Moyen Âge

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Période de l'histoire du monde occidental que l'on situe communément entre la fin du ve siècle (chute de l'Empire romain) et celle du xve siècle (début de la Renaissance).

Par commodité, on distingue donc une période « médiévale » de l'histoire de la musique occidentale, bien que ces dix siècles ne forment pas spécialement une homogénéité par rapport à cette fausse cohérence que constituerait la Renaissance musicale. En effet, le renouveau de la Renaissance a été préparé et mûri de longue date, pendant ce « Moyen Âge » qui ne fut en aucune façon une ère de stagnation.

Ce qui nous reste de plus ancien de la musique médiévale provient de la tradition du « chant grégorien », du nom de saint Grégoire Ier, pape de 590 à 604, qui aurait réglementé le chant liturgique en posant les bases de cette expression musicale. Même s'il existait des musiques profanes et instrumentales, c'est la musique vocale religieuse qui nous est la plus connue, par les manuscrits et par la tradition liturgique qui s'est transmise. En outre, les monastères (monastère de Saint-Gall, abbaye Saint-Martial de Limoges) étaient alors les plus grands foyers de culture et de développement musical.

Le Moyen Âge voit se développer des formes nouvelles, outre celles propres au chant grégorien (séquences, tropes, proses, etc.), lesquelles sont basées sur la monodie. L'écriture polyphonique naît à travers des formes religieuses comme le conduit, le déchant, la copula, le gymel, l'organum, et, plus tard, le motet isorythmique, codifié par Philippe de Vitry. Au domaine du religieux se rattachent d'abord des formes comme le « jeu », représentation dramatique sacrée (Jeu de Daniel, Jeu d'Adam), qui se tourne ensuite vers des histoires profanes (Jeu de Robin et Marion d'Adam de la Halle). Les formes profanes lyriques sont représentées par la chanson (monodique) des trouvères, troubadours, ménestrels, Minnesänger et aussi par la ballade, le rondeau, le lai, le virelai et, plus tard, par la villannelle, la frottole, le madrigal florentin. La musique instrumentale existe déjà, appliquée surtout à la danse et au divertissement. Si l'orgue a été admis à l'église, c'est d'abord pour soutenir le chant, avant d'avoir son répertoire spécifique.

La polyphonie naissante constitue ses règles et sa tradition à travers des écoles : l'école de Notre-Dame, à Paris, avec Léonin et Pérotin, représentant la « vieille manière », l'Ars antiqua ; ensuite l'Ars nova avec Philippe de Vitry, Guillaume de Machaut, Francesco Landini, etc. ; puis l'école franco-flamande avec Dufay, Binchois ; et, à la faveur de la personnalisation de l'activité de composition, une riche floraison de créateurs portant la polyphonie vers toujours plus de complexité, de foisonnement (les réformes liturgiques de la Renaissance essaieront parfois de ramener cette luxuriance à plus de simplicité) : Josquin Des Prés, Ockeghem, Obrecht, Juan del Encina, etc.

Le développement des systèmes de « notation musicale écrite », avec les travaux de Hucbald, Otger, Guy d'Arezzo, est au cœur de l'évolution de la musique, depuis les neumes fixés vers le viiie siècle. C'est, d'abord, une notation mnémotechnique qui se perfectionne dans le sens de la précision par l'emploi de lettres, puis de lignes, en allant vers la « notation carrée » au xive siècle, et la « notation proportionnelle » des durées au xve siècle. La notation contribue à fixer les traditions musicales, à les propager par l'écrit, ainsi qu'à développer les notions d'« œuvre » et d'« auteur » et à favoriser une polyphonie plus complexe qu'on ne peut maîtriser qu'en passant par un stade d'écriture. Par contrecoup, la polyphonie aurait elle-même favorisé le passage de la pensée « modale » à la pensée « tonale » (afin d'éviter certains intervalles proscrits dans les superpositions, comme le triton).

La notation de la musique instrumentale, avec les systèmes de « tablature », favorise plus tard l'émancipation de cette musique. Ainsi, tout un vaste territoire musical se détermine, évolue, fixe ses règles, se communique en fonction de la notation écrite, ce qui n'empêche pas par ailleurs les musiques orales de continuer d'exister. Par définition, la tradition de ces dernières s'est perdue, ou a tellement évolué qu'il ne reste aujourd'hui rien de ce qu'elles étaient alors. Entre autres conséquences, la notation et la propagation écrite favorisent aussi la notion de « compositeur » en fixant son œuvre (cette notion existait depuis longtemps dans des arts tels que la littérature ou la peinture, qui produisaient déjà, eux, des œuvres durables et tangibles).

Enfin, malgré le cliché persistant qui veut que le Moyen Âge ait été une période de total obscurantisme, on n'attend pas la Renaissance pour réfléchir sur la musique et pour publier des traités de théorie et de spéculation musicale (cf. Boèce, Aurélien de Réomé, plus tard Philippe de Vitry, et le platonicien Marsile Ficin), qui ouvrent la voie aux spéculations des musiciens de la Renaissance sur une musique « à l'antique ». Ces ouvrages se réfèrent souvent, en effet, aux Grecs et aux Romains, non à leur musique, complètement disparue, mais à leurs écrits théoriques.

Un certain arbitraire dans la division de l'Histoire en « périodes » ramasse sous l'appellation de « Moyen Âge musical » dix siècles de nombreuses et complexes évolutions. Dans l'imaginaire de la musique occidentale, le Moyen Âge fait office de période des « origines » : les notions d'œuvre, d'auteur, de notes, de tonalité, de polyphonie, de musique instrumentale, etc., sont toutes nées dans ce temps-là. Mais seul l'éloignement dans le temps, qui en écrase les perspectives, nous fait percevoir cet espace de mille ans comme continu et linéaire.