Corée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

L'histoire musicale de la Corée est très liée à sa position géographique. Voisine de la Chine, en tout temps très puissante, elle a subi différentes invasions culturelles de cette dernière et a, de son côté, transmis les connaissances acquises au Japon. On perçoit cette influence aussi bien dans les formes musicales (musique de cour, rite confucianiste, musique rituelle bouddhique) que dans les instruments et la théorie musicale. Mais la Corée a, par ailleurs, réussi à maintenir ses propres traditions dans tous les genres et a adapté à sa culture les coutumes importées, par des modifications subtiles mais importantes (transformation des instruments, adjonction de danses à certains rites, éléments mélodiques et rythmiques tirés du folklore, technique vocale différente, etc.).

Les premières sources contenant des données sur la musique coréenne sont chinoises (San-Kuo Chih : Histoire des Trois Royaumes, 297) ; elles font état de rites et sacrifices chantés. D'autre part, des découvertes archéologiques attestent l'existence d'un certain nombre d'instruments chinois de la dynastie Han au ive siècle. Cette époque, « périodes des Trois Royaumes » (Koguryo, Paekche et Silla) s'étend de 57 à 668. Chaque royaume subit, selon son degré de proximité avec la Chine, l'influence plus ou moins grande de cette dernière, en particulier dans l'introduction des rites bouddhiques et l'usage des instruments. Ainsi, c'est dans l'État de Koguryo, très proche de la Chine, qu'est inventée la cithare komun'go, voisine du ch'in chinois. Dans le royaume de Paekche, on préfère tout d'abord la harpe (kung-hou), venue du Sud de la Chine. Quant au royaume de Silla, plus éloigné, il ne subira cette influence que plus tardivement. La musique et les instruments des Trois Royaumes sont déjà, à cette époque, présents à la cour du Japon.

La période suivante est celle du royaume de Silla (668-936). Grâce à une alliance de ce royaume avec la dynastie chinoise Tang, la Corée est unifiée et la musique de la cour Tang se répand, au détriment des cultures de Koguryo et Paekche, qui subsistent néanmoins. On éprouve, à cette époque, le besoin de distinguer la musique traditionnelle de la cour coréenne (hyangak) de la musique de cour chinoise (tangak). C'est aussi la période d'apogée de la musique bouddhique en Corée, et, sur les rites hérités de la Chine commencent à se greffer des particularités locales (style pomp'ae, par exemple).

La dynastie Koryo (936-1392)

. L'événement musical de cette période est l'établissement à la cour coréenne d'une musique rituelle chinoise, de rite confucianiste, appelée ah-ahk. Cette innovation est rendue possible par l'envoi par la dynastie chinoise Sung, en 1116, d'instruments et d'instructions adaptés à ce type de musique. On continue néanmoins à pratiquer à la Cour la musique nationale (hyangak) et celle héritée des Tang (tangak), mais cette dernière tombe peu à peu en désuétude au profit de la musique des Sung.

La première dynastie Yi (1392-1593)

. Cette période, pendant laquelle se développe la musique ah-ahk (épurée de tout élément étranger au rite confucianiste) au détriment des autres (musique tangak et rites bouddhiques), est surtout caractérisée par les progrès effectués dans la théorie et la recherche musicales. Le roi Sejong (1418-1450) crée le Département royal de musique et nomme à sa tête Pak Yon, qui perfectionne les styles musicaux et la théorie. Les instruments, arrivés à des époques différentes, sont accordés selon le hwang-tchong chinois ; on met au point un système de notation mesurée adapté aux valeurs de note irrégulières de la musique coréenne. Sous le règne de Songjong (1469-1494), se répand un système de tablature pour le komun'go (cithare dérivée du ch'in chinois). Enfin, paraît, en 1493, le premier traité musicologique coréen, le Akhak kwebum (Livre de musique), contenant des indications sur le système des modes, l'accord et le jeu des instruments, la disposition des membres de l'orchestre, la chorégraphie, les costumes…

La seconde dynastie Yi (1593-1910)

. La musique de cour, appauvrie par les guerres, disparaît presque complètement. On mêle les orchestres tangak et hyangak, ce qui provoque une déformation de la musique chinoise selon des critères coréens (structure métrique, ornementation, etc.). D'un autre côté, on assiste à une émancipation étonnante de la musique coréenne. L'aristocratie cultive la musique vocale poétique (kasa, kagok et sijo) et la musique folklorique est en plein essor, avec la diffusion du p'ansori (forme d'opéra à un acteur) et du sanjo (pièces instrumentales solo) par des musiciens itinérants (kwangdae). La musique rituelle bouddhique, bien que déclinante, est préservée dans quelques endroits isolés.

La Corée moderne

La colonisation japonaise en 1910 marque un déclin définitif de la musique de cour, avec la disparition de la musique ah-ahk. Après l'indépendance en 1945, est créé l'Institut national de musique coréenne (1951), qui, tout en formant des musiciens aux différentes traditions de la musique coréenne (à la fois aristocratique et folklorique), restaure et exécute la vieille musique de cour traditionnelle. La recherche musicologique se poursuit grâce, en particulier, à la Société de musicologie coréenne. De même qu'en Chine, des instruments occidentaux se sont répandus et les compositeurs nationaux se trouvent confrontés au même triple choix que leurs voisins chinois : œuvres de type coréen, œuvres de type occidental, ou œuvres mixtes (par ex., adaptation des instruments de l'une des deux cultures aux styles musicaux de l'autre).

Les instruments

La classification la plus courante est celle venue de Chine, d'inspiration confucianiste, qui consiste à grouper les instruments selon leur matière (huit catégories). Toutefois, le grand traité de musique coréen, le Akhak kwebum, les classe selon le type de musique qu'ils accompagnent. Seuls les plus usités figurent ici, et selon la terminologie occidentale.

Idiophones

On retrouve beaucoup d'instruments d'origine chinoise, à savoir un carillon de seize cloches (p'yonjong), un carillon de pierres (p'yon'gyong), le o (instrument de bois en forme de tigre), des claquettes de bois (pak). Les gongs sont de bronze (ching) ou de bois (mokt'ak). Ils servent surtout, ainsi que les cymbales (para), à accompagner les rites bouddhiques.

Membranophones

L'instrument de cette catégorie le plus usité est le changgo (tambour en forme de sablier), qu'on retrouve dans presque tous les types de musique coréenne. Parmi les tambours en tonneau, citons surtout le puk (pour la musique bouddhique), le cholgo, le chingo, le nogo et le nodo.

Aérophones

Parmi les flûtes les plus fréquemment utilisées, on trouve le taegum (flûte traversière à six trous) et dans la même famille le chi ; parmi les flûtes droites, on emploie surtout le tanso, puis le yak et le chok. On trouve aussi une flûte de pan, le so, et un ocarina de terre, le hun. Pour les anches, l'instrument typique est le p'iri, sorte de hautbois de bambou, et ses dérivés, le tangp'iri et le hyangp'iri ; le t'aep'yongso, en bois, n'est utilisé que dans la musique rituelle bouddhique, de même que les rares types de trompette, le nap'al (longue trompette de métal) et le nagak (conque).

Cordophones

Les plus courants sont des cithares, le komun'go (six cordes) et le kayago ou kayakeum (douze cordes) surtout, l'ajaeng (sept cordes), le kum et le sul ; on trouve aussi un violon à deux cordes, le haegum.

Les formes musicales

On peut les classer en quatre sections : musique de cour, musique rituelle bouddhique, musique vocale élaborée et musique folklorique. Pour les deux derniers types, plus véritablement coréens et de vogue plus tardive, nous disposons d'informations assez récentes. Quant aux deux premiers, fortement influencés par les traditions chinoises, ils se sont appauvris et ce qui en subsiste est souvent assez éloigné des formes originales.

Musique de cour

Elle se divise en trois catégories. La première, ah-ahk, qui désignait auparavant toute musique rituelle d'origine chinoise, ne comprend maintenant que la musique des rites confucianistes selon la tradition chinoise (instruments, danses…), ce qui explique l'écriture heptatonique de la mélodie. La deuxième, tangak, désignait d'abord, comme son nom l'indique, la musique chinoise de la dynastie Tang, importée en Corée dès le viie siècle ; le terme s'est peu à peu étendu à toute forme de musique chinoise introduite à la cour coréenne depuis la dynastie Tang. Uniquement instrumentale maintenant, elle comporte des éléments typiquement chinois (échelles et rythmes), mais qui ont toutefois subi des transformations locales. La troisième catégorie, enfin, appelée hyangak, inclut toute la musique de cour d'origine coréenne ainsi que la musique chinoise antérieure à celle des Tang. Elle emploie des instruments indigènes, tels que les cithares komun'go et kayago et le tambour changgo. Une grande partie de cette musique de cour est perdue.

Musique rituelle bouddhique

Elle est surtout constituée de chants, qui sont de trois sortes. Le plus simple est le sutra, invocation syllabique accompagnée seulement du gong de bois (mokt'ak). Le pomp'ae, chant rituel d'origine chinoise, est de loin le genre le plus important. Il est écrit sur des textes chinois en vers et est exécuté avec un rythme libre extrêmement lent, à tel point que la longueur de la partie musicale sur chaque syllabe de texte en empêche bien souvent la compréhension. Indépendamment de ses voisins chinois et japonais, la Corée a développé deux styles de pomp'ae, le hossori pomp'ae et le chissori pomp'ae. Ils diffèrent l'un de l'autre, d'abord par des variations dans la technique vocale et la structure mélodique, mais surtout par leur durée, le second étant beaucoup plus long, plus élaboré et plus orné que le premier. C'est le type de chant le plus important du rite bouddhique coréen. Le type hossori est exécuté sous forme de solo, de chant responsorial ou choral, parfois accompagné d'une danse et d'un petit ensemble instrumental. Le type chissori, homophonique, n'est exécuté que par un chœur à l'unisson. Le dernier type de chant, le hwach'ong, dans la langue vernaculaire, s'inspire beaucoup d'éléments folkloriques coréens (forme poétique, style de chant, structure rythmique et technique vocale). Il a probablement été créé dans le but de répandre les rites bouddhiques dans le peuple. Il est chanté par un soliste qui ponctue ses phrases sur un petit gong et est accompagné d'un tambour (puk).

Il existe quatre danses rituelles bouddhiques (chakpop), qu'on ne trouve qu'en Corée. Elles sont accompagnées d'un petit orchestre à l'extérieur du temple, constitué essentiellement d'aérophones (instruments à anche et trompettes) et de percussions (gongs, tambours, cymbales).

Musique vocale

On distingue trois types principaux. Le kasa est une sorte de longue chanson narrative, accompagnée d'ordinaire du tambour changgo ou d'un petit ensemble instrumental. On y décèle une forte influence de la musique folklorique (mode, style de voix, etc.). Les deux autres, kagok et sijo, sont des poèmes lyriques. Le kagok, plus élaboré et plus long, utilise un orchestre similaire à celui de la musique de cour hyangak, et le poème est agrémenté d'un prélude, interlude et postlude instrumentaux. Le sijo, dont la mélodie est tritonique, n'est accompagné que du tambour changgo. Là, comme dans le pomp'ae bouddhique, l'étirement de chaque syllabe rend la compréhension du texte impossible.

Musique folklorique

Le type le plus populaire est une sorte d'opéra, le p'ansori, mettant en scène un acteur, qui exécute le drame par la récitation, le chant et le mime. Il est accompagné uniquement d'un tambour (puk), indiquant les schémas rythmiques. La partie de chant, de loin la plus importante, nécessite un timbre vocal lourd et rauque très particulier, et d'autant plus difficile à maintenir pour l'exécutant que le spectacle dure entre quatre et huit heures. Le p'ansori date probablement du début du xviiie siècle, et, au xixe siècle, une tentative de codification et de réforme a été faite par Sin Chae-hyo, mais avec peu de succès.

Il existe également en Corée une tradition de musique instrumentale solo, le sanjo. Formellement établies depuis le xixe siècle, les pièces, transmises oralement, sont exécutées en général sur le kayago, mais aussi sur le komun'go et le taegum, accompagnés sur le tambour changgo. Leur structure est indiquée par six schémas rythmiques, définissant six mouvements, dont les plus rapides nécessitent une technique instrumentale de virtuose. La mélodie suit ces variations de mouvement et s'y conforme esthétiquement.

Bien que fortement influencée par la Chine, la musique coréenne a su, de tout temps, garder une certaine autonomie. C'est particulièrement frappant en ce qui concerne la matière musicale pure : la mélodie est basée sur des échelles tritoniques, tétratoniques ou pentatoniques, les rythmes sont irréguliers et le style d'ornementation et les techniques vocales lui sont très particulières. Il semblerait en fait que la pénétration chinoise n'ait été efficace qu'au niveau des formes musicales (musique de cour et musique rituelle bouddhique) et des instruments, qui, néanmoins, ont pu préserver une certaine indépendance locale.