musique hébraïque

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

C'est par les écrits bibliques et leurs nombreuses références musicales que nous pouvons nous faire une idée sur la musique des anciens Hébreux. Néanmoins, si de nombreux passages citent des instruments de musique ou l'organisation musicale à l'intérieur du Temple, le fait d'avoir une idée précise quant au contenu même de cet art paraît impossible, car il ne reste aucun document écrit concernant la théorie ou l'éventuelle notation de cette musique. Par ailleurs, il faut souligner deux réalités vivantes : la transmission de la musique hébraïque, qui s'est faite essentiellement par voie orale à travers les siècles, et l'importance qu'occupe la musique religieuse au point que toutes les manifestations musicales juives jusqu'à la fin du xviiie siècle ont un caractère religieux.

Les instruments de musique

La première mention d'instruments de musique apparaît dans la Genèse (IV, 21) et prouve que déjà deux catégories d'instruments ­ à cordes (représentés par le kinnor) et à vent (représentés par l'ougab) ­ étaient bien implantées dans la vie des Hébreux. Par ailleurs, la musique jouait un grand rôle à l'intérieur du Temple et, bien que le fait d'avoir admis des instruments dans le culte du premier Temple (détruit en 587 av. J.-C.) soit problématique, nous avons des témoignages sur l'orchestre cultuel institué par David, à savoir : parmi les lévites, trois cymbaliers (mesiltayim), huit joueurs de nebel (famille des harpes-psaltérions) et six joueurs de kinnor (famille des lyres) ; parmi les prêtres, sept trompettistes (Chroniques XV, 16-24). Une classification des instruments de la Bible nous donne les résultats suivants : 1)parmi les idiophones : les cymbales, le sistre, le triangle et

les castagnettes ; 2)parmi les membranophones : le tambourin (tôf) ; 3)parmi les aérophones : l'ougab ou halil (représentant les types de flûte et d'instruments à anche simple ou double), la trompette (haçocera) et la corne (shofar) remplissant une fonction cultuelle pour l'annonce du nouvel an, des fêtes, etc. (le shofar est encore utilisé pendant les offices nationaux du jour de l'an et à l'issue du Grand Pardon) ; 4) parmi les cordophones : le kinnor et le nebel déjà cités ainsi que tous les autres instruments de la famille des harpes-psaltérions ou ceux de la famille des luths. Tous ces instruments cesseront d'être utilisés à partir du moment où le culte sacrificiel cède la place à la prière. Désormais (après la destruction du second Temple en 70 apr. J.-C.), seul le chant sera l'expression de la musique religieuse et liturgique.

La musique religieuse de la diaspora

La synagogue remplace le Temple et dans cet édifice, précisément, il y a obligation de faire la lecture publique de la Bible en chantant. Dès l'époque talmudique (qui s'achève à la fin du ve s. apr. J.-C.), le hazzan est employé comme chantre professionnel de la synagogue et la psalmodie ainsi que la cantilation biblique sur des formules mélodiques modales sont une réalité. Après l'époque talmudique, ce sont les massorètes, docteurs juifs, qui ont élaboré les systèmes de notation des te 'amîm (« accents bibliques »), achevés vers le xe siècle. Tout comme la vocalisation du texte de la Bible, ces accents fixent la cantilation biblique, qui est jusqu'alors une tradition orale. Cependant, les te 'amîm ne sont encore que des formules mnémotechniques sur des modes traditionnels (à l'instar des premiers signes ekphonétiques de la musique byzantine). Il faudra attendre le xiie siècle pour découvrir le manuscrit de la plus ancienne véritable notation musicale juive. C'est l'œuvre d'Abdias, un prosélyte normand qui a noté la musique de cinq versets bibliques (Jérémie XVII, 7 ; Prov. III, 5 ; III, 6 ; III, 13 ; Job V, 17), un piyyût (poésie religieuse), qui est un Éloge de Moïse, et un fragment final d'un autre piyyût non identifié et qui montre la vogue de ces poésies religieuses à l'époque ainsi que le rôle grandissant du hazzan comme chantre professionnel de la synagogue. Le second document de musique notée remonte au xve siècle (v. 1430) et contient un fragment du Cantique de Salomon.

À partir du xvie siècle, on introduit la musique savante dans la synagogue et on instaure le chant choral à plusieurs voix. En 1622-23 apparaît à Mantoue un important recueil de psaumes, prières et cantiques religieux pour trois, quatre, cinq, six, sept et huit voix, composés par Salomon Rossi (v. 1570-1628). En même temps, le mouvement cabalistique de Safed (dont nous parlons plus loin dans le cadre de la musique populaire) donne un nouvel essor à la musique religieuse hébraïque, tout comme le chant ashkenaze, influencé par des éléments du chant slave ou oriental. À partir du xviiie siècle, l'influence de la musique savante pèse sur l'expression musicale des hazzanîm. Dès 1822 à Paris et 1826 à Vienne est instauré l'usage des chœurs à quatre voix dans la synagogue ; l'orgue y est introduit également. De nombreux compositeurs juifs écrivent de la musique synagogale. Néanmoins, certains d'entre eux, comme Salomon Sulzer (1804-1890), Samuel Naumbourg (1817-1880) et, à un moindre degré, Louis Lewandowski (1823-1894) s'efforcent de conserver le chant traditionnel ou de l'amalgamer au style de la musique de l'époque. Plus près de notre époque, Ernest Bloch (1880-1959) compose un Service sacré, oratorio pour solo, chœur et orchestre, créé à Paris en la Synagogue, rue de la Victoire, sous la direction de l'auteur. Enfin, Darius Milhaud (1892-1974) compose aussi un Service sacré en 1947 pour baryton, récitant, chœurs et orchestre ou orgue, créé à San Francisco en 1949, au temple Emanu-El. L'œuvre est librement inspirée du chant traditionnel juif et adopte le texte hébreu des livres de prières. En même temps, des ethnomusicologues commencent, à partir du début du xxe siècle, à recueillir des mélodies traditionnelles sur des bases scientifiques et aident ainsi la recréation d'un style authentique du chant synagogal. De nos jours, des efforts dans ce sens sont poursuivis en Israël et aux États-Unis.

La musique populaire

La musique populaire hébraïque trouve ses origines dans les temps les plus reculés de son histoire, car le chant populaire qui en est l'expression la plus tangible a été pratiqué et vénéré depuis toujours si l'on se rapporte aux témoignages de la Bible. Ainsi, parmi les plus anciennes cantilations populaires, on peut admettre celle de Déborah (Juges v, 2-31), celle de Lamech (Genèse IV, 23-24), celle du puits (Nombres XXI, 17-18), celle de la mer Rouge (Exode XV, 2-19) ou le chant funèbre de David (II Samuel I, 19-27).

Pour ce qui est de la chanson populaire actuelle, l'élément le plus frappant reste le mélange d'une musique authentiquement populaire avec des éléments historiques de différentes musiques étrangères. Ce mélange rend l'identification des traditions musicales populaires actuelles, vis-à-vis de leurs prototypes anciens, très difficile. Quoi qu'il en soit, on peut dire que les plus anciennes chansons populaires connues encore aujourd'hui plongent leurs racines dans la poésie populaire mystique, semi-religieuse ou messianique du Moyen Âge. Le xvie siècle verra l'apparition d'une nouvelle phase du chant populaire grâce au mouvement cabalistique de Safed, en Galilée, dont le poète-chantre le plus connu fut Israël Nagara (v. 1555-1625). Ses cantiques adoptent des mélodies populaires connues, issues des traditions arabe, turque, grecque et espagnole et sont classés selon l'ordre des maqamât arabes.

Toutes les traditions actuelles de chant populaire émanent bien entendu des communautés juives orientales, à savoir : géorgienne, kurde, samaritaine, karaïte, irakienne, iranienne, de Boukhara, d'autres communautés moins importantes et surtout du Yémen. Cette dernière communauté reste la source la plus importante du chant populaire juif, due sans doute à une vie communautaire ininterrompue de presque 2 500 ans au milieu de cultures arabes. Le centre d'intérêt des traditions populaires musicales yéménites est le mariage et les chansons qui s'y réfèrent. On peut discerner à travers ces manifestations un symbolisme latent, à savoir le constant dialogue entre Dieu (représenté par le fiancé) et Israël ou l'âme humaine (représentée par la fiancée).

On peut diviser la musique séculaire et populaire juive en deux branches : celle des juifs séfardim et celle des juifs ashkenaze. La première branche compte la période ibérique (du premier millénaire av. J.-C. à 1492 et 1497, dates de l'expulsion des juifs d'Espagne et du Portugal), la période de la diaspora séfardique et celle du romancero judéo-espagnol, dont les chants peuvent être classés en deux catégories : les romances et les cantigas. Les romances sont des poésies assonancées sans forme strophique ; les cantigas sont toujours composées en strophes, généralement assonancées et suivies souvent par des refrains. La seconde branche comprend les juifs de l'Europe de l'Ouest (généralement allemands) et ceux de l'Europe de l'Est (polonais, russes, hongrois, etc.). C'est précisément dans ces contrées de l'Est que la chanson populaire juive trouva un nouvel essor à partir du milieu du xviiie siècle, grâce au mouvement néomystique du hassidisme. Le support stylistique des mélodies hassidiques, dont le centre d'intérêt est la mélodie vocale sans texte, est basé sur des formules anciennes de chants et de prières orientaux, russes, hongrois, allemands, roumains ou ukrainiens, sans pour autant négliger des adaptations de pièces instrumentales et même des marches ou vaudevilles. L'intérêt du chant populaire juif s'est accru pendant le xxe siècle, grâce aux efforts de quelques musicologues qui ont commencé à recueillir sur place et à publier des mélodies liturgiques ou non des différentes communautés. Abraham Zvi Idelsohn (1882-1938) a été un pionnier dans ce domaine. Son Hebraïsh-orientalisher Melodien-Shatz (10 vol., Leipzig, 1914-1932) contient des milliers de mélodies liturgiques ou religieuses qui donnent un aperçu non seulement du chant cultuel, mais aussi du chant populaire ou du chant juif tout simplement.

La musique israélienne

L'histoire de la musique israélienne ne commence qu'après 1880, date de la migration massive de juifs en Palestine. En 1910 est fondée la première école de musique à Tel-Aviv ; en 1924 est créé le premier opéra « israélien » : les Pionniers de Jacob Weinberg (1879-1957) ; en 1936 naît le Palestine Symphony Orchestra (actuellement Israel Philharmonic Orchestra), créé par le célèbre violoniste Bronislav Hubermann ; puis, petit à petit, apparaissent toutes les autres institutions musicales israéliennes (festivals, concours internationaux, instituts, associations, etc.), dont l'une des dernières a été la création du concours international de piano Arthur-Rubinstein (1974).

La source d'inspiration des compositeurs israéliens est, dès le départ, multiple : la chanson populaire juive de l'Europe de l'Est, des éléments mélodiques de la cantilation biblique, ainsi que les traditions musicales des pays d'origine des compositeurs.

La vieille génération est représentée par des noms comme ceux de Salomon Rosowsky (1878-1962), Yizhak Edel (1896-1973), Joachim Stutschewsky (1891), Erich-Walter Sternberg (1891-1974), Joseph Kaminsky (1903-1972), Abraham Dazs (1902-1974), Karel Salomon (1897-1974), Mark Lavry (1903-1967), Alexandre Uria Boscovich (1907-1964) et, surtout, Paul Ben-Haim (1897), peut-être le compositeur le plus représentatif de l'école dite est-méditerranéenne. La caractéristique de cette école réside dans l'utilisation d'éléments de la cantilation biblique et des héritages folkloriques et traditionnels des peuples du Moyen-Orient, à savoir des mélodies mélismatiques, des rythmes compliqués et une saveur spéciale qui caractérise aussi bien la tradition israélienne que celle des pays avoisinants et même celle des pays comme la Grèce ou la Turquie. Tous les compositeurs cités de cette génération se partagent, en tout cas, deux types d'expression musicale : soit un style influencé par le folklore de l'Europe orientale, soit un langage imprégné par les traditions orientales citées plus haut. Toujours est-il qu'un certain style postimpressionniste et une tendance vers l'expressionnisme sont évidents.

Une transition est faite par certains compositeurs, comme Odoen Partos (1907-1977), qui, après avoir adhéré à l'école est-méditerranéenne, se tourne (dans les années 1960) vers le dodécaphonisme et la musique sérielle, créant une synthèse entre un expressionnisme évident et un approfondissement de la structure des musiques du Moyen-Orient.

La génération suivante est marquée par quelques compositeurs qui se sont efforcés de trouver une solution individuelle aux problèmes de l'expression musicale israélienne, créant une synthèse entre une musique d'avant-garde et des traditions du Moyen-Orient. Abel Ehrlich (1915) ou Zvi Avni (1927) sont, parmi d'autres, des représentants de cette tendance. Leur précurseur immédiat a été Joseph Tal (1910), qui fonde en 1961 le premier studio en Israël pour la reproduction de la musique électronique. Par ailleurs, les tendances actuelles sont représentées par des compositeurs comme Noam Sheriff (1935), Yehuda Yannay (1937), Michael Barolsky (1947) ou Ron Kolton (1951).