Edmond et Jules Huot de Goncourt

Paul Gavarni, Jules et Edmond de Goncourt
Paul Gavarni, Jules et Edmond de Goncourt

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivains français : Edmond (Nancy 1822 – Champrosay 1896) et Jules (Paris 1830 – id. 1870).

Célèbres aujourd'hui parce qu'une académie et un prix littéraire portent leur nom, les frères Goncourt ont atteint la notoriété sans jamais parvenir au véritable succès. Leur nom est lié à la « bataille réaliste » et à la naissance du naturalisme ; leurs romans et leurs préfaces les plaçaient au centre des préoccupations esthétiques de l'époque, bien qu'ils n'eussent que peu de lecteurs. Leur Journal, célèbre pour son acidité et ses accès de mauvaise foi, reste une mine de renseignements sur la vie littéraire et artistique de leur temps.

Les Goncourt ont composé une œuvre, qui est le fruit d'une étroite et constante collaboration fraternelle. En 18.. paraît en 1851 et passe totalement inaperçu. L'activité des Goncourt se répartit alors entre le journalisme (à l'Éclair et au Paris) et la rédaction d'articles et de travaux historiques. Passionnés par la vie de cour, la société et l'art du xviiie s., ils en écrivent l'histoire anecdotique, en tentant de redonner vie au passé. Ils publient successivement une Histoire de la société française pendant la Révolution (1854), une Histoire de la société française pendant le Directoire (1855), l'Histoire de Marie-Antoinette (1858) et la Femme au xviiie siècle (1862). « Bibelotiers », ils courent les antiquaires et les galeries, achètent dessins et aquarelles de peintres alors assez peu prisés : Chardin, Boucher, Watteau. Ils accumulent les meubles, les bronzes, les livres. Le tout sera décrit par Edmond en 1882 dans la Maison d'un artiste, et la vente de ces collections permettra de doter l'Académie et le prix Goncourt. L'Art au xviiie siècle, commencé en 1859, sera publié en 1875, et la monographie sur Gavarni, en 1873. Les Goncourt inaugurent le « japonisme » et se passionnent pour Utamaro ou Hokusai.

Dès 1860, ils passent de l'histoire au roman : « L'Histoire est un roman qui a été ; le roman est de l'histoire qui aurait pu être », écrivent-ils en 1861. De leur association naîtront six romans en dix ans : les Hommes de lettres (1860), rebaptisé Charles Demailly, Sœur Philomène (1861), Renée Mauperin (1864), Germinie Lacerteux (1865), Manette Salomon (1867) et Madame Gervaisais (1869). Une tentative au théâtre avec Henriette Maréchal subira en 1865, un échec retentissant.

Edmond de Goncourt, sept ans après la mort de son frère Jules, se décidera à écrire seul et publiera la Fille Élisa (1877), les Frères Zemganno (1879), la Faustin (1882) et Chérie (1884). Le Journal, commencé en commun le jour du coup d'État de 1851, sera continué par Edmond, qui en publiera, de 1887 à 1896, les parties les moins compromettantes (« la vérité agréable »). Ce n'est qu'en 1956 qu'une édition complète révélera l'ensemble du texte.

Assidus aux dîners Magny, grands amateurs de discussions et de théories littéraires, les Goncourt prirent place, assez tardivement, dans la mouvance réaliste. Ils ont pu alors utiliser les acquis d'autres écrivains et rassembler des principes épars : l'étude de milieux sociologiquement déterminés (Balzac), la documentation minutieuse (Flaubert), l'intérêt pour les « basses classes » (Champfleury), la volonté scientifique (Taine). Les deux frères tentent, dans chacun de leurs romans, de restituer un univers particulier : les milieux littéraires (Charles Demailly), l'hôpital (Sœur Philomène), la domesticité et le « peuple des barrières » (Germinie Lacerteux). Le réalisme, selon Edmond, implique aussi, s'il veut être cohérent, qu'on décrive « ce qui est élevé, ce qui est joli, ce qui sent bon » et qu'on donne « les aspects des êtres raffinés et des choses riches » – programme qu'il appliquera dans son dernier roman, Chérie. Sociologiques, documentaires, les romans des Goncourt, en effet, se veulent aussi scientifiques. Ils ne le sont véritablement que sous un aspect : la plupart de leurs héros sont des cas pathologiques ; Germinie Lacerteux est une « hystérique », Madame Gervaisais souffre d'une « hypertrophie du sentiment religieux » expliquée par la phtisie. Ils pensaient transcender les sujets vulgaires, qu'ils choisissaient volontairement, par une composition romanesque en rupture avec l'intrigue linéaire et surtout par l'écriture artiste. Les romans des Goncourt appellent les métaphores picturales : habiles à peindre, les deux frères ont composé des suites de tableaux sans grande progression dramatique. « Impressionnistes », « mosaïstes du langage », ils tentèrent de fonder un style fait de notations qui papillotent, visant à rendre les sensations dans leur immédiateté.

Germinie Lacerteux (1865). Plusieurs raisons ont contribué à faire de ce roman la plus célèbre des œuvres des Goncourt. Pour la première fois, notait Zola, on y décrivait « le héros en casquette et l'héroïne en bonnet de linge ». D'autre part, l'histoire de Germinie, fidèle domestique de Mlle de Varandeuil, vieille fille recluse, n'est pas née de l'imagination des deux frères. Augurant des principes du naturalisme, les Goncourt se sont imposé « les études et le devoir de la science ». Ils avaient enquêté dans les quartiers populaires de Paris, projetant un roman qu'Edmond n'écrira que beaucoup plus tard, l'histoire d'une prostituée, la Fille Élisa. Mais, en 1862, Rose Malingre, la domestique qui les sert depuis leur enfance, meurt de tuberculose : ils découvrent alors qu'elle menait une double vie (jeunes amants, alcoolisme, dettes nombreuses). Une fois leur stupéfaction et leur rancœur rétrospective passées, les Goncourt s'inspirent directement de l'histoire de leur servante pour écrire Germinie Lacerteux. L'héroïne y est dépeinte comme un « cas » pathologique, une hystérique victime d'un destin lamentable et de pulsions irrésistibles vers le vice. Les Goncourt revendiquèrent pour leur roman le statut d'œuvre d'avant-garde : sujet inhabituel et choquant, intérêt sociologique, perspective « scientifique », documentation « concrète ». Zola ne reproduira pas cependant la distance que les Goncourt maintiennent si visiblement avec leur sujet, ce dédain d'aristocrates remuant la fange du bout de leur canne.

Le Journal. Écrit par Jules, de 1851 jusqu'en 1870, « sous une dictée à deux », poursuivi par Edmond qui en publia des parties (entre 1887 et 1896), l'ensemble ne parut pas avant 1956. Le soir, « ou au plus tard le lendemain matin » comme le signale la préface de 1891, les deux frères notaient leurs impressions de la journée, les traits d'esprit, les anecdotes, le tout agrémenté de réflexions philosophiques et littéraires et de tableautins « impressionnistes », de portraits souvent peints au vitriol. Se présentant comme des « écrivains des nerfs » (22.12.1868) et définissant à la fois la structure (7.9.1895) et le style (25.2.1866) du roman moderne, les Goncourt nous présentent un témoignage irremplaçable sur le monde littéraire et artistique de la seconde moitié du xixe siècle.

Renée Mauperin (1864). Renée, jeune fille d'humeur indépendante, incarne un type positif de la femme moderne face à son frère, un jeune viveur, qui mourra dans un duel involontairement provoqué par Renée. Cette œuvre réaliste, qui prétend peindre le monde de la bourgeoisie d'affaires à la fin du second Empire, est aussi un roman autobiographique nourri des souvenirs personnels des deux frères.

          

PRIX GONCOURT
AnnéeLauréatTitre de l’œuvreCommentaire
1903John-Antoine NauForce ennemie 
1904Léon Frapiéla Maternelle 
1905Claude Farrèreles Civilisés 
1906Jérôme et Jean TharaudDingley, l'illustre écrivain 
1907Émile MosellyTerres lorraines 
1908Francis de MiomandreÉcrit sur de l'eau 
1909Marius et Ary LeblondEn France 
1910Louis PergaudDe Goupil à Margot 
1911Alphonse de ChâteaubriantMonsieur des Lourdines 
1912André Savignonles Filles de la pluie 
1913Marc Elderle Peuple de la mer 
1914Adrien Bertrandl’Appel du solattribué en 1916 à un écrivain-combattant
1915René BenjaminGaspard 
1916Henri Barbussele Feu 
1917Henry Malherbela Flamme au poing 
1918Georges DuhamelCivilisation 
1919Marcel ProustÀ l'ombre des jeunes filles en fleurs 
1920Ernest PérochonNêne 
1921René MaranBatouala 
1922Henri Béraudle Vitriol de lune et le Martyre de l'obèse 
1923Lucien FabreRabevel ou le Mal des ardents 
1924Thierry Sandrele Chèvrefeuille, le Purgatoire, le Chapitre XIII 
1925Maurice GenevoixRaboliot 
1926Henry Deberlyle Supplice de Phèdre 
1927Maurice BedelJérôme, 60° latitude Nord 
1928Maurice Constantin-WeyerUn homme se penche sur son passé 
1929Marcel Arlandl’Ordre 
1930Henri FauconnierMalaisie 
1931Jean FayardMal d'amour 
1932Guy Mazelineles Loups 
1933André Malrauxla Condition humaine 
1934Roger VercelCapitaine Conan 
1935Joseph PeyréSang et Lumières 
1936Maxence Van der Meerschl’Empreinte du dieu 
1937Charles PlisnierFaux Passeports 
1938Henri Troyatl’Araigne 
1939Philippe Hériatles Enfants gâtés 
1940Francis Ambrièreles Grandes Vacancesce prix non décerné en 1940 fut réservé à un écrivain-prisonnier (décision de 1941) et attribué en 1946
1941Henri PourratVent de mars 
1942Marc BernardPareils à des enfants 
1943Marius GroutPassage de l'homme 
1944Elsa TrioletLe premier accroc coûte deux cents francsattribué en 1945
1945Jean-Louis BoryMon village à l'heure allemande 
1946Jean-Jacques GautierHistoire d'un fait divers 
1947Jean-Louis Curtisles Forêts de la nuit 
1948Maurice Druonles Grandes Familles 
1949Robert MerleWeek-end à Zuydcoote 
1950Paul Colinles Jeux sauvages 
1951Julien Gracqle Rivage des Syrtesl'auteur refuse le prix
1952Béatrix BeckLéon Morin, prêtre 
1953Pierre Gascarles Bêtes et le Temps des morts 
1954Simone de Beauvoirles Mandarins 
1955Roger Ikorles Eaux mêlées 
1956Romain Garyles Racines du ciel 
1957Roger Vaillandla Loi 
1958Francis WalderSaint-Germain ou la Négociation 
1959André Schwarz-Bartle Dernier des justes 
1960Vintila HoriaDieu est né en exilnon décerné au sens strict
1961Jean Caula Pitié de Dieu 
1962Anna Langfusles Bagages de sable 
1963Armand LanouxQuand la mer se retire 
1964Georges Conchonl’État sauvage 
1965Jacques Borell’Adoration 
1966Edmonde Charles-RouxOublier Palerme 
1967André Pieyre de Mandiarguesla Marge 
1968Bernard Clavelles Fruits de l'hiver 
1969Félicien MarceauCreezy 
1970Michel Tournierle Roi des Aulnes 
1971Jacques Laurentles Bêtises 
1972Jean Carrièrel’Épervier de Maheux 
1973Jacques Chessexl’Ogre 
1974Pascal Lainéla Dentellière 
1975Émile Ajarla Vie devant soi 
1976Patrick Grainvilleles Flamboyants 
1977Didier DecoinJohn l'Enfer 
1978Patrick ModianoRue des Boutiques obscures 
1979Antonine MailletPélagie-la-Charrette 
1980Yves Navarrele Jardin d'Acclimatation 
1981Lucien BodardAnne-Marie 
1982Dominique FernandezDans la main de l'ange 
1983Frédérick Tristanles Égarés 
1984Marguerite Durasl’Amant 
1985Yann Queffélecles Noces barbares 
1986Michel HostValet de nuit 
1987Tahar Ben Jellounla Nuit sacrée 
1988Érik Orsennal’Exposition coloniale 
1989Jean VautrinUn grand pas vers le Bon Dieu 
1990Jean Rouaudles Champs d'honneur 
1991Pierre Combescotles Filles du Calvaire 
1992Patrick ChamoiseauTexaco 
1993Amin Maaloufle Rocher de Tanios 
1994Didier Van CauwelaertUn aller simple 
1995Andreï Makinele Testament français 
1996Pascale Rozele Chasseur Zéro 
1997Patrick Rambaudla Bataille 
1998Paule ConstantConfidence pour confidence 
1999Jean EchenozJe m'en vais 
2000Jean-Jacques SchuhlIngrid Caven 
2001Jean-Christophe RufinRouge Brésil 
2002Pascal Quignardles Ombres errantes 
2003Jacques-Pierre Amettela Maîtresse de Brecht 
2004Laurent Gaudéle Soleil des Scorta 
2005François WeyergansTrois jours chez ma mère 
2006Jonathan Littellles Bienveillantes 
2007Gilles LeroyAlabama Song 
2008Atiq RahimiSyngué sabour. Pierre de patience 
2009Marie NDiayeTrois Femmes puissantes