Canada

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Littérature de langue française

Les premiers voyageurs venus de France unissent dans le récit de leurs découvertes la curiosité de l'observateur et la saveur du conteur (Jacques Cartier, Champlain, Marc Lescarbot...). Les Relations des jésuites constituent un document ethnographique irremplaçable. Les Lettres de l'ursuline Marie de l'Incarnation comptent parmi les chefs-d'œuvre de la littérature mystique. Au xviiie s., le père de Charlevoix entreprend une Histoire de la Nouvelle-France, tandis que le baron de La Hontan, dont les Voyages paraissent en 1703, figure parmi les précurseurs de la théorie du « bon sauvage ». Les Lettres au cher fils (1748-1753), son gendre, de Mme Élisabeth Bégon ne paraîtront qu'en 1934-1935.

Avec l'introduction de l'imprimerie, après la conquête anglaise, on voit naître des brochures et des périodiques, en particulier l'éphémère Gazette littéraire de Montréal (1778), voltairienne. Le régime constitutionnel de 1791 favorise le journalisme et l'éloquence parlementaire. La poésie reste limitée aux petits vers dans le goût du xviiie s., souvent d'inspiration patriotique, puis romantique. La révolution française de 1830 et l'insurrection des « patriotes » canadiens en 1837 et 1838 donnent à la littérature naissante un esprit libéral et anticlérical, qui s'incarne dans l'Histoire du Canada (1845-1852) de François-Xavier Garneau, retraçant à la façon d'Augustin Thierry l'épopée du peuple canadien et son ascension vers la liberté à travers une survivance de tous les jours. Stimulée par l'Institut canadien de Montréal (fondé en 1844), l'hostilité envers le clergé trouvera son ultime expression, en 1868, avec la Lanterne d'Arthur Buies. L'Église, cependant, réagit et aura raison du mouvement laïque et libéral radical. Les poésies patriotiques de Crémazie (1827-1879) sont moins importantes et significatives que sa correspondance littéraire avec l'abbé Casgrain (1831-1904) et son Journal du siège de Paris en 1870-1871. Le roman conte les mœurs d'autrefois avec les Anciens Canadiens (1862) du seigneur Aubert de Gaspé ; il prêche le retour à la terre et un progressisme à l'américaine avec le Jean Rivard (1862) de Gérin-Lajoie. Le Journal longtemps inédit d'une adolescente passionnée et lucide, Henriette Dessaulles, et le roman d'analyse psychologique de Laure Conan, Angéline de Montbrun (1881), marquent l'entrée discrète des femmes en littérature.

L'« École littéraire de Montréal », fondée en 1895, rassemble surtout des poètes, souvent parnassiens, parfois encore romantiques comme Charles Gill, qui esquisse une épopée du Saint-Laurent, ou intimistes comme Albert Lozeau (1878-1924). Elle trouve sa plus émouvante expression chez Émile Nelligan. En réaction, à partir de 1909, l'« école du Terroi » se réclame d'un précurseur, Nérée Beauchemin, et d'un animateur, Albert Ferland (1872-1943), bien qu'une inspiration cosmopolite et artiste, à la manière d'Anna de Noailles et d'Henri de Régnier, se manifeste chez Paul Morin (le Paon d'émail, 1911) et René Chopin (1885-1953). Le succès de Maria Chapdelaine (1914-1916), du Français Louis Hémon, encourage la veine du Terroir, qui se manifeste en prose par les romans de Damase Potvin, les contes d'Adjutor Rivard, les croquis du grand botaniste Marie-Victorin, avant de culminer dans les romans-poèmes et les tableaux lyriques de Félix-Antoine Savard (Menaud, maître draveur, 1937). Cependant, c'est une peinture de l'avarice paysanne que donne Claude-Henri Grignon avec Un homme et son péché (1933), et les Trente Arpents (1938) de Ringuet font assister à la décadence de la vie rurale. Déjà, une contestation, inspirée du libéralisme américain, s'exprime dans les Demi-Civilisés (1933) de Jean-Charles Harvey. L'histoire, longtemps limitée aux travaux d'érudition, est renouvelée par le chanoine Lionel Groulx (1878-1967), qui en tire des enseignements et des directives. Les romans géo-historiques de Léo-Paul Desrosiers consacrés aux pionniers de l'Ouest – Nord-Sud, 1931; les Engagés du Grand Portage, 1938 –, de même que son Iroquoisie (1947), sont supérieurs à ses romans et nouvelles de mœurs contemporaines. Une certaine « littérature de survivance » est marquée à la fois par la fidélité et le ressentiment, le courage volontariste sur fond de pessimisme.

Modernités

Encore traditionnelle, quoique américaine, sous la plume de Robert Choquette (1905-1991) et d'Alfred Desrochers (1901-1979), la poésie connaît un renouveau à la veille de la Seconde Guerre mondiale avec quatre grands aînés : Saint-Denys Garneau, poète métaphysique et tourmenté, Alain Grandbois, Anne Hébert et Rina Lasnier. Si le voyage d'André Breton en Gaspésie n'a laissé d'autre trace littéraire que dans Arcane 17, son œuvre n'en a pas moins inspiré les « automatistes » québécois et le manifeste Refus global (1948) du peintre Paul-Émile Borduas. La nouvelle poésie ne trouvera un véhicule approprié qu'avec la fondation par Gaston Miron, en 1953, du groupe et des éditions de l'Hexagone. Aux poètes de la solitude mystique (Ouellette), aux postsurréalistes (Giguère, Hénault), ou à l' exploréen » Claude Gauvreau, succéderont les poètes du rapatriement (Paul-Marie Lapointe, Gatien Lapointe, Jean-Guy Pilon) et bientôt les poètes de l'« anté-révolution », autour de la revue Parti pris, en 1963.

L'éclosion de nombreuses maisons d'édition durant la Seconde Guerre mondiale a favorisé la transformation du roman. S'il compte encore de bons représentants de la veine rurale, tels Germaine Guèvremont et son Survenant (1945), où l'eau et la route l'emportent sur la terre, il s'ouvre à la peinture des milieux urbains avec Lemelin et Gabrielle Roy, qui reste hantée par le souvenir des plaines de l'Ouest où elle est née. Les minorités ethniques font leur apparition avec Aaron (1954) et Agaguk (1958) d'Yves Thériault, l'analyse psychologique avec Robert Charbonneau ou Robert Élie. Jean Simard et Pierre Baillargeon pratiquent une satire aigre-douce qu'on retrouve chez François Hertel, polygraphe talentueux mais inégal. Claude Jasmin et surtout André Langevin s'attachent au thème de l'homme traqué. Avec Anne Hébert, puis Marie-Claire Blais, le roman d'observation fait place au roman de création. Des techniques pas toujours orthodoxes du Nouveau Roman font leur apparition chez Hubert Aquin, Jean Basile, Réal Benoît, Réjean Ducharme, Jacques Godbout. Certains écrivains, tel Victor-Lévy Beaulieu, utiliseront le « joual » pour son pittoresque, son rythme, son chant rauque comme un cri empêché.

La renaissance du théâtre a comporté deux étapes : la formation, à Montréal, d'une troupe d'amateurs, les Compagnons de Saint-Laurent (1938-1952), puis celle de troupes régulières avec le Théâtre du Nouveau Monde (1951) et, plus tard, l'avènement de la télévision. La seconde phase voit le mouvement prendre des aspects très divers, satirique chez Gratien Gélinas, engagé chez Jacques Ferron, réaliste et psychologique chez Marcel Dubé, fantaisiste et insolite chez Jacques Languirand. L'élargissement du public permet en même temps l'épanouissement de la chanson, nourrie d'un folklore encore vivant, et qui obtient un succès international avec Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Robert Charlebois et d'autres.

Situation actuelle

Après des années de création collective, d'improvisations dirigées, de monologues réussis (Yvon Deschamps), de joual systématique, d'engagement social et politique, de féminisme radical (chez Jovette Marchessault, émule de Violette Leduc), de poèmes dramatiques qui ne sont souvent que chansons, le théâtre québécois s'est en même temps rethéâtralisé et remis à l'écriture. Les Cahiers de théâtre Jeu, depuis 1977, sont un témoin attentif de cette évolution où se croisent et se bousculent les « tradaptations » audacieuses de Michel Garneau, la saga œdipéenne picaresque de Jean-Pierre Ronfard, Vie et mort du roi boiteux (1981), le Théâtre Ubu de Denis Marleau, fondé en 1982 sous la double égide de Strehler et de Kantor, la technologie avant-gardiste du très international Robert Lepage (la Trilogie des Dragons, 1987), les spectacles chorégraphiés de Gilles Maheu (le Dortoir, 1988). Trois auteurs dramatiques principaux émergent de la création et de l'édition : Michel Marc Bouchard, Normand et René-Daniel Dubois.

Dans l'ensemble des genres narratifs, en plus des grandes œuvres qui se prolongent sans se répéter (Blais, Ducharme, Poulin...), on remarque peu de nouvelles carrières assurées, sinon celle de Gaétan Soucy (la Petite Fille qui aimait trop les allumettes, 1998), bien en selle à Paris comme à Montréal, mais des départs prometteurs, parfois interrompus, intermittents, notamment chez des femmes qui ont plusieurs cordes à leur arc : Francine Noël, Suzanne Jacob, Monique La Rue, Madeleine Monette. Yolande Villemaire n'a pas renouvelé le « miracle de la parole » de sa Vie en prose (1980). La Québécoite (1983) est l'œuvre d'une juive d'origine russe et polonaise, formée à Paris, Régine Robin. Après le pionnier toujours actif Naïm Kattan (Adieu Babylone, 1975), les romanciers issus des minorités ethniques ont rapidement annoncé et imposé leurs couleurs : les Haïtiens Dany Laferrière et Émile Ollivier, le Brésilien Sergio Kokis, la Chinoise Ying Chen...

À côté des gros romans ou cycles promis à la télévision (de Beaulieu à Tremblay) ou au best-seller, tel le Matou (1981) d'Yves Beauchemin ou la trilogie de Marie Laberge, le Goût du bonheur (2000-2001), les deux dernières décennies ont révélé un bon nombre de maigres et musculeux récits, sortes de « dessins et cartes » d'un territoire réel (Abitibi, Saguenay, Gaspésie, rue Saint-Denis) et imaginaire (André Brochu, André Major, Gaétan Brulotte, Lise Tremblay, Monique Proulx, Gilles Archambault.

Les grands poèmes de l'« âge de la parole » que fut la Révolution tranquille – Brault, Giguère, Lapointe, Miron, Ouellette – sont ceux qui ont le mieux assuré le passage à l'écriture, voire au texte, jusqu'au minimalisme. Leurs émules des années 1970 ont souvent multiplié en vain les éclats de voix et les ruptures théoriques. Un patient travail sur la langue et le discours, un sobre usage des émotions et des idées, caractérisent la poésie d'André Brochu, Normand de Bellefeuille, Denise Désautels, Roger Des Roches (Nuit, penser, 2001), Hélène Dorion (Sans bord sans bout du monde, 1995), Marcel Labine. L'œuvre de Michel Beaulieu (1941-1985), mort prématurément, devrait survivre ou, revivre. Parmi les poètes les plus nouveaux, différents, on remarque Pierre Nepveu (Malhler et autre matières, 1983), Robert Melançon, à la limite de la prose (le Dessinateur, 2001).

Aux frontières

En dehors du Québec, où se concentrent environ 88 % des Canadiens français, des foyers de survivance sont entretenus autour de facultés ou de collèges universitaires. Antonine Maillet se souvient de la langue rabelaisienne et de l'Évangéline du poète américain Longfellow dans Pélagie-la-Charrette (1979, prix Goncourt) et Cent Ans dans les bois. Majoritaires dans le nord-est du Nouveau-Brunswick (quoique plus nombreux au Québec), les Acadiens ont longtemps mené une existence précaire de pêcheurs et de bûcherons privés d'écoles en leur langue. La fondation du journal l'Évangéline (1887; quotidien en 1949) et celle d'une université francophone ont créé des conditions favorables à un nouveau départ particulièrement la poésie avec Léonard Forest, Raymond Leblanc, Guy Arsenault, Herménégilde Chiasson, Gérald Leblanc. Près de 500 000 francophones (deux fois plus qu'au Nouveau-Brunswick) habitent en Ontario, de Hearst (Éditions Le Nordir) à Windsor. Ils possèdent quelques institutions à Toronto, mais surtout à Sudbury et à Ottawa. Dans la ville minière, la maison d'édition Prise de parole a publié une centaine d'auteurs dont les plus incisifs sont un poète à la Kerouac et à la Bukowski, Patrice Desbiens (la Fissure de la fiction, 1997), et le dramaturge Jean-Marc Dalpé (le Chien, 1990 ; Eddy, 1994). Dans la capitale fédérale, à côté du Centre national des arts (théâtre), l'Université d'Ottawa, bilingue, est un important centre de recherche et d'édition. Jean-Louis Major s'en échappe avec des contes narquois et très adultes (Mailles à l'envers, 1999). À côté de René Dionne, anthologiste et historien littéraire, Gabrielle Poulin se fait romancière du Livre de déraison (1994). Un ex-«  bureaucrate  », Maurice Henrie, voyage dans la Chambre à mourir (1988). Un traducteur, Daniel Poliquin, donne des Nouvelles de la capitale (1987) et des romans ironiques sur la bourgeoisie d'affaires. Les Éditions David, fondées en 1993, ne séparent pas la promotion du «  fait français  » en Ontario, au Québec et au Canada. Elles comptent déjà à leur catalogue d'excellents essais, nouvelles (Marie-Andrée Donovan), poèmes. André Duhaime a fait paraître plusieurs recueils et Haïku sans frontières (1996), une «  anthologie mondiale  ».

Littérature de langue anglaise

Elle se caractérise par un double écart avec la tradition britannique et la tradition américaine. La reprise de la littérature britannique est le moyen de marquer un discours institué face à l'indifférenciation du continent et à la pauvreté du tissu social. L'insertion manifeste du Canada dans la culture nord-américaine n'a pas défait ces constantes. Leonard Cohen atteste qu'une littérature de la rupture, qui suppose une expérience homogène et continue de l'espace, n'a pas ici de pertinence : le Westmount du Jeu préféré est une forteresse à l'intérieur de Montréal, elle-même symbole du vide canadien où les mots perdent toute propriété et où persiste la menace du monde au-dehors. L'écrivain est médiateur entre ce dedans et ce dehors, en référence chez Cohen au judaïsme comme au destin national. Imaginaire localisé, mais sans racines, littérature où les institutions fédérales jouent un rôle majeur de liaison entre les écrivains, parce qu'aucune relation n'est véritablement donnée par la culture et par l'espace. Les tendances à l'objectivisme et à la notation existentielle, le sentiment constant d'un face-à-face avec le monde, dans l'impuissance ultime de toute forme d'organisation, sont autant d'apparentements avec la littérature américaine du xxe s. et avec les thèmes transnationaux attachés au constat de la déré– liction.

La littérature canadienne anglaise, d'abord nourrie des récits des voyageurs et explorateurs (David Thompson, Samuel Hearne) est à la fois nationale et régionale (Thomas Chandler Haliburton). Après 1880, deux types de récits prévalent : le roman historique et le roman régional. Le régionalisme établit le sens de la couleur locale et du concret. L'après-Première Guerre mondiale marque, avec Robert Stead (1880-1959), Martha Ostenso (1900-1963) et Frederick P. Grove (1871-1948), le développement d'un réalisme de la Prairie comme de la ville. Mordecai Richler illustre, à partir de 1954, la venue de la littérature canadienne à une véritable contemporanéité. En poésie, Archibald Lampman (1861-1899) et Charles G.-D. Roberts (1860-1943) fixent les données culturelles de la création : traitement objectif de la nature, mais effacement du régionalisme. E. J. Pratt (1883-1964), sous l'influence formelle de la poésie anglo-américaine des années 1920, élargit le champ à une vision mythique. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le renouveau formel et thématique est dû à des auteurs qui n'appartiennent pas pleinement à la culture canadienne. Brian Moore, né à Dublin, évoque les mésaventures d'un immigré à Montréal. L'Afrique et la Somalie britannique fournissent la matière des premiers récits de Margaret Laurence, émigrée à Londres. Bien qu'on ne puisse pas parler d'une école littéraire juive, la référence judaïque suscite une création spécifique, marquée par la poésie et le roman, le Deuxième rouleau (1951), de A. M. Klein. Mordecai Richler tire de l'exclusion du Juif un imaginaire iconoclaste et le dessein de la libération personnelle. Leonard Cohen illustre cette aptitude à suggérer le power of blackness qui définit la société, tandis que Norman Levine s'attache à l'examen de l'identité nationale. Le souci moral et l'intérêt psychologique trouvent une expression originale chez Margaret Atwood, la meilleure représentante de la littérature féministe. Porté par l'adaptation cinématographique d'Anthony Ming, le Patient anglais de Michael Ondaatje (1997) est le roman canadien le plus célèbre à l'heure actuelle. La poésie se renouvelle : Leonard Cohen et Harry Moscovich se caractérisent par un mélange de radicalisme et de mysticisme ou de vitalisme ; avec Anne Wilkinson, Douglas Le Pan, P. K. Page, le souci formel l'emporte ; l'expérimentation, chez Jay Macpherson, Eli Mandel, James Reaney, joue du ridicule et du sublime ; Earle Birney, Roy Daniells, Wilfred Watson, Phyllis Webb, Bill Bissett illustrent le constat du vide et de la désespérance.