le cinéma soviétique

Le régime soviétique a accordé une place de choix à l'art cinématographique, en particulier au cours de ses dix premières années d'existence. La phrase de Lénine, « le cinéma est pour nous, de tous les arts, le plus important », a fait le tour du monde. Et le chef-d'œuvre d'Eisenstein, le Cuirassé Potemkine, réalisé en 1925, figure toujours au premier rang du panthéon des historiens du cinéma.

1. L'héritage du cinéma de la Russie tsariste

La célébrité mondiale du cinéma soviétique révolutionnaire a cependant masqué l'existence, sous le régime tsariste, d'un riche cinéma russe, aujourd'hui redécouvert par les cinémathèques. Des titres majeurs produits avant la révolution de 1917, on retiendra Anna Karenine de Vladimir Gardine (1914), la Dame de pique de Jacob Protazanov (1916), le Père Serge d'Andreï Kojoukhov (1917). Ievgueni Bauer est sans doute le réalisateur le plus original de cette période (la Vie dans la mort, 1914 ; le Tocsin, 1917).

2. Les débuts difficiles du cinéma soviétique

La révolution d'octobre et, plus encore, la guerre civile qui la suit entravent pendant quatre années la production cinématographique, réduite pour l'essentiel aux documentaires d'actualité (« Actualités révolutionnaires » de Dziga Vertov et Édouard Tissé). En août 1919, le gouvernement bolchevique décide la nationalisation du cinéma. La production de films augmente alors rapidement (11 en 1921 ; 157 en 1924). Une génération de très jeunes cinéastes prend les commandes. Lev Koulechov fonde la première école de cinéma du monde en 1919 (le VGIK) et élabore ses théories du montage dans son Laboratoire expérimental. Le nouveau cinéma soviétique bénéficie des expériences fort nombreuses des avant-gardes artistiques qui ont marqué les dernières années du tsarisme (futurisme et constructivisme dans les beaux-arts, formalisme en littérature...).

3. Dziga Vertov

Le cinéaste qui s'impose le premier est incontestablement le documentariste Dziga Vertov, responsable du magazine Kino-Pravda (« Cinéma-Vérité »). Vertov prône un radicalisme révolutionnaire en esthétique et bannit la fiction comme les acteurs professionnels. Après 1925, il monte de grands documentaires, comme la Sixième Partie du monde (1926), et réalise à la veille du parlant son chef-d'œuvre, l'Homme à la caméra (1929), film-manifeste d'un brio extraordinaire.

4. Eisenstein, Poudovkine, Dovjenko et les autres

La seconde partie des années 1920 voit une explosion de films remarquables, qui vont connaître une diffusion internationale malgré leur discours subversif. Trois fortes personnalités s'affirment alors : Sergueï Eisenstein, Vsevolod Poudovkine et l'Ukrainien Aleksandr Dovjenko, le cinéaste le plus lyrique des trois.

Sergueï Eisenstein réalise son premier film, la Grève (1924), à l'âge de vingt-six ans, mais c'est son deuxième long métrage, le Cuirassé Potemkine, qui lui apporte la renommée internationale. Ce film révèle au monde l'école soviétique, dont l'esthétique est fondée sur le montage pathétique ; la remarquable mise en scène du massacre des manifestants sur les immenses escaliers d'Odessa a apporté la preuve, pour les intellectuels des années 1920, que le cinéma pouvait égaler les autres arts. Eisenstein réalisera ensuite un film encore plus ambitieux, Octobre (1927), pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution de 1917.

La narration des films de Poudovkine est plus linéaire, mais ce cinéaste sait également faire appel au montage métaphorique dans de grandes séquences spectaculaires comme la débâcle des glaces dans la Mère (1926), les manifestations dans la Fin de Saint-Pétersbourg (1927), la charge finale à travers la Mongolie dans Tempête sur l'Asie (1929).

C'est la terre ukrainienne qui inspire la démarche panthéiste de Dovjenko dans sa célèbre trilogie (Zvenigora, 1928 ; Arsenal, 1929 ; la Terre, 1930).

Ces trois noms ne sauraient éclipser la dizaine d'autres cinéastes qui signent alors des œuvres d'une grande originalité formelle, comme Grigori Kozintzev et Leonid Trauberg, créateurs de la FEKS (Fabrique de l'acteur excentrique) et coréalisateurs des Aventures d'Octobrine (1924) et de la Nouvelle Babylone (1929), ou bien Lev Koulechov (les Aventures extraordinaires de Mister West au pays des Bolcheviks, 1924 ; Dura Lex, 1926).

5. De l'arrivée du parlant aux années 1930

Le parlant marque un coup d'arrêt dans ces expériences formelles, d'autant plus qu'il correspond à une période de mise au pas idéologique et esthétique. C'est le moment où triomphe le dogme du « réalisme socialiste », avec son héros positif et son retour à la narration traditionnelle. Tchapaïev (1934), film des frères Vassiliev, est le porte-étendard de cette nouvelle esthétique.

Les techniques du cinéma sonore tarderont plus de cinq ans à se mettre en place sur le territoire soviétique, permettant à certains cinéastes de produire des films muets jusqu'en 1934 (Boule de suif, de Mikhaïl Romm).

Bien que le récit épique domine alors la production, certains auteurs signent des comédies très originales, comme Boris Barnet (Au bord de la mer bleue, 1935). Une nouvelle génération de réalisateurs entreprend des fresques sociales assez réussies, telle la trilogie de l'Enfance de Gorki (1938-1940), de Mark Donskoï. La période se termine avec Alexandre Nevski (1938), épopée-opéra nationaliste que signe Eisenstein.

6. Censure et cinéma de l'exil

Les dernières années du règne de Staline marquent une régression quantitative et qualitative de la production cinématographique, laquelle redémarrera après 1954 pour se stabiliser dans les années 1960 à environ 120 films par an.

La génération des premières années 1960 rompt avec le dogme du réalisme socialiste pour décrire avec plus d'authenticité la destinée individuelle de ses personnages. Quelques personnalités s'affirment alors, comme Grigori Tchoukraï (le Quarante et Unième, 1956 ; la Ballade du soldat, 1959), Mikhaïl Kalatozov (Quand passent les cigognes, 1957), Mikhaïl Romm (Neuf Jours d'une année, 1961).

Mais, quelques années plus tard, la censure d'État entrave le développement d'œuvres fortes comme celle d'Andreï Tarkovski, malgré le triomphe international d'Andreï Roublev (1966), et celle de Sergueï Paradjanov (les Chevaux de feu, 1965 ; Saïat-Nova, 1968). Tarkovski sera contraint à l'exil en 1984. Il réalisera en Italie Nostalgia (1983), et en Suède le Sacrifice (1986). Paradjanov sera emprisonné au milieu des années 1970, avant de réaliser, une fois réhabilité, un nouveau chef-d'œuvre, la Légende de la forteresse de Souram (1984).

7. Les dernières années avant la fin du régime

Dans la période 1970-1990 se sont distingués au moins deux auteurs, qui ont cumulé de nombreux prix dans les festivals internationaux : Andreï Mikhalkov-Konchalovsky et son frère Nikita Mikhalkov. Le premier a réalisé en URSS le Bonheur d'Assia (1966), Oncle Vania (1970) et Sibériade (1979) avant de tourner Maria's Lovers (1984) et Runaway Train (1985) aux États-Unis et, en 1992, une coproduction italo-russe en langue anglaise, le Cercle des intimes. Nikita Milkhalkov s'est spécialisé dans les adaptations littéraires, qu'il a d'abord réalisées en URSS : Partition inachevée pour piano mécanique (1977, d'après Tchekhov), Cinq Soirées (1979). Un autre film, les Yeux noirs (1986), également inspiré de Tchekhov, a été tourné en Italie.

Enfin, l'œuvre de Pavel Lounguine (Taxi Blues, 1990 ; Luna Park, 1992) témoigne, par son désarroi et sa violence, de l'état d'esprit du cinéma russe contemporain.

L'effondrement du régime soviétique a entraîné une crise sans précédent des structures de production et le départ à l'étranger, notamment aux États-Unis, de nombreux cinéastes qui ne trouvaient plus de producteurs ni de commandes d'État.