les mouvements lents, ce qui a entraîné une certaine réticence de la part des interprètes modernes, par exemple devant la possibilité d'exécuter un trille sous-entendu à une cadence.

Le culte de la virtuosité

Au xviiie siècle, et surtout en Italie, on assiste à la véritable soumission des compositeurs aux caprices des chanteurs tout-puissants. C'est l'époque de l'aria à da capo, avec ses maîtres A. Scarlatti, Bach, Haendel et Hasse. Cette forme ternaire offre aux chanteurs, au moment de la reprise, l'occasion de se distinguer, d'éblouir et, parfois, d'épuiser le public par les exploits du gosier. Les mouvements lents des sonates et concertos sont souvent des improvisations libres très ornées à partir d'une simple esquisse de quelques notes (Haendel, concertos pour orgue ; Corelli, Sonates, op. 5). Depuis le siècle précédent, les compositeurs français indiquent la place d'un ornement à l'aide d'une petite croix (+ : « faites un ornement ici, selon vos moyens techniques et [dans le cas de la musique vocale] selon le sens du texte »). Mais ils les écrivent aussi, par exemple autour d'un mot imagé tel que « voler ».

Les réformes

Les nombreuses critiques qui affirmaient qu'une ornementation excessive rendait totalement méconnaissable la composition originale ont amené plusieurs réformes. Dans l'opéra, d'abord celles de Gluck, qui s'applique à épurer la mélodie de ses fioritures abusives ; ensuite celles de Rossini, qui n'interdit pas les ornements ­ ce serait contre la nature de sa musique ­ mais prend la précaution de les écrire lui-même à l'exclusion de tout autre. L'époque romantique, héritière en cela du style instrumental classique, demeure en faveur d'une ornementation écrite et strictement au service de l'expression. Cependant, le xixe siècle abandonne la plupart des ornements du bel canto pour ne garder que le trille, les appoggiatures, les traits et arpèges décoratifs (par exemple, dans la musique de piano de J. Field et Chopin), le mordant, et le « gruppetto » cher à Schumann et à Wagner pour ne citer que l'usage émouvant qui en est fait dans le prélude de Parsifal. Chez Verdi puis chez R. Strauss, les ornements écrits sont riches et travaillés à travers l'œuvre. Il n'en faut pas moins constater que l'ornementation, afin d'embellir véritablement, doit éclore librement.