Johann Wolfgang von Goethe

Goethe
Goethe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain allemand (Francfort 1749 – Weimar 1832).

Fils d'une famille bourgeoise aisée, il commence très tôt à écrire. Ses études de droit le mènent à Leipzig, puis à Strasbourg (1770-1771), où Herder lui révèle Shakespeare, Homère, Ossian, la poésie populaire. Une brève idylle avec la fille du pasteur de Sesenheim rendra célèbre le nom de Frédérique Brion.

L'expérience de la cour

Licencié en droit, Goethe devient conseiller à la Cour suprême du Saint Empire à Wetzlar. Là, il s'éprend de Charlotte Buff. Mais elle est fiancée. Goethe s'efface. Le cœur meurtri, d'un seul jet, il écrit en un mois un court roman : les Souffrances du jeune Werther (1774). L'ouvrage a un succès prodigieux dans toute l'Europe. Au moment précis où Frédéric II, roi de Prusse, vient de dire qu'il n'y a pas de littérature allemande digne de ce nom, Goethe lui inflige le démenti le plus retentissant : l'Allemagne prend place dans la littérature universelle. Goethe s'essaie également au drame. Déjà, en 1773, il a publié une chronique historique dramatisée dans le style shakespearien, Goetz von Berlichingen. Il ébauche, entre autres, Prométhée, un premier Faust, commence Egmont, publie des tragédies en prose (Clavigo, 1774 ; Stella, 1776) et écrit des farces comme Satyros (1774) ou les Noces de Hanswurst (1775).

À l'automne de 1775, il est invité à la cour de Saxe-Weimar pour y être l'ami, le confident, le collaborateur du jeune duc. Bien accueilli, il s'installe à Weimar où il restera jusqu'à la fin de ses jours, assumant des charges gouvernementales aussi diverses qu'accaparantes : guerre, finances, mines, ponts et chaussées ; par la suite, il se consacrera plus spécialement aux questions culturelles, notamment au théâtre de la cour, qu'il dirigera de 1791 à 1817. Il collectionne décorations et titres, sera anobli en 1782 et nommé ministre d'État en 1815. À Weimar, Goethe prend ses distances envers le Sturm und Drang, le préromantisme allemand, mais aussi vis-à-vis de la littérature en général. Attentif aux réalités, plus riches que toute fiction, il s'initie à l'administration, à l'exploitation minière, à la géologie, à la botanique. D'une femme de qualité, plus âgée que lui, Mme von Stein, il apprend la modération, la patience, le renoncement, la maîtrise de soi. Il vantera le mérite de ceux qui travaillent sans relâche à parfaire en eux-mêmes le type de l'humanité accomplie. Toute sa vie, il se méfiera de ceux qui aspirent à changer la face du monde. Ni en géologie, ni en biologie, ni dans le devenir des sociétés, il ne croit aux bouleversements : l'évolution se fait lentement, à petits pas. L'unité de mesure de l'échelle des temps, c'est la génération.

Le retour à l'écriture

Mais Goethe voit son temps s'émietter à Weimar dans des tâches subalternes. Il rompt sa chaîne (sept. 1786) et va passer deux ans en Italie, d'abord à Rome. Là, enfin, il vit : en touriste, en amateur éclairé, en homme de loisir. Il dessine, peint ; il lui revient l'envie d'écrire. Il récrit en vers son Iphigénie en Tauride, termine son Egmont et reprend plusieurs autres ébauches. De retour à Weimar, il termine le drame en vers Torquato Tasso (1789), publie un fragment du Faust (1790), et entreprend ses Élégies romaines. Il ne néglige pas pour autant ses travaux scientifiques, auxquels il attache la plus haute importance. Métamorphose des plantes, ostéologie et paléontologie, généalogie, minéralogie, météorologie, théorie de la perception des couleurs : dans tous ces domaines, il est bien plus qu'un dilettante. Sa découverte de l'os intermaxillaire, qui relie la lignée humaine aux lignées animales, le range au nombre des transformistes précurseurs de l'évolutionnisme de Darwin. Son activité scientifique se fonde essentiellement sur une critique de l'analyse newtonienne et du rôle des mathématiques, auxquelles il oppose une saisie directe de la nature et des formes organiques (il crée, en 1822, le mot morphologie). Depuis 1788, Christiane Vulpius (1765-1816) partage l'existence de Goethe : il l'épousera en 1806. Sur les cinq enfants qu'ils auront, seul survivra Auguste von Goethe (1789-1830). Aux côtés du duc de Weimar, Goethe participe en 1792-1793 à la Campagne de France. Goethe raconte avoir assisté à la bataille de Valmy et avoir dit ce soir-là : « De ce lieu, de ce jour commence une ère nouvelle de l'histoire universelle, et vous pourrez dire : j'y étais. » La même année, il écrit en hexamètres classiques l'épopée Renard le goupil en 12 chants.

En 1795-1797, il publie les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister que certains considèrent comme le plus grand roman de langue allemande. Il est le modèle d'un nouveau genre, le Bildungsroman, le roman d'une éducation par la vie, l'aventure et l'expérience, ou comment un adolescent devient un homme fait. À cette époque, Goethe doit beaucoup à Schiller, de dix ans son cadet, qui vient de s'établir à Iéna, non loin de Weimar, comme professeur d'histoire à l'université (1788). Les dix années de leur amitié, de 1794 à la mort de Schiller en 1805, sont marquées, pour l'un comme pour l'autre, par une série d'œuvres littéraires achevées dont on suit l'élaboration dans leur correspondance. Ils fondent ainsi l'âge classique allemand, que définit et résume le nom de Weimar. Goethe écrit alors de nombreux poèmes, en particulier des ballades, ainsi que l'épopée bourgeoise Hermann et Dorothée (1797). Mais surtout il puise dans cette amitié la force de remettre en chantier et de terminer la première partie de Faust, qu'il publie en 1808. En 1809, le roman les Affinités électives ne connaît qu'un succès d'estime. De 1811 à 1822, Goethe fait paraître ses souvenirs d'enfance et de jeunesse sous le titre Poésie et Vérité. Il publie également ses souvenirs du Voyage en Italie (1816-1817) et de la Campagne de France, ainsi que les Années de voyage de Wilhelm Meister (1821-1829).

Tout au long de sa vie, Goethe a, comme il dit, des « bouffées de puberté » à répétition : il traverse alors une phase d'expression lyrique. La première, c'est l'époque de ses idylles de jeunesse : il cultive un style lyrique simple et proche du lied populaire. La seconde, c'est à 37 ans, à l'occasion du séjour en Italie, où il découvre la sensualité de la nature méditerranéenne : ses Élégies romaines (1795) sont un chef-d'œuvre de la poésie classique. À 65 ans, une idylle encore lui inspire le cycle du Divan occidental-oriental (1819). L'Élégie de Marienbad (1823) reflète l'échec de son amour pour Ulrike von Levetzow.

Le second Faust, auquel il travaille jusqu'à la veille de sa mort, couronne et résume l'œuvre de cette longue existence. Il représente ce qu'on peut appeler la sagesse de Goethe. Faust n'est plus un individu, c'est l'humanité elle-même dans sa séculaire aventure. Le second Faust (et à travers lui Goethe) se situe à l'articulation d'où surgit un monde moderne, à l'aube de la révolution industrielle. Né à l'ombre du médiéval Saint Empire, Goethe est à la fin de sa vie le contemporain des premiers chemins de fer.

Le Sage de Weimar

Le prestige de Goethe est immense. À Weimar, on vient de l'Europe entière voir « le plus grand écrivain allemand », le sage, l'Olympien. Il se prête à ce rôle et s'en amuse. En 1808, Napoléon lui accorde audience à Erfurt, lui confère la croix de la Légion d'honneur et déclare : « Voilà un homme. » Goethe écrit, ou plutôt il dicte beaucoup : des critiques littéraires et scientifiques, de nombreux essais, d'innombrables lettres. Sa correspondance est une partie importante de son œuvre. De 1823 à 1832, il reçoit à de très nombreuses reprises Johann Peter Eckermann, qui publiera Entretiens avec Goethe pendant les dernières années de sa vie (1836-1848).

Laborieux, Goethe passe une bonne partie de son temps à classer ses collections, à faire de sa demeure un musée ; il revoit ses manuscrits, met au point l'édition définitive de ses œuvres, brûle ce qu'il n'a pas l'intention de laisser à la postérité. Il parachève le dessin de sa propre figure. Il le fait sans complaisance, pour porter témoignage de ce que fut, comme disait Napoléon, « un homme », exceptionnellement doué, pas seulement dans le domaine des lettres, un homme de bonne foi et de bonne volonté, conscient de sa valeur, mais n'en tirant nulle vanité, qui a eu sa part de chance, de succès, d'échecs aussi. Quelques semaines avant sa mort, il dit à son confident Soret : « Qui suis-je ? Qu'ai-je créé ? J'ai tout reçu, tout accueilli, assimilé tout ce qui passait à ma portée. Mon œuvre est celle d'un être collectif qui porte ce nom : Goethe. »

Götz von Berlichingen, drame en 5 actes (1771-1773). Götz, le « chevalier à la main de fer », défend la personnalité créatrice qui se fixe sa propre loi ; mais en même temps, en se mettant à la tête des paysans révoltés, il se fait le défenseur des droits des opprimés. Cet individu hors du commun, transposition dans le domaine de la pratique sociale du personnage idéal de l'époque, du « génie », se heurte à la « marche nécessaire du tout », c'est-à-dire de la société régnante. Il succombe à la force supérieure des institutions, de la noblesse de cour et du droit romain incarnés par son adversaire Adelbert von Weislingen. Le conflit tragique devient un conflit social, ce qui se traduit aussi dans la forme du drame qui néglige les unités de lieu et de temps et dissout l'action en une succession de courtes scènes donnant ainsi un panorama d'une époque en même temps qu'il exprime la liberté du créateur. Cette forme, inspirée à Goethe par la lecture de Shakespeare, a fait de Götz le modèle d'une longue série de pièces exprimant la critique de la société, qui va des drames du Sturm und Drang au drame naturaliste.

Werther (les Souffrances du jeune). Ce roman épistolaire, écrit par Goethe à l'âge de 25 ans, est publié d'abord sans nom d'auteur à Leipzig en 1774. Le succès en fut prodigieux : l'Europe fut envahie par une mode « werthérienne ». Napoléon affirma l'avoir relu six ou sept fois. Le « werthérisme » fit des ravages et provoqua de nombreux suicides « à la Werther ». À l'origine, une expérience personnelle de Goethe, qui, passant trois mois à Wetzlar, s'était épris de Charlotte Buff, la fiancée de son ami Kestner. Rentrant à Francfort amoureux, ou – qui sait ? – amoureux de l'amour, il apprend qu'un jeune homme qu'il a rencontré à Wetzlar, Karl Wilhelm Jerusalem, amoureux sans espoir d'une femme mariée, s'est tué d'un coup de pistolet. L'amalgame de sa propre aventure et de celle de Jerusalem lui met la tête en feu. Comme dans une transe somnambulique, en six semaines Goethe écrit d'un trait et sans ratures ce petit roman. Surpris le tout premier de ce succès, l'auteur marqua curieusement un certain malaise : « Ce livre m'est pénible, et je crains toujours d'éprouver à nouveau l'état pathologique où il a pris naissance », confiera-t-il plus tard. Encore en 1824, il écrit À Werther pour se libérer de l'ombre de son héros romantique.

Wilhelm Meister, roman, composé de deux parties : les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister (1796) et les Années de voyage de Wilhelm (1821). Dans le premier de ces ouvrages, le héros, jeune bourgeois qui se croit appelé à rénover le théâtre allemand, se mêle à une troupe de comédiens. Ce thème s'enrichit d'épisodes sentimentaux, dont le plus célèbre est l'aventure de Wilhelm et de Mignon. À la fin de ce premier roman, Wilhelm découvre le château des Sages qui lui proposent les maximes de conduite auxquelles il se conformera. Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister, qui ouvrent de larges horizons sur les conceptions de Goethe en matière de religion, d'art et de morale, constituent le modèle du roman de formation (Bildungsroman). La deuxième partie, les Années de voyage, raconte comment Wilhelm Meister fait l'éducation de son fils Félix. L'ouvrage marque l'évolution de la pensée de Goethe vers un idéal social influencé par les idées de J.-J. Rousseau, de Pestalozzi et du groupe français du « Globe ».

Les Affinités électives (1809). Le couple formé par Charlotte et Édouard est détruit par l'arrivée du Capitaine de la famille et d'une jeune fille, Ottilie. En un chassé-croisé, la passion d'Edouard pour Ottilie, et celle du Capitaine pour Charlotte détruisent les normes apparemment solides du mariage. Edouard et Ottilie se donnent la mort en refusant de s'alimenter. L'intrigue se déroule dans le milieu de la noblesse terrienne dilettante et oisive : les forces irrationnelles du mythe font irruption dans l'espace dont précisément le mouvement bourgeois des Lumières avait fait le lieu exemplaire de son optimisme social fondé sur la vertu. La vie humaine se révèle au regard mélancolique de Goethe comme un phénomène de nature, dont la force de destruction élémentaire brise l'ordre social. Seuls le renoncement et la mort permettent d'échapper à cette déchéance. Le roman finit sur l'apothéose de la jeune femme, métamorphosée en « enfant divin ». En empruntant son titre au langage des sciences naturelles, Goethe a voulu indiquer qu'il « n'y a partout qu'une seule nature et que les traces d'une nécessité sombre et passionnée parcourent aussi sans répit le royaume bienheureux de la libre raison ». Cette conception détermine également la forme symbolique du roman. Comme dans une expérience de chimie, le couple formé par Charlotte et Édouard est mis en relation avec le Capitaine et Ottilie, et l'on observe la réaction de ces différents éléments. D'où le caractère clos du roman et sa cohérence résultant de l'abondance des indications symboliques.

Le Divan occidental-oriental, recueil poétique (1819, augmenté en 1827). Composé entre 1814 et 1819, sur le modèle du Diwan du poète persan Hafiz, il est accompagné de remarques savantes (« Notes et Dissertations ») qui tendent à montrer dans l'Asie la source de toute morale, de toute croyance, de toute sagesse, de toute poésie. La rencontre d'une femme de trente ans, Marianne von Willemer, a réveillé chez le poète la sensibilité poétique. Il se replonge dans les textes orientaux, la Bible, le Coran, les poètes de la Perse. Il se grime en Hafiz, Marianne se costume en Suleika. Goethe allie les plaisirs de l'intelligence et du verbe, de la sensualité et du mysticisme, de l'érudition et du lyrisme. Par un jeu savant de correspondances, l'œuvre fait se rencontrer l'Orient et l'Occident, le passé et le présent, les impressions fugitives et les vérités dernières. Trop raffiné pour l'époque romantique, le Divan ne rencontra en son temps aucun écho.

Faust, tragédie. Le mythe de Faust est parvenu à Goethe par deux voies, d'une part par la tradition populaire (théâtre de marionnettes) violemment combattue par les tenants des Lumières (Gottsched), de l'autre par la tentative de Lessing de « sauver » Faust en en faisant un héros de la recherche de la vérité (fragment de 1759). L'œuvre de Goethe a connu une gestation difficile, par étapes successives : première version en 1774 (Urfaust), découverte en 1887 ; Faust, ein Fragment (1790) ; Faust I (1808) ; Faust II, terminé en 1831 et mis sous scellés, publié après la mort de Goethe en 1832. Elle aura donc occupé toute la vie créatrice du poète. D'innombrables problèmes esthétiques ont surgi de ce sujet considéré par l'auteur lui-même comme un « spectre nordique » échappant à toutes les règles dramatiques. Au début, il y a conjonction de deux thèmes chers au Sturm und Drang : la nouvelle pensée prométhéenne incarnée par Faust et le thème à la mode de la fille-mère infanticide. Le seul lien entre la tragédie du savant et la tragédie de Marguerite est Méphistophélès, l'entremetteur par excellence. Intermédiaire ironique, le diable le sera jusqu'au bout. Une fausse traduction de la Bible (« Au commencement était l'action ») poussera le savant, à l'instigation du diable, à quitter sa tour d'ivoire pour se saisir du « monde ». La première partie de l'œuvre se termine sur le drame et la mort de Marguerite. La seconde partie, l'œuvre la plus énigmatique de Goethe, verra Faust ministre, inventeur des assignats (avec l'aide du diable), époux de la belle Hélène (mariage du monde germanique avec l'Antiquité), chef d'une armée, dompteur des éléments et fondateur d'un nouvel État. Il meurt insatisfait (image de la soif de vérité non dogmatique des Lumières), mais son âme sera sauvée par l'amour de Marguerite. Goethe a ainsi fait d'un canevas du théâtre populaire la tragédie de l'humanité entière, née du divorce entre la pensée et l'action.

Goethe
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Johann Wolfgang von Goethe, Der Gott und die Bajadere
Johann Wolfgang von Goethe, Der Gott und die Bajadere