autobiographie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Le terme est apparu en Allemagne et en Angleterre vers 1800, puis a été introduit en France une trentaine d'années plus tard. Stricto sensu, l'autobiographie serait « la vie d'un individu racontée par lui-même » (Larousse, 1866), qu'il soit écrivain ou non. Les Confessions posthumes de Rousseau (1782-1789) sont vite apparues comme le modèle du genre : un homme, au soir de sa vie, récapitule son histoire, la fait revivre, tente de lui trouver une unité et un sens. Le journal intime, qui apparaît à la même époque, est destiné à faire le point sur soi-même, et pour soi seul, au jour le jour ; l'autobiographie, elle, est un bilan qu'on propose à ses contemporains et à la postérité par la voie du livre.

Lato sensu, le mot « autobiographie » englobe tout texte dans lequel le lecteur suppose que l'auteur exprime son expérience, qu'il se soit engagé ou non à le faire : « œuvre littéraire, roman, poème, traité philosophique, etc., où l'auteur a eu l'intention, secrète ou avouée, de raconter sa vie, d'exposer ses pensées ou de peindre ses sentiments » (Vapereau, 1878). Ce sens très élastique correspond à la personnalisation croissante de l'écriture depuis le romantisme et à la curiosité accrue du public pour le domaine privé. La vulgarisation de la psychanalyse et la fréquence des interventions des écrivains dans les médias contribuent aujourd'hui à les faire lire dans l'« espace autobiographique ».

Étapes et modèles

Le phénomène autobiographique est essentiellement moderne et occidental. Il est lié aux civilisations chrétiennes, à la montée de l'individualisme et à la prise de conscience de l'historicité en Europe depuis la Renaissance. C'est à partir de la seconde moitié du xviiie s. que la production est devenue significative : en Amérique, les Mémoires de Benjamin Franklin (rédigés de 1771 à 1788) ; en Suisse, le Pauvre Homme du Toggenburg de Bräker (1788) ; en Italie, la Vie d'Alfieri (1790) ; en Angleterre, les Mémoires de Gibbon (1796) ; en Russie, la Chronique de famille d'Aksakov (1852).

Cependant, l'autobiographie s'enracine dans des genres plus anciens :

– Les confessions, ou autobiographies spirituelles – à la source desquelles on trouve celles de saint Augustin (397-401) ou certains textes médiévaux, comme l'Historia calamitatum d'Abélard (vers 1129) –, se sont épanouies surtout dans l'Europe de la Renaissance et de la Réforme : en Espagne, la Vie de Thérèse d'Avila (1561-1565) ; en France, les Vies d'Antoinette Bourignon (1683), de Marie de l'Incarnation (1677) et de Mme Guyon (1720) ; en Angleterre, au xviie s., les autobiographies de puritains, et en Allemagne, au xviiie, celles des piétistes. Attention à la forme d'une destinée individuelle, pratique de l'introspection, expression lyrique des sentiments intimes, récit d'un parcours jalonné d'erreurs, de recherches et d'épreuves, mais éclairé par une conversion finale : ces traits figurent dans les autobiographies religieuses (celle, par exemple, de Thérèse de Lisieux, en 1898), mais aussi dans bien des récits modernes d'itinéraires profanes.

– Les Mémoires, d'abord liés à l'historiographie officielle (comme les chroniques médiévales), puis aux prétentions des grandes familles nobles établissant leurs droits par le récit de leurs actions, se sont élargis, à partir du xviie s., à une peinture psychologique et sociale de la Cour. Même si les chefs-d'œuvre du genre (Retz et Saint-Simon) datent des xvie et xviiie s., les Mémoires se sont quantitativement beaucoup développés depuis le xixe : on a pris goût à leur lecture et l'élargissement des couches dirigeantes a entraîné une multiplication des témoignages ou des apologies de vie politique ou militaire. Bien qu'ils se distinguent en théorie, Mémoires et autobiographie sont souvent confondus, et certains écrivains, tels Chateaubriand (Mémoires d'outre-tombe, 1848) ou Malraux (Antimémoires, 1966 ; la Corde et les Souris, 1976), ont organisé leur récit autour d'une confrontation entre le Moi et l'Histoire.

– Les livres de raison, livres de comptes des familles bourgeoises depuis le xvie s., sont parfois devenus le noyau d'autobiographies familiales manuscrites, transmettant aux générations successives l'histoire de la lignée et les exemples à suivre (ainsi les Mémoires de Jean Maillefer, marchand à Reims au xviie s., publiés en 1890, ou les chroniques des familles protestantes chassées de France en 1685). Cette littérature souterraine, le plus souvent normative, n'est connue du public qu'après coup, et très fragmentairement. Les livres de raison des xviie et xviiie s. n'ont été publiés qu'à partir de 1870. Depuis peu, on découvre les autobiographies familiales du xixe s. (Mona Ozouf, la Classe ininterrompue, 1979), tandis que l'allongement de la durée de la vie et les loisirs de la retraite favorisent ce genre d'écriture.

– Les biographies, ou récits de carrière, donnent en modèle les accomplissements sociaux les plus divers (on a commencé, au xviiie s., par les vies d'auteurs) : à l'origine, bien des textes « autobiographiques » ne sont que la prise en charge par l'intéressé lui-même du modèle biographique, menant de la vocation à la réussite.

– À ces différentes traditions il faut en ajouter de plus littéraires. D'une part, l'autoportrait (Cardan, Vie, 1575-1576 ; Montaigne, Essais, 1580-1595) : en quête d'une identité problématique, l'écrivain procède à un inventaire mental dans lequel il rassemble autant l'image de son époque que sa figure propre – tradition reprise sur le mode critique dans Roland Barthes par Roland Barthes (1975). D'autre part, le roman à la première personne, depuis le roman picaresque jusqu'au roman-mémoire du xviiie s., où s'est élaborée la forme du récit de formation ou Bildungsroman. De fait, le roman autobiographique a précédé l'autobiographie.

Éléments d'une problématique

Les Confessions de Rousseau ont ouvert un nouvel espace en mettant au centre du récit autobiographique la double question : « Qui suis-je ? Et comment suis-je devenu moi ? » Dans un long préambule écrit en 1764, l'auteur a exploré la problématique du genre, anticipant la plupart des discussions qui entoureraient des œuvres majeures, de la Vie de Henry Brulard (écrite en 1835-1836) de Stendhal jusqu'aux sommes d'un Claude Roy (Moi je, Nous et Somme toute, 1969-1975).

Telle qu'elle a été pérennisée par l'usage, l'autobiographie repose sur la reconstitution des événements qui ont censément structuré le sujet qui se les remémore, se retournant sur son passé pour l'interpréter et tenter de discerner en quoi il a conditionné sa personnalité. Dans cette optique, l'écriture est balisée de repères qui aident à orienter, chronologiquement et sémantiquement, une existence dont le sens (i.e. signification et direction) reste opaque : il s'agit de fixer l'identité et de la rendre appréhensible, de l'objectiver en établissant la valeur du moi et son unité. C'est par le retour en arrière que doivent en principe être éclairées des lignes de cohérence et de continuité dans les faits rapportés et dans le portrait qu'ils servent à réaliser. Autant dire que l'effort de restitution confine au dévidage de la bobine des Parques, car, au fond de toute autobiographie, il y a une méditation sur le destin et le désir de lui échapper en s'engendrant soi-même, en devenant, par l'écriture, sa propre cause.

Dans cette quête de l'origine, le récit d'enfance représente pour l'individu ce que le mythe est pour les civilisations. La formule de Wordsworth, « The child is father to the man », pourrait être le postulat de bien des autobiographes, à commencer par Rousseau, qui raconta en détail son enfance, découvrant dans ses conflits et ses émotions des traits dont il voyait bien qu'ils étaient le produit d'une histoire, mais qu'il envisageait en même temps comme une nature – à cause de la valeur qu'il leur attribuait et de leur permanence dans sa vie ultérieure.

Cependant, le mot de Wordsworth peut s'inverser. L'adulte engendre l'enfant à son image : on ne saurait tout se rappeler, ni retrouver le passé en soi, si bien qu'on choisit et qu'on déforme, soumettant par là même l'existence à un schéma rétrospectif unificateur. C'est pourquoi Leiris, dans la Règle du jeu (1948-1976), souligne que son entreprise est mue par « un vif besoin de ruiner l'architecture logique » du cartésianisme. Parce que la restitution du vécu est faussée par l'écart temporel, l'imaginaire et le référentiel tendent de plus en plus à être mis sur le même plan. Doubrovsky crée ainsi le concept d'« autofiction » (Fils, 1977), tandis que, à l'image de ce qu'il avait fait pour le Nouveau Roman, Robbe-Grillet signale des convergences entre Enfance de Sarraute (1983), l'Amant de Duras (1984) et sa propre trilogie autobiographique, intitulée Romanesques (1984-1994). Prenant le contre-pied du Pacte autobiographique défini par Lejeune (1975) et se donnant pour contre-exemple les Mots de Sartre (1964), Robbe-Grillet propose une « Nouvelle Autobiographie » caractérisée par l'incertitude, l'invention et la mobilité, et non par la fidélité à un réel prétendument objectif.

Il serait vain, néanmoins, de juger l'autobiographie selon les seuls critères de l'Histoire. L'important est sans doute que l'auteur vise authentiquement la vérité de son passé, même si, en cherchant ce qu'il fut, il révèle la vérité de ce qu'il est. La tension entre le désir et la possibilité indique bien que l'identité ressortit à la croyance et non à la réalité. Le récit autobiographique est souvent le moyen d'un autoportrait indirect. Aussi est-il possible d'écrire plusieurs versions sincères d'un même événement, dès lors qu'on a changé (Jean Massin, le Gué du Jabocq, 1980). La subjectivité du regard rétrospectif est source de diffraction : le sujet qui se pense n'est pas en mesure de tout élucider. La psychanalyse est passée par là, qui a dévoilé la complexité et les zones d'ombre du fonctionnement mental. Pourtant, contrairement à ce que l'on aurait pu attendre, cette même psychanalyse, en aidant à la libération de la parole et en légitimant l'attention portée par chacun à sa propre histoire, n'a fait, malgré elle, que conforter la conception d'un moi plein, autonome et consistant, capable de se connaître au motif qu'il dit je. De là un « retournement » de l'expérience analytique (Leiris, l'Âge d'homme, 1939 ; Perec, W ou le souvenir d'enfance, 1975), qui prend parfois la forme du récit de cure enclenchant un récit de vie (Manceaux, Grand Reportage, 1980).

Souvent soupçonné de narcissisme, l'autobiographe est quelqu'un qui veut rétablir une communication, léguer une expérience particulière, voire donner à chacun une « pièce de comparaison » pour se juger lui-même. Dans ce cadre, il lui est possible de transgresser les règles de la société en étalant ce qu'il est d'usage de considérer comme honteux ou interdit. Rousseau a levé le voile sur sa vie sexuelle et, si l'impudeur de Mme Roland, de Rétif de La Bretonne ou de Casanova ne fut guère imitée par la suite (les autobiographies du xixe s. sont d'une discrétion toute victorienne), c'est par le biais de la dissidence homosexuelle qu'au xxe s., l'aveu puis la revendication de la sexualité se sont fait jour dans les textes autobiographiques (Gide, Si le grain ne meurt, 1926 ; Jouhandeau, De l'abjection, 1952 ; Leduc, la Bâtarde, 1964). En effet, vis-à-vis de l'idéologie, le récit autobiographique peut prendre une fonction critique, en permettant à la différence de s'exprimer. C'est ainsi que la collecte et l'analyse des autobiographies orales, d'abord pratiquées par les sociologues et les ethnologues (Lewis, les Enfants de Sanchez, 1963), puis par les historiens, ont engendré des livres-témoignages où parlent ceux dont la voix est d'habitude étouffée (Charrière, Papillon, 1969 ; Destray, la Vie d'une famille ouvrière, 1971 ; Blasquez, Gaston Lucas, serrurier, 1976). Parallèlement, le développement des entretiens radiophoniques (Claudel, Mémoires improvisés, 1954) a induit de nouvelles formes, dont le livre-entretien (Butor, en particulier).